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Full text of "Contes en vers et chansons"

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OEUVRES 


DE 


PAIL  DE  KOCK. 


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COiSTES  EN  VERS  ET  CHANSONS. 


PARIS.    —   IMPRIMEhlE    d'ÉVKRA  I  , 
rue  du  CaHraii,  ii°  <f).      . 


Digitized  by  the  Internet  Archive 

in  2010  witii  funding  from 

University  of  Ottawa 


littp://www.arcliive.org/details/contesenversetcliOOkock 


CONTES  EN  VERS 


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CHANSONS, 


CH.  PAUL  DE  KOCK. 

':.  ''.   C  0  LIE  C  T''3  N S  ,„  vàiiel.it.'  v..l.ipla> 

.  J  ;«  J  t/^UX 


\>^(i/^ 


PARIS. 

GUSTAVE    BARBA,   LIBRAIRE, 

LUITLI  H    l>»    >>F.UVKF.!«     lir.     PIOA  LLT-LEBHIIN     f.l      Ut     fAtL    Dl.     KOCK 

RUE    MAZARIIHE,    34. 

1050. 


a  ÛldUamt  eitec  6, 


Vous  m'avc7,  dit  :  «  Dans  un  conte 
»  Je  trouve  beaucoup  d'attrait.  ■» 
Pour  faire  ce  qui  vous  plaît 
Il  n'est  rien  que  l'on  n'affronte. 
Daignez  accepter  ceux-ci , 
C'est  à  vous  qu'ils  doivent  êli'e; 
Mais  aurai-je  réussi  I 
Déjà  je  ne  suis  pas  maître 
D'un  sentiment  de  frayeur  j 
INIa  muse  est  franche ,  naïve , 
Dune  peinture  un  peu  vive 
Si  vous  preniez  de  l'humeur... 
Non ,  je  n'ai  voulu  que  rire  j 
En  tout  temps  ce  fut  permis , 
Et  dans  vos  yeux  je  crois  lire 
Que  mon  pardon  m'est  rerais. 
D'ailleurs,  variant  sans  cesse j 
Cherchant  des  sujels  nouveaux , 
Quelquefois  dans  mes  tableaux 


Une  teinte  de  tristesse 
Remplacera  la  galle; 
Je  peins  le  plaisir,  la  i^cioe  , 
J'aime  la  variété , 
Comme  le  bon  La  Fontaine 
Aimait  la  diversité'. 
Lisez  donc  en  liberté, 
Mes  contes  sont  bons  apôtres  ; 
Taiitôt  )0ies,  tantôt  bnms, 
Glissez  vite  sur  les  uns, 
Arrêtez- vous  sur  les  autres. 
Heureux  de  cette  façon , 
Si  je  vois  femme  jolie 
Faire  giacc  à  la  folie 
Mn  faveur  de  la  raison. 


CONTES  EN  VERS. 


«♦♦♦e*  t«^t-t  c  «  c-t  tx-c- »««•«-.-«-»♦*♦«-«-*♦«•♦»•  c-o  t^t»  i  ♦  t  £■♦♦»»<<  M-»-»  tt-c*»«-t-»  »«♦<»«  t-ct-c- 


LES   GONDOLIERS. 


Bel  âge  des  amours! 
Des  plaisirs,  de  l'ivresse, 
Doux  nioinens,  heureux  jours, 
Marques  par  la  tendresse! 
Heures  de  la  jeunesse, 
Vous  sonnez  proinptcrnent  ! . . . 
Arrêtez  un  moment  ; 
Pourquoi  tant  de  vitesse? 
Il  semble  que  le  temps 
Pour  vous  niarclic  plus  vite; 
De  l'aspect  du  printemps 
Son  front  chauve  s'irrite; 
Rien  ne  peut  le  fléchir, 
Il  se  hâte,  il  nous  presse, 
Il  semble  alors  courir. 
Mais ,  quand  vient  la  vieillesse 
Il  paraît  s'attendrir  : 
Des  heures  qu'il  nous  laisse 
Le  cours  est  chancelant; 
Ah  !  c'est  pour  la  jeunesse 


i 


A  CONTES    EN    VERS. 

Qu'il  devrait  être  lent!... 

Mais  le  destin  l'ordonne  , 

IViil  ne  peut  résister  ; 

Des  beaux  jours  qu'il  nous  donne 

Sachons  donc  profiter. 

Voyez-vous  se  croiser  sur  la  plaine  limpide 
Ces  légers  bâtimens,  d'uniforme  couleur, 
Ils  (TJissent  sur  les  flots,  et  de  l'amant  timide 

Ils  ont  souvent  encouragé  l'ardeur; 
Dans  cette  retraite  charmante 
Que  la  gondole  offre  à  l'amour. 
Mollement  balancé  près  de  sa  jeune  amante, 
Il  brave  les  jaloux  et  la  chaleur  du  jour. 

Le  gondolier,  d'un  air  de  nonchalance , 

Poussant  sa  rame,  évitant  les  cahots. 
Mêle  sa  voix  au  bruit  monotone  des  flots  ; 
Il  chante  de  l'amour,  la  douceur,  la  puissance. 
Tandis  que  près  de  lui,  mais  cachés  a  ses  yeux, 

Ceux  qu'il  conduit  le  célèbrent  bien  mieux . 

A  nos  regards  quel  séjour  se  présente? 
Quelle  est  cette  cité  qui  sort  du  sein  des  eaux, 
D'Amphitrite  bravant  la  fureur  impuissante  : 

A  ses  palais ,  à  ses  canaux , 
Je  reconnais  Venise ,  et  mon  ame  est  émue  ; 
Quels  sentimens  divers  m'agitent  à  sa  vue! 
Le  plaisir  que  j'éprouve  est  mêlé  de  terreur  * 
Sc-jour  oii  la  folie  établit  son  empire, 
Qui  sais  du  carnaval  faire  un  temps  de  délire  ; 
Tu  ne  me  parais  pas  l'asile  du  bonheur. 


CONTES    EN    VERS. 


Près  de  ce  palais  que  j'admire 

Pourquoi  mes  re^^ards  ctomics 
Rencontrent-ils  ces  murs,  sombres,  abandonnés! 
Je  contemple  une  place,  immense,  majrniHque, 

A  quelques  pas  je  frémis  malgré  moi 

Ces  lagunes  déjà  m'inspirent  de  l'effroi. 

Tout,  dans  cette  ville  magique, 
Fait  naitre  un  sentiment  qu'on  ne  peut  définir. 
D'un  tribunal  secret  le  sanglant  souvenir, 

La  vengeance,  la  jalousie 
Aiguisant  chaque  jour  leurs  poignards  en  ces  lieux. 

Ne  font  de  Venise,  à  mes  yeux, 
Qu'un  bien  triste  séjour  du  dieu  de  la  folie. 
Mais  près  des  gondoliers  fixons-nous  désormais; 
Qu'on  e^t  bien,  étendu  dans  leur  maison  mobile! 
Là  ,  seulement,  je  retrouve  la  ville 

Que  dans  mes  songes  je  rêvais! 

Sur  les  flots  de  l'Adriatique 

Urbino,  dès  ses  jeunes  ans, 
Avait  bravé  les  plus  forts  ouragans  j 

Sa  gondole,  son  bien  unique. 

Le  vovait,  dès  le  point  du  jour, 
S'embarquer  en  chantant,  et  chanter  au  retour. 

Heureux,  content  dans  sa  nacelle. 

Sans  amour,  sans  ambition, 

Sa  galté  lui  restait  fidèle. 
Si  l'on  pouvait  vivre  sans  passion, 
Alors,  comme  Urbino,  sans  tourmens,  sans  envie. 
On  descendrait  gaîment  le  fleuve  de  la  vie. 

(^aiment?...  Non.  L'uniformité 


6  CONTES    EN    VERS. 

Tôt  OU  fard  fait  fuir  la  (raîté. 
Les  passinns  éveillent  dans  notre  anie 
L'espoir,  l'attente,  le  clcsir; 
Celui  qui  de  l'amour  n'a  point  connu  la  flamnic 

A-t-il  donc  connu  le  plaisir? 
l\lais  l)ient6t  Lrbino  perd  son  indifférence, 
Zanetta  le  fait  soupirer; 
L'amour  le  lient  en  sa  puissance, 
Et  Zanetta  sait  si  bien  l'inspirer  ! 

Elle  a  seize  ans,  un  re[jard  tendre. 
Grâce  naïve  et  modeste  maintien^ 
Un  son  de  voix  qu'on  veut  toujours  enleudre. 
Et  de  grands  yeux  que  l'on  compreml  si  bien!... 
De  l'adorer  qui  pourrait  se  défendre? 
Lrbino  jeune  et  beau  l'aimera-t-il  en  vain? 
Pour  Zanetta j  dès  le  matin. 
Il  redit  tendre  barcarolle, 
Et  nuit  et  jour,  dans  sa  gondole, 
Du  nom  de  Zanetta  fatiguant  les  échos, 
Le  mêle  en  soupirant  au  murmure  des  flots. 
Tant  d'amour  a  touché  le  cœur  de  la  filletlc  : 
Quand,  près  de  son  père,  le  soir, 
Sur  la  rive  elle  vient  s'asseoir, 
C'est  Lrbino  que  son  œil  guette  j 
C'est  pour  lui  ce  soupir  et  ce  brûlant  regard 

Qui  l'accompagnent  au  départ. 
Si  le  ciel  s'obscurcit,  s'il  se  forme  un  orage, 
Inquiète,  sur  le  rivage. 
Semblable  à  la  triste  lléro , 
Son  cœur,  qui  s'agite  et  s'oppresse, 
Craint  pour  l'objet  de  sa  tendresse... 


COiNTES     EN    VERS.  7 

Mais  ce  sourire,  ccLle  ivresse, 
Annoncent  aussi  qu'lJrbino 
Revient  auprès  de  sa  maîtresse. 

Cependant  Paoli,  père  de  Znnetta  , 

ÎS'appronve  point  l'amour  d'Urbino  pour  sa  fille. 

Il  veut  des  cens;  sans  cela. 

On  n'entre  point  dans  sa  laniil!».'. 
Il  n'est  aussi  que  simple  (gondolier. 

Mais  il  a  su,  dans  ce  métier, 
En  servant  les  amans,  arrondir  sa  Fortuiic; 

Quand  il  s'agit  de  {ja^juer  de  rar{jent 
Paoli  toujours  prêt,  est  actif,  oblijjeant. 

Il  sert  et  la  blonde  et  la  brune  ; 

C'est  à  lui  que  les  amoureux 
Vontconler  leurs  tourmens,  designer  leurs  maiuesicsj 

Pourvu  que  l'on  ait  dtes  espèces. 
Il  trouve  le  moyen  de  l'aire  dos  heureux  ; 

Et  mainte  fois  dans  sa  gondole , 

Emmenant  un  couple  joyeux, 

Il  entonne  sa  barcarolle 
En  riant  aux  dépens  d  un  père  ou  d  un  (uicur 
Dont  il  \ient  de  tromper  l'active  surveillance; 

Rien  ne  le  met  en  belle  humeur 
Comme  l'espoir  de  quelque  récompense; 
Veut-on  se  marier;  on  le  trouve  au  besoin, 

Tout  pi<'t  à  sci'vir  de  léjuoin. 

Et  ce  patron  des  bons  apolres 
IVétend  forcer  sa  fdle  à  fléchir  sous  sa  loi , 

('ar,  ce  qu'on  veut  bim  faire  aux  aulres 
Est  ordinairement  ce  qu'on  défend  chez  .'oi. 


8  CONTES    EN    VEIIS. 

Pour  avoir  Zanetta  ce  n'est  donc  qu'à  la  ruse 

Qu'Urbino  peut  avoir  recours; 
On  l'emploie  en  intri[jue,  à  la  {juerre,  en  amours, 

Et  le  succès  est  son  excuse. 
Mais  sans  argent  on  doit  fort  mal  ruser. 

Lrbino  n'a  pas  une  obole  ! 
Le  pauvre  amant  vend  sa  gondole  : 
C'était  son  seul  trésor,  mais  il  faut  tout  oser 

Pour  posséder  celle  qu'on  aime. 
On  est  en  carnaval;  il  va  se  déguiser, 
Puis  près  de  Paoli  se  rend  à  l'instant  même. 

Et,  sous  le  masque,  ose  lui  proposer 
De  gagner  beaucoup  d'or  en  servant  sa  tendresse. 

«  Je  suis  tout  prêt,  recevez  ma  promesse,  » 
Dit  le  vieux  gondolier.  «  Parlez,  qu'exigez- vous? 

»  —  Ce  soir,  prépare  ta  gondole  : 
»  J'arracLe  mon  amante  aux  fureurs  d'un  jaloux. 

»  Mais  elle  a  reçu  ma  parole 
»  Que  l'hymen ,  cette  nuit ,  consacrerait  nos  nœuds. . . 

»  —  Seigneur,  je  comblerai  vos  vœux  ; 

»  Je  connais  un  endroit  propice; 
»  Un  chapelain,  prévenu  par  mes  soins, 

»  Nous  attendra;  pour  des  témoins, 
»  Je  vous  en  tiendrai  lieu . . .  J'ai  même  à  mon  service 

»  Un  villageois  qui  fera  le  second. 
»  Je  me  charge  de  tout;  allez,  je  vous  répond 
»  Que  j'ai  souvent  conduit  pareille  affaire. 
»  — C'est  fort  bien.  Prends  ceci,  ce  n'est  de  ton  salaire 

»  Qu'une  bien  faible  portion. 

»  Do  la  prudence,  du  mvstère, 

»  Surtout  de  la  discrétion.  » 


CONTES    EN    VERS.  V 

De  Zanetta  quittant  le  père, 
Lrbino  luit  sans  être  reconnu. 

Paoli  ne  se  doute  guère 
Par  qui  son  bâtiment  vient  d'être  retenu. 

Tout  occupé  de  cette  affaire, 
II  laisse  à  Zanetta  bien  plus  de  liberté. 

Lrbino  s'en  était  douté  1 
Vers  la  nuit  il  parvient  auprès  de  son  amante; 
Un  large  domino  de  sa  taille  cliarmante 

Cache  la  forme  et  les  contours; 

Un  masque  couvre  son  visage, 
Et  tous  deux,  déguisés,  se  rendent  au  rivage 

Se  recommandant  aux  amours. 

Paoli  les  attend  :  au  fond  de  sa  gondole 

Il  fait  entrer  les  deux  amans. 
Et ,  pendant  qu'ils  se  font  les  plus  tendres  sermens. 
Il  entonne  sa  barcarolle 

En  se  disant  :  «  Encore  un  de  dupé^ 

»  Quelque  jaloux,  quelque  tuteur  trompé... 
»  Cela  ne  va  pas  mal,  et  j'ai  sujet  de  rire; 

»  Le  carnaval  paraît  bien  commencer. 

»  Encore  un  an,  et  puis  je  me  retire, 
»  11  faut  jouir  un  peu,  je  suis  las  d'amasser. 
»  A  quelque  vieux  richard  je  marîrai  ma  fille  ; 

»  Je  n'aurai  point  de  dot  à  lui  donner, 
»  Et  je  vivrai  content  au  sein  de  sa  famille, 
H  Qui  pourra  tous  les  jours  me  donner  à  dîner.  » 

Tout  en  faisant  son  plan,  il  rame  et  l'on  arrive  : 
Les  amans  déguisés  descendent  sur  la  live. 


-10  CONTivS    EN    VERS. 

Pnoli  les  conduit  vers  un  bois  teac'bicux 
Diuis  lequel  est  bâtie  une  vieille  clnipelle. 

C'est  là  qu'un  ministre  fidèle 

Va  consacrer  les  plus  doux  nœuds. 
On  a  tout  préparé  pour  la  cérémonie, 
Avec  le  villageois,  qui  fait  l'autre  témoin, 

Pnoli ,  redoublant  de  soin  , 
Va  se  mettre  à  la  porte;  et  la,  sans  qu'on  l'en  prie, 
11  fait  le  guet  pendant  qu'on  unit  les  amans. 

Ceux-ci  découvrent  leur  visage  : 

Le  prêtre  reçoit  leurs  senuens, 

Puis  il  bénit  le  mariage, 

Et  les  jeunes  gens  sont  époux. 
((  Eh  bien,  »  dit  Paoli  qui  se  tient  à  la  porte, 
'«  Est-ce  fini?  —  iSc  craignez  plus  pour  nous... 
»  Venez,  »  dit  Lrbino,  «  vous  avez  fait  en  sorte 
M  Que  tout  a  réussi...  Mais  c'est  bien  grâce  à  vous.  » 

Le  gondolier,  croyant  toucher  sa  récompense , 

Se  hâte  d'accourir  près  d'eux... 

Que  devient-il?...  immobile...  en  silence, 

Il  les  regarde...  et  se  frotte  les  yeux, 

C'est  Urbino  près  de  sa  fille... 
Elle  est  unie  au  jeune  gondolier. 

Et  la  gondole  du  vieux  drille 
A  conduit  les  amans  qu'on  vient  de  marier!... 

Il  tempête,  se  desespère, 

Mais  à  quoi  bon  tant  de  colère! 

Les  jeunes  gens  sont  à  ses  pieds. ,. 

D'ailleurs  ils  sont  unis  ,  que  faire? 

Ce  que  l'on  fait  quand  on  est  père  ; 


CONTES    EN    VERS.  ^} 

On  pardonne,  et  les  torts  sont  bientôt  oubliés. 

«  Ami ,  »  dit  Paoli ,  «  sonf^c,  avec  ta  {^ondoie, 
»  Qu'il  faut  nourrir  ta  fcuinie  et  t'occupcr. 
»  — Hélas!  »  (lit  l  rbino ,  «  tout  ce  qui  me  désole, 
)»  CV^t  que  je  l'ai  vendue,  afin  de  vous  tromper. 
»  — Comment,  coquin!  — Ali!  calmez-vous, de {jrace, 

»  Vous  vieillissez,  et  le  travail  vous  lasse, 
»  Je  connais  vos  projets.  Eh  bien  !  à  votre  place , 
>)  Je  conduirai  votre  baîeau; 
«  Vous  lui  devez  votre  richesse  ; 
»  Je  veux  vous  imiter  et  servir  la  jounesse  ; 
»  En  fait  de  ruses ,  de  finesse , 
»  A  mon  âjje,  on  sait  du  nouveau. 
»  Tranquille,  heureux,  près  de  votre  famille 

»  Vous  passerez  des  jours  bien  doux! 
»  Vous  n'irez  pas  dîner  chez  votre  fille... 
»  Mais  elle  ira  dîner  chez  vous.  » 


LE    IlAISONiSlEMKjST 

DE  GROS  PIEIUIE. 


«  Ah  !  si  j'avais  un  écu  !  »> 
Disait  un  jour  le  (jros  Pierre 
A  son  compère  Ledru^ 
«  Va^  tu  ne  te  doutes  guère 
M  De  l'emploi  que  j'en  ferais! 
»  Avec  cet  écu,  j'aurais 
»  Un  joli  coq  pour  ma  poule; 
»  Ce  coq  vous  la  coquerait, 
»  Alors  ma  poule  pondrait  : 
»  Or,  d'un  aussi  joli  moule, 
»  Les  poulets  seraient  vendus 
))  La  douzaine  trois  écus. 
»  Avec  l'argent  de  la  vente 
»  Je  pourrais  avoir  du  grain; 
»  Avec  le  grain,  je  me  vante 
»  De  trouver  un  bon  terrain. 
»  Je  sais  cultiver  la  terre, 
»  Je  suis  actif,  vigilant, 
)j  Et  quand  un  propriétaire 
»  Me  connaîtrait  ce  talent, 


CONTES    EN    VERS.  ^ô 

«  On  m'offrirait  une  ferme  ; 

»  Je  la  prendrais  pour  trois  ans. 

»  Par  des  profits  innocens, 

»  Gageons,  au  bout  de  ce  terme, 

»  Que  je  me  trouve  de  quoi 

»  Avoir  une  ferme  à  moi. 

))  Ah!  c'est  alors,  mon  compère, 

))  Que  j'arrondirais  mon  bien  ! 

»  Je  connais  plus  d'un  moyen 

»  Pour  faire  rendre  une  terre 

)>  Quatre  fois  plus  qu  on  ne  croit. 

»  Dame!  ensuite  on  peut  s'étendre; 

>>  Pour  acheter  et  revendre 

»  Je  ne  suis  pas  maladroit; 

»  Enfin ^  par  mon  industrie, 

»  Je  deviendrai,  je  parie, 

)>  Le  plus  riche  de  l'endroit. 

»  —  Pardieu ,  mon  pauvre  ami  Pierre , 

»  S'il  ne  te  faut  qu'un  écu 

»  Pour  être  propriétaire, 

»  Tiens  le  voilà,  ditLedru; 

))  Cultive,  sème,  défriche, 

))  Plante,  achète,  deviens  riche; 

»  Alors,  chez  toi,  mon  garçon, 

»  Pour  prix  de  cette  misère, 

»  Tu  me  permettras,  j'espère, 

)i  D'aller  dîner  sans  façon.  » 

Maître  Pierre  fient  la  pièce, 
Son  compère  est  déjà  loin. 


iJ^  CONTES    EN    VERS. 

Quand  notre  homme  est  sans  témoin , 

Il  prend  l'écu ,  le  caresse , 

Puis...  oubliant  son  projet, 

Va  le  boire  au  cabaret. 

Le  soir,  quittant  sa  besofjne, 

Ledru  repasse  parla. 

Il  rencontre  notre  ivro{jne 

Qui  marche,  cahin,  caha... 

(<  Morbleu ,  »  lui  dit  le  compère, 

«  Dans  quel  état  te  mets-tu  ! 

»  Voilà  donc  de  mon  ccu 

»  L'emploi  que  tu  devais  faire  ! 

»  El  tes  plans  de  ce  matin... 

»  —  Ecoute  donc,  ))  répond  Pierre  ; 

»  Pour  être  riche,  compère, 

»  J'ai  pris  le  plus  court  chejnin  ; 

))  Va,  je  nar{ïue  la  misère! 

»  J'ai  bien  placé  mon  écu, 

»  Car,  mon  ami ,  quand  j'ai  bu  , 

»  C'est  à  moi  toute  la  terre.  » 


LE   RHUME. 


Zoé  logeait  chez  sa  tante, 
Zoé  n'avait  que  seize  ans; 
Mais  qu'elle  était  ravissante  ! 
Quels  rejjarJs  doux,  sédui>ans, 
Quels  contours  ,  quel  teint  de  rose, 
Quel  son  de  voix  cnthanleur  î 
Et  sur  sa  bouche  mi-close, 
La  volupté  qui  repose 
Semble  attendre  le  bonheur. 
Pourrait-on,  le  cœur  paisible, 
(^.onteni[)ler  autant  d'attraits! 
Moi ,  je  ne  croirai  jamais 
Que  la  chose  soit  possible; 
Aux  charmes  de  la  beauté 
Peut-on  rester  insensible, 
Quand  de  la  divinité 
Elle  est  la  plus  belle  image! 
Ah!  recevez  notre  houimaje, 
Sexe  fait  pour  l'inspirer  1... 
Vous  chérir,  vous  admirer, 
Est  notre  plus  doux  partage. 


^G  CONTES    EN    VERS. 

En  vain,  dans  son  froid  lan{jage, 
La  raison  veut  murmurer, 
L'Iiomme  heureux,  voilà  le  sa[jc  , 
Il  faut  donc  vous  adorer. 

Mais  de  Zoé  je  m'écarte, 

Ces  dames  vont  m'entraîner. 

Je  ne  puis  m'en  étonner. 

Je  perds  bien  vite  la  carte  ; 

Maintes  fois  un  air  mutin  , 

Une  gentille  figure , 

Pied  mignon  ,  leste  tournure 

M'ont  fait  perdre  mon  chemin. 

Revenons  à  la  fillette 

Dont  les  innocens  appas 

Faisaient  courir  sur  ses  pas 

Plus  d'un  conteur  de  fleurette. 

Mais  notre  tante  était  là 

L'œil  au  guet ,  l'abord  sévère  : 

A  la  nièce  on  pouvait  plaire; 

On  ne  pouvait  que  cela. 

Gros  soupir  ,  gentille  œillade , 

Petits  mots  à  la  passade, 

C'est  charmant;  mais  entre  nous  , 

On  ne  peut  passer  sa  vie 

A  s'en  tenir  aux  yeux  doux 

Auprès  de  feaniie  jolie. 

C'était  bon  du  temps  des  preux, 

Où  ,  dix  ans ,  près  de  sa  mie. 

L'amant  bornait  son  envie 

A  lui  parler  de  ses  feux. 


CONTES    EN    VERS.  ^IT 

Ce  temps ,  nous  l'employons  mieux, 

Et  (le  la  chevalerie 

Il  ne  nous  reste ,  je  crois , 

Que  ce  ton  galant ,  courtois , 

Ce  désir  de  plaire  aux  dames , 

Et  ce  vif  amour  des  femmes 

Qui  toujours  nous  restera 

Tant  que  le  monde  vivra. 

On  peut  changer  la  manière  ; 

Mais  ce  goût,  cet  amour-là, 

En  tout  temps  subsistera  , 

Et  sans  cesse  on  le  fera  ; 

Car  le  bon  Dieu ,  sur  la  terre  , 

Nous  a  placés  pour  cela. 

Or ,  un  jeune  militaire 
A  Zoé  cherchait  à  plaire. 
On  comprend  un  amoureux 
Par  le  langage  des  yeux  ; 
Et  la  petite  brunette 
Ne  demanderait  pas  mieux 
Que  d'écouter  en  cacliette 
D'un  amant  les  doux  aveux. 
Mais,  hélas  !  dans  sa  cliambrettc 
Si  par  ruse  il  pénétrait , 
Notre  tante  l'entendrait  ; 
Car  une  cloison  traîtresse 
Laisse  aisément  parvenir 
Jusqu'au  plus  léger  soupir 
Que  l'on  pousse  chez  la  ni<''cc. 
Etconiuicnt  près  d'un  amant 


^8  CONTES    EN    VERS. 

Se  livrer  au  sentiment, 

Au  plaisir ,  à  la  tendresse , 

Sans  laisser,  par-ci,  par-là, 

Echapper  dans  son  ivresse 

Un  soupir  qui  peint  cela? 

La  fille  la  plus  niaise 

Par  instinct  devine  bien 

La  forme  de  l'entretien 

Qui  doit  la  rendre  bien  aise. 

De  n'en  pouvoir  pas  jouir 

La  pauvrette  se  chagrine; 

On  ne  voit  plus  sur  sa  mine 

L'expression  du  plaisir; 

Déjà  semblent  se  flétrir 

Les  roses  de  son  visage  : 

Mal  d'amour  fait  grand  ravage  ! 

INotre  tante  s'aperçoit 

De  la  pâleur  de  sa  nièce; 

De  sa  secrète  tristesse 

La  bonne  femme  conçoit 

Une  vive  inquiétude. 

Et  lui  dit  :  ((  Qu'avez-vous  donc? 

»  Je  n'entends  plus  de  chanson  ? 

»  Ce  n'est  pas  votre  habitude, 

»  Vous  qui  chantiez  si  souvent, 

»  Quelquefois  même  en  rêvant  ; 

>)  Certes,  vous  êtes  malade  ; 

»  Femme  qui  ne  dit  plus  rien 

»  ISe  se  porte  pas  très-bien. 

»  Allons,  plus  de  promenade, 

»  Restez  au  lit  ;  dès  demain 


CONTES   EN   VERS.  '(Q 

»  Nous  aurons  le  médecin; 

)•>  II  faudra  bien  qu'il  nous  trouve 

)5  Un  remède  h  vos  douleurs. 

»  — lïélas  !  au  mal  que  j'éprouve,  » 

Répond  Zoé  tout  en  pleurs , 

«  Il  ne  pourra  rien  comprendre, 

»  Car  ma  souffrance  est  au  cœur. 

»  —  Taisez-vous  ,  notre  docteur 

»  Vous  dira  ce  qu'il  faut  prendre.  » 

Le  médecin  attendu 

Chez  la  nièce  s'est  rendu  ; 

Et  pour  première  harangue, 

Il  lui  fait  tirer  la  langue, 

Qu'il  regarde  fort  long-temps. 

Etudier  la  nature 

Sur  fillette  en  son  printemps, 

D'une  charmante  figure , 

Qu'on  doit  bien  apprendre  ainsi  !... 

Près  de  malade  jolie 

J'ai  bien  souvent  eu  l'envie 

D'être  médecin  aussi. 

Quand  le  nôtre  a  pu  s'instruire , 

Il  dit  :  «  C'est  le  froid,  le  chaud,  » 

Puis  ordonne  du  sirop  , 

\eut  qu'on  boive,  qu'on  transpire, 

Déclarant  qu'on  toussera, 

Et  qu'ensuite  on  guérira. 

Quand  il  est  loin ,  chez  la  tante 

Une  garde  se  présente. 

Son  abord  est  engageant , 


50  CONTES    EN   VERS;' 

Elle  paraît  complaisante 
Et  demande  peu  d'argent. 
De  l'arrêter  on  s'empresse. 
«  Il  faudra  passer  la  nuit 
))  Et  faire  boire  ma  nièce 
M  Tous  les  quarts  d'heure.  — Il  suffit 
»  Auprès  de  mademoiselle 
»  Je  ne  m'endormirai  pas  ; 
\  »  J'aurai  toujours  l'œil  sur  elle. 
>>  — Je  vous  retiens  en  ce  cas.  » 

La  garde  au  logis  demeure , 
Tout  étant  bien  convenu  ; 
Lorsque  le  soir  est  venu, 
La  tante  ,  qui  de  bonne  heure 
Ya  toujours  se  mettre  au  lit , 
Se  retire  à  petit  bruit. 
Vous  devinez ,  je  le  gage , 
(]e  qu'alors  la  garde  fit  : 
Jetant  bonnet  et  corsage, 
Et  tout  son  accoutrement, 
Zoé  revoit  son  amant , 
Qui  pour  arriver  près  d'elle 
A  pris  ce  déguisement. 
A  l'ordonnance  fidèle  , 
Il  administre  à  sa  belle 
Un  remède  pour  son  mal  ; 
Mais  une  vieille  couchette 
Ya  déranger  tout  le  bal 
Par  son  allure  indiscrète. 
Comment  donc  faire  cesser 


CONTES    EN    VERS.  SI 

Un  bruit  qui  peut  à  la  vieille 

Mettre  la  puce  à  l'oreille  ? 

Tout  bas  notre  amant  conseille 

A  sa  belle  de  tousser. 

Zoc  comprend  à  merveille, 

Elle  tousse  avec  succès; 

Son  rhume  a  plus  d'un  accès. 

Mais  la  tante  se  réveille. 

«  Oh  !  dit-elle,  qu'est-ce  là  ? 

»  Quoi  Zoé  tousse  déjà  , 

»  A  peine  si  je  la  quitte. 

»  —  C'est  l'effet  de  son  sirop,  » 

Répond  la  garde  aussitôt. 

«  —  Oh  !  comme  il  opère  vite  ' 

»  Tousse,  tousse,  ma  petite, 

»  Et  cela  te  guérira. 

))  —  Oui,  je  l'éprouve  déjà  ; 

»  Je  vous  assure,  ma  tante , 

))  Que  je  me  sens  beaucoup  mieux  ; 

»  Ce  sirop  est  précieux , 

»  J'en  suis  vraiment  fort  conleifle. 

»  — Allons,  c'est  bien  ;  en  ce  cas, 

))  Tousse  ,  ne  te  gêne  pas.  » 

Avec  plaisir  on  profite 
De  cette  permission  , 
Et  pour  tousser  la  petite 

Prend  moins  de  précaution. 

Le  jour  vient,  le  rhume  cesse, 

On  n'en  a  pas  un  accès  ; 

Mais  avec  la  nuit ,  la  nièce 


22  CONTES    EN    VERS. 

Tousse  plus  fort  que  jamais. 

Une  semaine  se  passe. 

«  Quand  cela  doit-il  finir?  » 

Dit  la  vieille,  qui  se  lasse 

De  ne  plus  pouvoir  dormir  ; 

((  Comme  ce  rhume  est  tenace  ! 

»  Le  jour,  par  quel  talisman 

»  IS'en  ressens- tu  point  d'atteintes? 

»  Et  la  nuit  ce  sont  des  quintes 

»  A  me  crever  le  tympan. 

»  —  De  cesser,  »  répond  la  garde , 

<(  Il  est  possible  qu'il  tarde, 

»  C'est  un  catarrhe ,  je  crois. 

»  - —  Un  catarrhe. . .  Ah  !  sur  ma  foi, 

»  Ce  serait  une  folie 

»  Si  je  vous  gardais  ,  ma  mie. 

»  Un  catarrhe...  on  verra  bien  ! 

»  Mais  je  n'ai  pas  le  moyen 

»  De  payer  toute  ma  vie 

n  Des  gardes  pour  la  soigner; 

»  Je  saurai  bien  lui  donner 

»  Ce  que  prescrit  Tordonnance  ; 

t)  Prenez  l'argent  que  voici  ; 

»  Adieu  doncj  votre  présence 

))  IN'est  plus  nécessaire  ici.  » 

A  cela  que  peut-on  dire  ? 

Rien;  il  fallut  obéir. 

Notre  garde  se  retire 

En  poussant  un  gros  soupir. 

La  nuit,  auprès  de  sa  uiccc 


CONTES    EN    VERS.  23 

La  tante  prétend  veiller. 

«  Oh  !  vous  pouvez  sommeiller,  » 

Dit  la  belle  avec  tristesse. 

—  Cependant ,  si  tu  tous;?a!s. 

—  Je  ne  le  puis  désormais  ! 

—  Tu  te  eruis  déjà  bien  forte  ! 
Mais  ton  rhume  est-il  mûri  ? 

—  Il  faut  bien  qu'il  soit  guéri , 
Vous  l'avez  mis  à  la  porte.  » 


LE  PAYSAN  AMBniEUX. 


Dans  une  riante  campagne 
Qu'une  rivière  avoisinait, 
Sur  le  penchant  d'une  montagne 
Qu'un  joli  Lois  environnait , 
On  voyait  sY'lever  maisonnette  charmante, 
Recevant  du  soleil  la  chaleur  bienfaisante, 
Et  dont  un  grand  clos  dépendait. 
Cette  maison  Thomas  la  possédait- 
Là  ,  sans  effort  et  presque  sans  culture, 
Un  terrain  nourricier ,  aimé  de  la  nature, 
Au  villageois  donnait  de  quoi  faire  son  pain  , 
Des  légumes ,  des  fruits  ;  aux  treilles  du  jardin 

Pendait  un  excellent  raisin  , 
Dont  le  jus  le  faisait  chanter  sous  la  feuillée, 
Et,  dans  l'hiver,  animait  la  veillée 

En  mettant  tout  le  monde  en  train. 
Pour  lui  tenir  fidèle  compagnie , 
Il  possédait  ménagère  jolie, 
Des  marmots  qui  le  cajolaient, 
Et,  presque  tous,  lui  ressemblaient. 
Que  follait-il  de  plus  pour  passer  douce  vie  ! 
Thomas  pourtant  ne  se  croit  pas  heureux, 
Il  est  triste,  rêveur,  ne  peut  tenir  en  place. 


CONTES    EN    VERS.  25 

Il  paraît  mécontent,  au  ciel  lève  les  yeux, 
De  son  bonheur  tranquille  il  s'ennuie,  il  se  lasse, 
Le  pauvre  homme  est  ambitieux  : 
Il  voudrait  habiter  la  ville  , 
Faire  fortune,  avoir  une  maison, 
Des  valets,  des  chevaux,  un  carrosse,  un  grand  ton!.. 
Tout  cela  lui  semble  facile  : 
Son  gros  cousin ,  ancien  barbier. 
D'un  grand  seigneur  est  bien  devenu  cuisinier  ! 
Et  depuis  qu'un  jour  au  village 
Ce  cousin  a  porté  ses  pas. 
Son  nez  rouge,  son  ventre,  et  son  large  visage. 

Ont  troublé  l'esprit  de  Thomas. 
Les  jeux  de  ses  enfans  ont  cessé  de  lui  plaire. 
Il  néglige  sa  ménagère  ; 
Le  plaisir  a  fui  de  son  toit. 
En  vain  le  pasteur  de  l'endroit , 
Q\i\  de  son  mal  connaît  la  cause. 
Cherche  à  le  ramener  à  d'autres  sentimens 

En  lui  disant  :  «  D'où  naissent  vos  tourmcns  ? 
))  Vous  manque-t-il  donc  quelque  chose 
»  De  nécessaire  à  la  félicité  ;' 
))  Vous  êtes  laboureur;  cet  état  honorable 
»  Vous  attire  l'estime  et  vous  rend  respectable  ; 
»  Votre  femme  aux  attraits  joint  aussi  la  bonté  , 
»  Vosenfans  sont  charmans,  chacun  d'eux  vousadorc, 

»  Voyons,  que  vous  faut-il  encore  ? 
»  Des  richesses  ?. . .  Mais  non  ,  ce  terrain  vous  suffit  ; 
)i  Vous  avez  même  de  l'aisance, 
»  Et  vous  pouvez,  grâces  à  son  [)roduit, 
»  Aider,  secourir  l'indigence; 


26  GONTLS    EN    VERS. 

))Ali  !  mon  pauvre  Thomas,  que  voulez-vous  demieux. 
»  Trouveriez-vous  en  d'autres  lieux 
»  L'heureuse  paix  de  ce  séjour  champêtre? 
»  Ici  vous  êtes  né,  bornez  votre  désir 
»  A  ne  plus  le  quitter  :  il  est  doux  de  mourir 
»  Sous  le  toit  qui  nous  a  vu  naître.  » 

Mais  ces  discours  sont  superflus  : 
Depuis  long-temps  Thomas  n'écoute  plus 
Du  pasteur  le  touchant  langage; 
Chaque  soir,  c'est  sous  le  feuillage 
D'un  vieux  chêne  de  son  jardin  , 
Qu'il  va  rêver  à  sa  folie, 
Et  qu'il  cherche  par  quel  chemin 
Il  satisfera  son  envie 
Et  pourra  changer  son  destin. 

Un  jour  que  ,  selon  sa  coutume, 
Dans  ses  rêves  brillans  Thomas  est  enfoncé, 
Suivant  l'ambition  qui  toujours  le  consume, 

Vers  la  ville,  d'un  pas  pressé 
Le  voilà  qui  se  rend.  Il  y  connaît  du  jnonde  ; 
Sa  bourse  est  bien  garnie,  il  avait  amassé 
Quelques  écus  ;  si  le  sort  le  seconde , 

Cet  argent,  étant  bien  placé  , 
Va  lui  rapporter  gros.  De  joie  il  perd  la  tête, 
Il  va  donc  devenir  un  monsieur,  s'enrichir! 
A  la  ville ,  en  effet ,  ses  amis  lui  font  fête  , 

Et  promettent  de  le  servir. 

Dans  l'ivresse,  Thomas  oublie, 

Sa  femme ,  ses  jeunes  cnfans 


CONTES    EN    VERS.  27 

Et  sa  maisonnette  et  ses  champs. 
Il  fait  de  grands  projets,  cliacun  lui  certifie 
Qu'il  peut  aller  à  tout  par  sa  capacité. 
Déjà  bouffi  de  vanité , 
Le  villageois  se  croit  capable 
Jusqu'aux  premiers  emplois  de  parvenir. 
Le  pauvre  sot  !  mais  est-il  plus  blâmable 
Que  tant  de  gens  qui  brûlent  du  désir 
D'avoir  un  poste  éminent,  honorable, 
Sans  s'être  demandé  s'ils  pourront  le  remplir: 


,-.  "> 


En  espérance  ainsi  le  temps  se  passe  ; 
Mais  Thomas  voit  la  fin  de  ses  écus. 

La  scène  alors  change  de  face  : 
On  semble  l'éviter,  on  ne  lui  répond  plus, 

Ou  bien  on  rit  de  son  langage. 
De  ses  prétentions  ;  chacun  le  montre  aux  doigts  j 

On  se  moque  du  villageois 

Qui  veut  être  un  grand  personnage. 
Thomas  honteux,  chei^che  à  se  retourner  j 
Il  se  perd  encor  plus  ;  il  joue,  il  fait  des  dettes, 

On  va  le  faire  emprisonner... 
Il  fuit  sans  réparer  les  pertes  qu'il  a  faites; 
Il  quitte  ce  Paris  qu'il  maudit  dans  son  cœur  ! 
Y  laissant  son  repos,  sa  fortune  et  l'honneur. 

Pâle,  défait,  il  revient  au  village  ; 
Déjà  de  sa  maison  ses  yeux  cherchent  le  toit... 
Il  espère  y  trouver  le  calme  après  l'orage  !... 
Il  s'avance...  grand  Dieu  !  c'était  dans  cet  endroit. 

Du  feu  le  terrible  ravage 
A  détruit  6u  demeure  et  dévasté  ses  champs  t... 


28  CONTES    EN    VERS. 

Thomas  court  éperdu...  sa  femme...  ses  enfans... 
Quesont-ilsdevcnus...  il  tremble...  il  craint  d'apprendre 
Quelque  nouveau  malheur.  Dieu  '.que  vient-il  d'entendre! 

Sa  femme  est  morte  de  cliagrin, 

Et  ses  enfans  dans  la  misère 

Demandent  maintenant  leur  pain  , 

Près  des  débris  de  sa  chaumière. 

C'est  là  que  leurs  voix  chaque  jour, 

Au  Ciel  adressent  leur  prière  ; 

Ils  implorent  Dieu  pour  leur  père, 

Et  lui  demandent  son  retour. 

Qui  pourrait  supporter  une  douleur  pareille  ?... 
Thomas  jette  un  grand  cri. . .  tous  ses  sensont  frémi. . . 
Sa  femme,  ses  enfans,  sont  assis  sous  la  treille, 
A  ses  côtés...  il  les  voit...  il  s'éveille... 

Dans  son  jardin  il  s'était  endormi , 
Et,  sans  quitter  le  pied  de  son  vieux  chêne. 

Il  avait  fait  son  voyage  à  Paris. 
«  Se  pourrait-il...  0  mes  amis  !... 
Dit  Thomas  qui  respire  à  peine  ; 

C'était  un  songe...  ah  !  qu'il  était  affreux  !... 

De  vous  revoir  que  je  me  trouve  heureux  ! 
Près  de  vous  désormais,  je  veux  passer  ma  vie., 
Ah  1  plus  d'ambition,  plus  de  sotte  manie  ! 
Ce  songe  m'a  guéri . . .  mon  cœur  est  soulagé  ! . . . 

Heureux  qui  de  sa  folie 
Par  un  rêve  est  corrigé  ! 


LE   VIEUX   FOU. 


Le  bon  La  Fontaine  l'a  dit  : 

«  Ne  forçons  jamais  notre  esprit , 

»  Nous  ne  ferions  rien  avec  grâce.  » 

Il  en  est  ainsi  des  amours  ; 

Le  temps  en  a  réglé  le  cours, 

Il  faut  que  tout  soit  à  sa  place , 
N'attendons  pas  l'âge  des  souvenirs 
Pour  nous  livrer  à  d'amoureux  désirs. 

Cédons  gaîment  dans  la  jeunesse 

Au  doux  penchant  de  notre  cœur  ; 

Mais  gardons-nous,  dans  la  vieillesse, 
De  vouloir  inspirer  une  amoureuse  ardeur. 

Dès  que  les  rides  du  visage 

Viennent  vous  dire  :  Soyez  sage , 

Il  faut  écouter  leur  avis. 

Tout  l'attirail  de  la  toilette, 

Ton  sémillant,  mise  coquette, 
D'un  vieillard  ne  ferontjamais  un  Adonis. 

Enfin  n'imitons  point  cet  homme 

Qui ,  ne  voulant  pas  •'•trc  vieux , 
(^rut  trouver  un  moyen  de  conserver  ses  leiix. 

Ecoutez-moi  bien,  voici  comme  : 


50  CONTES    EN    VERS. 

Jusqu'à  l'ûge  de  soixante  ans 
II  pensa  devoir  être  sage  ; 
Alors  à  ses  désirs  nais^ans 
Il  crut  pouvoir  se  livrer  davantage. 
Le  vieux  fou  se  disait  tout  Las  : 
«  Lorsqu'à  dix-huit  ans  on  commence  , 
»  On  en  a  près  de  trente  à  montrer  sa  vaillance; 
»  Je  vais  me  trouver  dans  ce  cas. 
»  Je  commence,  et  pour  plaire  aux  belles , 
»  J'ai  près  de  trente  ans  devant  moi. 
»  Je  prétends  être  adore  d'elles; 
0  Je  le  puis  aisément,  je  crois, 
»  A  mes  vœux  elles  vont  se  rendre , 
)i  J'ai  ce  qu'il  faut  pour  les  cliariner  : 
»  Je  suis  novice,  elles  vont  prendre 
»  Un  grand  plaisir  à  me  former.  » 

Notre  vieux  fou  dans  le  monde  se  lance, 
Il  fait  le  gentil,  l'enfantin , 
Et,  près  de  la  beauté,  singeant  le  chérubin  , 
D'un  jeune  adolescent  affecte  l'innocence. 
Mais  pour  prix  de  ses  petits  mots  , 
De  ses  soupirs,  de  ses  grimaces, 
Les  femmes  lui  tournent  le  dos  : 
Le  ridicule  effarouche  les  grâces. 
Voulant  plaire,  charmer,  malgré  ses  soixante  ans, 
Le  vieillard  fouille  en  sa  cassette, 
Il  y  prend  la  seule  recette 
Que  l'on  puisse  opposer  aux  outrages  du  temps. 
Avec  son  or  il  séduit  une  belle. 

«  Tu  n'as  que  vingt  ans,  lui  dit-elle , 


CONTES    EN    VERS.  3i 

»  Tu  ne  les  parais  pas,  d'iionneur; 
»  Je  prétends  te  former,  oui,  je  sens  que  je  t'aime  : 
»  Pour  moi  quelle  douceur  extrême 
»  D'avoir  l'étrenne  de  ton  cœur  !  » 
A  ce  discours  qui  le  comblait  d'ivresse , 
Le  novice  fit  ce  qu'il  put 
Pour  prouver  sa  verte  jeunesse  ; 
Et  qu'en  arriva-t-il  de  sa  belle  prouesse? 
Le  lendemain  notre  vieux  fou  mourut. 

Il  est  des  plaisirs  pour  chaque  âge , 
Ne  changeons  point  l'ordre  du  temps. 
Que  l'enfant  goûte  sans  orage 
Les  illusions  du  printemps  ; 
Laissons  l'amour  a  la  jeunesse  , 
Plus  tard  la  raison  doit  venir  ; 
Et ,  pour  charmer  notre  vieillesse , 
Contentons-nous  du  souvenir. 


LE  MARI 

QUI  JOUE  DE  LA  FLUTE. 


Certain  époux  était  grand  amateur 
De  musique,  et  surtout  de  flûte. 
Pour  cet  instrument,  plein  d'ardeur, 
Dès  le  matin,  il  exécute 
Rondeau,  sonate,  adagio; 
De  ses  voisins  il  blesse  les  oreilles. 
Mais  croyant  faire  des  merveilles, 
Il  les  régale  de  solo. 
Notre  musicien  avait  femme  jolie  , 

Jeune,  bien  faite,  et  d'un  noble  maintien; 
Mais  jusques  à  l'excès  poussant  la  pruderie. 
De  lui  conter  fleurette  il  n'était  pas  moyen. 

D'un  seul  mot  de  galanterie 
Madame  se  fâchait ,  et  sa  sévérité 
Faisait  fuir  les  galans  qu'attirait  sa  beauté. 
L'époux  d'un  tel  tendron ,  sans  craindre  y)()ur  sa  tête, 
Sur  les  maris  trompés  peut  lancer  des  rébus. 
Mais  de  ces  démons  de  vertus 
On  voit  souvent  l'humeur  à  la  tempête! 


CONTES    EN    VERS.  33 

Notre  Lucrèce  en  est  un  exemple  de  plus  : 

Elle  est  emportée  et  colère; 
Pour  un  mot  se  fâchant,  son  aigre  caractère 

Bannit  la  paix  de  sa  maison  ; 
Et  chaque  jour  changeant  de  valet,  de  servante, 
Madame,  dont  le  ton  interdit,  épouvante. 
Se  croit  douce  comme  un  mouton. 
Son  mari,  d'humeur  fort  tranquille. 
Est  heureux  quand  il  peut  souffler  quelque  rondeau. 

Mais  un  jour  voici  du  nouveau  : 
La  flûte ,  de  madame  échauffe  encor  la  bile  ; 
Elle  ne  peut  souffrir  cet  instrument. 
«  Entendons-nous,  dit  l'époux,  un  moment; 

M  Avec  vous  je  prétends,  ma  chère, 
»  Faire  un  marché;  de  grâce  écoutez-moi  : 
;)  Vous  vous  mettez  fort  souvent  en  colère, 
»  J'aime  la  paix  ,  je  me  fais  une  loi 
»  De  ne  me  point  mêler  dans  aucune  dispute: 
»  Mais  dès  que  vous  crîrez  je  jouerai  de  la  flûte. 
»  Cet  instrument  me  sauvera 
»  L'ennui  de  toujours  vous  entendre  ; 
»  Vous  crîrez  tant  qu'il  vous  plaira  ! 
»  Vous  ne  pourrez  me  le  défendre,  n 

Madame  accepte  de  bon  cœur; 
En  elle,  ayant  beaucoup  de  confiance, 

Elle  se  dit  :  «  Par  ma  douceur 
»  Je  saurai  bien  le  forcer  au  silence.  » 
Au  mari  le  marché  plaisait; 
Il  savait  bien  ce  qu'il  faisait. 
A  se  taire  un  instant  sa  femme  en  vnin  se  butte, 

3 


^A  CONTES    EN    VERS. 

Bientôt  il  peut  prendre  sa  flûte , 
Madame  cric...  En  son  appartement 
L'époux  va  s'enfermer^  et  sur  son  instrument 

Notre  homme  s'en  donne  à  son  aise, 
Plus  il  entend  crier  et  plus  il  souffle  fort  : 
Pauvres  voisins,  que  je  plains  votre  sort! 

Quand  un  moment  cela  s'apaise 
L'instant  d'après  la  flûte  chante  encor, 
JN'espérez  pas  que  l'un  des  deux  se  taise. 

Notre  amateur,  par  ce  moyen . 
Sur  la  fli^ite  commence  à  jouer  assez  bien. 
Madame  ,  cependant,  que  la  musique  ennuie 

De  crier  se  corrige  un  peu. 

L'époux  craint  pour  sa  mélodie 

De  ne  plus  avoir  si  beau  jeu; 
Mais  un  événement  vient  servir  sa  folie  : 
Un  jeune  militaire  ardent ,  impétueux , 

De  notre  belle  est  amoureux. 

Son  ton  hautain  ,  son  air  sévère. 

Son  regard  fier  et  dédaigneux , 

Rien  ne  peut  éteindre  ses  feux  ; 

Et  les  obstacles ,  au  contraire. 

Ont  plus  de  charmes  à  ses  yeux. 

Une  conquête  trop  facile 

Pour  un  galant  a  peu  de  prix  ; 
De  celle  que  l'on  voit  manquer  au  plus  habile 

Nous  sommes  toujours  plus  épris. 

Notre  amoureux,  afin  de  s'introduire, 
Se  déguise  en  valet  normand. 


CONTES   EN    VERS.  35 

Chez  madame  il  se  fait  conduire, 
Sachant  que  de  valet  on  change  à  tout  moment. 

D'un  air  niais  il  se  présente 

En  saluant  bien  gauchement; 

On  vient  de  chasser  la  servante, 
Et  madame,  à  l'essai,  consent  à  le  garder. 
C'est  tout  ce  qu'il  voulait;  il  est  près  de  sa  belle. 
Il  faut  en  profiter,  il  faut  tout  hasarder. 

Dès  qu'il  se  voit  seul  avec  elle , 
Dans  un  boudoir  touchant  la  chambre  du  mari , 
Il  se  jette  à  ses  pieds ,  il  déclare  sa  flamme. 

«  O  ciel!  ô  trahison  infâme!...  » 

Dit  la  dame  en  jetant  un  cri. 
A  peine  il  part  que  l'époux  prend  sa  flûte 
En  disant  :  «  Nous  avons  un  serviteur  nouveau , 

»  Je  vais  jouer  plus  d'un  morceau, 

M  J'entends  déjà  qu'on  se  dispute.  » 

En  effet,  madame  criait, 
Et  des  noms  de  monstre,  de  traître. 
Elle  appelait  l'amant,  mais  celui-ci  riait  : 
La  flûte  couvrait  tout,  il  pouvait  se  permettre 
Mille  témérités.  Avec  son  instrument 
Le  mari  l'accompagne,  il  marque  la  mesure; 

Pour  commencer  il  joue  une  ouverture. 
Le  bruit  augmente...  il  presse  encor  le  mouvement, 
Distinguant  la  voix  de  fa  femme 
Qui  de  temps  en  temps  crie  encor, 
Sur  sa  flûte  il  joue  à  madame  : 
((  Tu  triomphes,  bel  Alcindor.  » 
A  son  secours  son  épouse  l'appelle, 


5G  CONTES   EN    VERS. 

«  Bon,  bon,  »  dit-il,  «  va,  fais  ton  bacclianal, 

))  Mais  du  diable  si  je  m'en  mêle! 

»  Je  vais  te  jouer  un  final.  » 
Les  cris  cessent  enfin.  Servi  par  la  musique , 
J'ignore  si  l'amant  est  devenu  vainqueur. 
Mais  je  vois  que  la  dame  est  tendre ,  laconique, 

Et  que  l'époux  est  en  sueur. 
«  Ouf,  »  se  dit-il ,  u  il  faut  que  je  respire; 
))  Je  crois  que  c'est  fini.  Que  l'on  a  tort  de  dire  : 
))  Souffler  n'est  pas  jouer!  dedans  cet  instrument 
»  Quand  je  souffle  on  devrait  me  faire  compliment  ; 
»)  Maisjen'entends  plusrien,  rendons-nous  chez  ma  femme.  » 
»  Il  entre;  le  galant  avait  quitté  la  dame. 
«  Eii  bien  !  »  dit  le  mari ,  ((  la  belle  occasion 

))  Tu  viens  de  me  donner,  ma  chère  ! 

»  Pendant  ton  accès  de  colère, 

))  Je  t'ai  joué  ma  variation , 
»  Elle  est  en  mi  majeur...  A  ton  valet,  je  gage , 
»  Tu  donnais  son  congé  ?  —  Non ,  je  le  formerai  ; 
»  Et  puisqu'il  est  entré,  je  crois  qu'il  est  plus  sage 
))  De  m'en  servir,  et  je  le  garderai. 
»  —  Gardons-le,  soit!  il  paraît  un  peu  brute; 
»  Mais  pour  le  dégourdir  tu  t'y  prends  comme  il  faut. 
))  Quant  à  moi,  je  prévois  que,  grâce  à  ce  nigaud  , 

»  Je  joûrai  souvent  de  la  flûte.  » 


LA   PRÉFÉIIEISCE. 


De  deux  garçons  une  veuve  était  mère , 
Tous  deux  par  la  nature  étaient  avantagés, 
En  talens,  en  esprit,  de  même  partagés, 
Egalement  tous  deux  devaient  lui  plaire. 

Mais  l'un  était  le  favori; 

Par  une  injuste  préférence 
On  délaissait  Chariot,  Alfred  était  chéri. 

Nous  en  avons  l'expérience , 
Trop  de  parens  se  conduisent  ainsi  î 
Leur  cœur  faible  avec  l'un,  pour  l'autre  est  endurci  : 
Pourquoi  donc  voir  l'un  d'eux  avec  indifférence  , 
Et  ne  devons-nous  pas ,  en  leur  donnant  le  jour. 

Leur  donner  aussi  notre  amour? 

Ne  les  avons-nous  mis  sur  terre 
Que  pour  clioisir  celui  qui  nous  paraît  charmant  ? 
11  n'en  est  point  de  laid  pour  les  yeux  d'un  bon  père  j 
Et  qui  donc  essuîra  les  larmes  d'un  enfant. 

Si  ce  n'est  la  main  de  sa  mère  ? 

Bientôt  arrive  a  nos  deux  fils 
Ce  qui  toujours  suit  cette  préférence  : 
Entre  eux  d'abord  égale  ressemblance , 


58  CONTES    EN    VERS. 

Ils  sont  doux,  vertueux,  soumis; 

Mais  bientôt  celui  qu'on  préfère 

Prend  un  peu  plus  de  liberté  j 
Impunément  il  fait  sa  volonté, 
Se  livre  à  tous  ses  goûts,  suit  son  humeur  légère. 
Certain  par  son  esprit,  sa  grâce,  sa  gaîté. 
De  se  faire  toujours  pardonner  par  sa  mère. 
Chariot  (c'est  l'autre  fils) ,  ne  lui  ressemble  plus , 
Il  est  triste,  rêveur,  il  passe  sa  journée 
Assis  dans  quelque  coin  ;  ses  traits  sont  abattus , 

Et  sa  langue  semble  enchaînée. 

Jamais  un  regard,  un  seul  mot 

Ne  s'adresse  au  pauvre  Chariot  î 
Ce  nom  de  fils,  si  doux  quand  sa  mère  le  donne. 
C'est  pour  son  frère  seul  qu'il  l'entend  proférer. 

Pauvre  petit!  et  Ton  s'étonne 

De  te  voir  si  souvent  pleurer! 

Mais  bientôt  une  maladie 
De  la  maman  met  les  jours  en  danger. 

Alfred  poursuit  son  train  de  vie 
Sans  paraître  inquiet,  sans  même  s'affliger; 
A  des  valets  recommandant  sa  mère , 

Il  n'approche  plus  de  son  lit. 

Chariot  fait  alors  le  contraire  : 

A  côté  d'elle  il  s'établit  ; 
Il  ne  la  quitte  plus  ;  jour  et  nuit  il  la  veille. 
Trop  heureux  de  pouvoir,  pendant  qu'elle  sommeille, 

Contempler  ses  traits  à  loisir; 

Bonheur  dont,  depuis  son  enfance. 

Chariot  n'a  pas  osé  jouir  ! 

Car  il  tremblait  en  sa  présence. 


CONTES    EN    VERS.  50 

Grâce  à  ses  soins  sa  mère  est  beaucoup  mieux  ; 
Elle  voit  de  Chariot  la  douceur,  la  constance, 
Elle  rougit  de  son  injuste  préférence, 
Le  bandeau  tombe  de  ses  yeux!... 
Mais,  contrainte  encore  au  silence, 
Elle  voudrait...  et  ne  peut  exprimer 
Son  repentir  et  sa  reconnaissance; 
Cédant  au  sentiment  qui  vient  de  l'animer, 
A  Chariot  elle  tend  sa  main  avec  tendresse  , 
Balbutiant  :  «  C'est  toi ,  mon  fds !...  » 
Par  ce  doux  liom ,  cette  caresse , 
Le  pauvre  enfant  est  tout  surpris; 
Ce  ne  peut  être  à  lui  qu'elle  s'adresse  : 
Son  fils!...  «  Hélas!  répond-il  aussitôt, 

«  Non,  maman,  ce  n'est  que  Chariot...  » 
Ce  mot  valait  une  leçon  sévère; 
Il  corrigea  l'injuste  mère. 
L'amour  de  nos  enfans  de  nos  soins  est  le  prix , 
Mais  pour  l'un  d'eux  point  d'aveugles  i'aibhîsses  : 
Dans  notre  cœur  qu'ils  soient  tous  réunis; 
Peut-il  encor  se  croire  notre  fils 
Celui  que  nous  avons  privé  de  nos  caresses  ? 


LES  DEUX  AMIS. 


Jadis ,  deux  jeunes  amis , 
Par  serment  s'étaient  promis 
De  partager  leur  fortune, 
De  rendre  chose  commune 
Ce  qu'un  fortuné  destin 
(  Car  nous  avons  tous  le  nôtre  ), 
Quelque  coup  du  sort  enfin 
Pouvait  à  l'un  comme  à  l'autre 
Envoyer  un  beau  matin. 
Tout  jeune  ainsi  l'on  se  lie , 
Et  de  tenir  son  serment 
On  a  la  sincère  envie  ; 
En  avançant  dans  la  vie 
On  pense  différemment  j 
L'âge  arrive ,  l'on  oublie 
Les  sermens  de  l'amitié  ; 
Et  souvent  de  la  promesse 
Que  l'on  fît  dans  sa  jeunesse 
On  sourit  avec  pitié. 
Mais  revenons  à  l'histoire 
Que  j'avais  à  vous  conter; 
I\os  amis,  j'aime  à  le  croire, 


CONTES   EN    VERS.'  Ai 

Montreront  plus  de  mémoire 
Que  ceux  que  j'allais  citer. 

L'un  d'eux  se  met  en  voyage  ; 

Se  fait  marchand,  muletier, 

Soldat,  acteur,  gazetier. 

Pauvre  dans  chaque  métier, 

Il  supporte  avec  courage 

Les  mauvais  coups  du  destin , 

Et  sans  le  sol  un  matin 

S'en  revient  dans  son  village. 

Dans  son  domaine  agrandi 

Son  ami  s'est  arrondi  ; 

Il  a  fait  un  héritage, 

De  plus  un  bon  mariage 

Avec  un  riche  tendron  j 

Bref,  il  mène  douce  vie , 

Car  il  a  femme  jolie ,  i    ' 

Bon  vin  et  belle  maison. 

«  Pardieu  ,  dit  le  pauvre  hère, 
»  J'ai  fort  bien  fait  d'arriver  ; 
»  Courons  vite  le  trouver  , 
»  Je  ne  crains  plus  la  misère  1 
»  Par  lui ,  j'aurai  des  emplois  j 
))  Il  se  souviendra  ,  j'espère  , 
»  De  nos  sermens  d'autrefois.  » 
Puis  sans  tarder  davantage  , 
Il  va  chez  le  gros  bourgeois 
Dans  son  modeste  équipage. 


4^  CONTES    EN    VERS. 

Vous  croyez  que  celui-ci 
Au  nez  lui  ferme  la  porte? 
Vous  vous  trompez  ;  Dieu  merci , 
Ce  n'est,  ma  foi,  pas  ainsi 
Que  mon  riche  se  comporte. 
Au  pauvre  il  dît  :  »  Tu  n'as  rien  ? 
))  Il  faut  donc  que  je  t'en  cède  , 
))  Tu  partageras  mon  bien 
))  Et  tout  ce  que  je  possède. 
»  Va,  je  n'ai  pas  oublié 
))  Qu'à  toi  je  me  suis  lié  ; 
»  Je  dois  tenir  ma  promesse, 
))  Mon  cher,  n'en  sois  pas  surpris  , 
»  Tout  est  commun  entre  amis.  » 
De  le  loger  il  s'empresse  ; 
Son  hôte  est  choyé,  fêté, 
Dans  la  maison  on  l'installe. 
On  l'habille  ,  on  le  régale. 
Bref,  il  peut  en  liberté 
Disposer,  commander  même. 
Ce  riche  est  fort  obligeant  : 
Placer  ainsi  son  argent , 
C'est  mériter  qu'on  nous  aime. 
Mais  vovez  comme  le  sort 
Quelquefois  nous  récompense  ; 
Puis  étonnez-vous  encor 
Qu'on  blâme  la  Providence. 
Chaque  matin  notre  époux 
Va  de  bonne  heure  à  la  chasse , 
C'est  pour  lui  plaisir  si  doux 
Que  jamais  il  ne  s'en  lasse. 


CONTES    EN    VERS.  43 

On  le  voit^  tel  temps  qu'il  fasse, 

S'en  aller  chercher  les  loups. 

Or  j  un  jour  à  peine  il  quitte 

Jeune  femme  et  lit  Lien  chaud  , 

Que  d'une  douleur  subite 

Il  est  atteint.  Tout  penaud,  .  ;  ({ 

Il  est  forcé  de  reprendre 

Le  chemin  de  sa  maison  , 

Où  l'on  est  loin  de  l'attendre  ! 

Car  son  ami ,  sans  façon , 

Avait  déjà  pris  la  place 

Que  ,  pour  aller  à  la  chasse , 

Chaque  matin  il  laissait  ; 

Et  près  de  la  jeune  femme 

Rempli  d'ardeur  et  de  flamme 

En  époux  il  agissait. 

«Ah  !  scélérat,  monstre  infâme, 

»  Dit  le  chasseur  furieux , 

))  Faut-il  en  croire  mes  yeux  ! 

))  De  mes  bienfaits,  malheureux , 

»  Voilà  donc  la  récompense  ! 

»  Tu  trahis  ma  confiance  ! 

))  Tu  me...  —  Pourquoi  ce  courroux  ?  » 

Dit  l'autre  avec  indolence; 

((  A  qui  diable  en  avez-vous? 

»  Et  qu'est-ce  qui  vous  offense  ? 

))  Rappelez  à  votre  esprit 

»  Le  serment  que  chacun  fit  : 

»  Entre  nous  même  fortune  , 

«  Et  toute  chose  commune. 

»  Vous-même  avez  dit  aussi 


Ai  CONTES    EN  VERS. 

))  Quand  je  revins  au  village: 
((  Ce  que  je  possède  ici 
»  Qu'avec  toi  je  le  partage 
»  Mon  bonheur  sera  parfait  !...  » 
))  J'ai  cru  ,  d'après  ce  langage  , 
»  Que  votre  femme  en  était.  » 


LES  DEUX  FRERES. 


Dans  une  province  de  France , 
Dont  j'ignore  le  nom ,  mais  le  nom  n'y  fait  rien , 
Deux  frères,  possédant  une  modeste  aisance, 

Partagèrent  un  jour  leur  bien. 
L'un  se  fit  laboureur ,  et  cultiva  la  terre  ; 

Il  prit  femme,  il  eut  des  enfans 
Qui ,  comme  lui ,  labourèrent  les  champs. 

Mais  l'autre  ne  voulut  rien  faire. 

Content  de  ce  qu'il  possédait , 
Il  ne  désirait  point  en  avoir  davantage  : 

Le  moindre  travail  l'obsédait. 
Comme  son  frère  il  se  mit  en  ménage. 

Et  sa  famille  s'augmenta  ; 
Mais  notre  homme  jamais  ne  s'en  inquiéta. 

Par  principes,  par  caractère. 
Sans  peine,  sans  plaisir,  sans  jamais  s'émouvoir  , 
Il  contemplait  les  biens  et  les  maux  de  la  terre; 

De  le  troubler  rien  n'avait  le  pouvoir. 
Il  appelait  cela  delà  philosophie: 
En  est-ce  ?. . .  par  ma  foi ,  je  ne  vous  dirai  pas  ! 
On  en  a  mis  partout ,  si  bien  que  l'on  oublie 
Celle  dnnf  il  faudrait  faire  lo  plus  de  ras. 


40  CONTES    EN   VERS. 

Or  (Jonc  à  notre  piiiiosophe 
Le  laiDOLireur  ne  ressemblait  en  rien  : 
Il  redoutait  la  moindre  catastrophe, 
II  aimait  ses  enfans,  et  tremblait  pour  son  bien. 
En  vain  notre  esprit  fort, ,  se  moquant  de  son  frère , 
Se  donnait  pour  exemple ,  et  cherchait  tous  les  jours 
A  lui  former  le  caractère  : 
Il  y  perdait  son  temps  et  ses  discours. 
Le  naturel  est  comme  une  rivière 
Dont  on  ne  peut  changer  le  cours. 

Il  est  des  maux  pour  le  village 

Comme  il  en  est  pour  les  cités. 

Par  une  tempête,  un  orage, 
Le  laboureur  voit  ses  champs  dévastés  ; 

Il  gém  it ,  se  plaint ,  se  lamente , 

Son  frère  veut  le  sermonner  j 

Mais  le  villageois  se  contente 

A  son  travail  de  s'obstiner. 

Bientôt  après,  autres  alarmes  : 
Pour  la  milice  on  prend  son  fils  chéri  ; 
Il  faut  s'en  séparer...  Le  pauvre  homme  attendri, 

En  l'embrassant  verse  des  larmes. 
Lcphilosophecn  vain  vient,  d'un  ton  de  docteur, 

Dire  :  «  Gomme  vous  je  suis  père, 
»  J'aime  fort  mes  enfans ,  mais  qu'y  voulez-vous  faire? 

»  A  quoi  leur  sert  votre  douleur.^  » 
A  tout  cela,  le  pauvre  laboureur. 

L'air  surpris,  regarde  son  frère, 

Et  pose  sa  main  sur  son  cœur, 


CONTES    EN    VERS.  àt 

Mais  le  vent  tourne,  et  la  fortune 

Qui,  dit-on,  fait  comme  le  vent , 

Au  laboureur  ne  garde  plus  rancune 

Et  tourne  le  dos  au  savant  j 
A  sa  maison  éclate  un  incendie  j 
Sa  fille  se  jette  dans  l'eau  ; 
Une  cruelle  maladie 
Conduit  sou  fils  aux  portes  du  tombeau. 

Mais,  il  faut  lui  rendre  justice, 
Sans  murmurer  ni  répandre  des  pleurs, 
Il  supporte  tous  ces  malheurs  j 
Et  son  frère  accouru  pour  lui  rendre  service, 
Le  trouve  d'unsang-froid  que  rien  ne  peut  troubler. 
«  Tu  vois,  »  dit-il ,  «  l'efl^t  de  ma  philosophie, 
))A  dm  ire  donc  ma  sagesse  infinie, 
»  Tout  cela  ne  peut  Tébranler.  » 

Pour  notre  laboureur  c'est  bien  une  autre  affaire  ; 
Son  fils  revient,  il  a  gagné  la  croix. 
Avec  quel  charme  le  vieux  père 
Entend  le  jeune  militaire 
Lui  raconter  ses  combats,  ses  exploits  ! 
Cependant  il  se  dit:  «Retournons  chez  mon  frère  , 
»  Je  suis  heureux...  mais  peut-être  que  lui, 
»  Dans  ce  moment ,  perd  son  unique  appui  !...  » 

Heureusement  la  nature  l'emporte  : 
Du  philosophe  elle  sauve  l'enibut  j 
Mais  celui-ci,  jamais  nes'échauffant, 
N'en  est  pas  plus  ému.  «  Que  le  diable  t'emporte  !  » 


-4$  CONTES    EN    VERS. 

Dit  notre  laboureur,  de  son  calme  irrité , 

(f  Ah  !  toute  ta  philosophie 
»  Consiste  à  n'avoir  point  de  sensibilité  ! 
))  Ne  crois  pas  que  je  te  l'envie  j 
))  Va,  des  maux  de  l'humanité 
»  J'aime  mieux  redouter  les  chances 
»  Que  de  fermer  mon  cœur  aux  plaisirs  les  plus  doux. 
»  Lorsque  viendront  les  chagrins,  les  souffrances  j 
»  Lorsque  du  sort  j'éprouverai  les  coups , 
»  En  respectant  la  main  qui  les  fit  naître, 
))  A  ton  sang-froid  bien  loin  de  m'élever 
»  Je  me  plaindrai ,  je  gémirai  peut-être  j 
))  Mais  celui  qui  nous  donna  l'être  , 
»  Alors  qu'il  nous  punit,  devons-nous  le  braver? 
»  Ah!  qu'il  me  donnera  de  douces  récompenses 
»  Lorsque  ma  femme ,  mes  enfans , 
»  M'entoureront  de  leurs  bras  caressans  ! 
»  J'éprouverai  des  jouissances 
»  Que  ton  cœur  ne  saurait  sentir  ! 
»  Ne  crois  pas  que  jamais  ton  exemple  m'entraîne  ; 
»  Non.  J'aime  mieux'garder  des  larmes  pour  la  peine 
«Que  d'en  manquer  pour  le  plaisir.  » 


L'ARDOISE. 


Certain  époux  ,  dans  le  monde  disait 
Etre  en  amour  un  luron,  un  vrai  diable; 
Près  de  sa  belle  amant  infatigable. 
Que  jamais  danse  ne  lassait. 
Quand  il  parlait  ainsi  sa  femme  se  taisait  ; 
Mais  laissant  échapper  un  sourire  ironique, 
A  son  époux  elle  tournait  le  dos  , 
Et  ses  yeux ,  son  air  sardonique  , 
Semblaient  démentir  ses  propos. 
Un  jour  que  plus  qu'à  l'ordinaire 
Notre  mari  s'était  vanté 
De  ses  exploits  dans  l'amoureuse  (guerre  ; 
«  Osez-vous  bien  ainsi  fausser  la  vérité  !  » 
Lui  dit  sa  femme  avec  colère , 
Aussitôt  qu'ils  sont  seuls  tous  deux  ; 
»  De  faire  le  vaillant  n'étes-vous  pas  honteux  ! 
i)  A  peine  si  dans  la  semaine 
)>  Vous  m'adressez  un  petit  mot!... 
»  Si  court  encor  !  qu'il  ne  vaut  pas  la  peine 
»  D'être  compté  j  puis  monsieur  va  tout  haut 
"Faire  le  conquérant;  rhaf[ue  IV'inme,  je  {jage , 

»  Le  croit  un  Hercule,  un  Tircis  ! 
»  On  me  fait  compliment  de  mon  heureux  parterre. 

4 


50  CONTES   EN   VERS. 

»  Ma  foi,  monsieur,  je  vous  en  avertis, 
»  Agissez  mieux,  dites-m'en  davantage, 
»  Ou  vos  propos  par  moi  seront  tous  démentis. 
I)  —  Vraiment,  le  reproche  est  unique  !  » 
Répond  l'époux  sans  se  déconcerter  ; 
»Yous  vous  plaignez  de  moi.,  quelle  mouche  vous  pique; 
»  Allons,  m'amour,  vous  voulez  plaisanter. 

»  Quand  je  vous  conte  ma  tendresse, 
»  Si  vous  dormez,  est-ce  ma  faute  à  moi? 

»  Et  voilà  sans  doute  pourquoi 
»  Vous  oubliez  ce  que  je  vous  adresse. 
»  — Oh!  quenenni,  mon  cher,  je  ne  dors  pas  la  nuit 

»  Quand  vous  voulez  me  conter  une  histoire. 
»  —  Mais  vous  dormez  après  et  perdez  la  mémoire 
»  De  tout  ce  que  nous  avons  dit. 
»  —  Non,  non,  monsieur,  jamais  femme  n'oublie 
»  Semblable  conversation  ; 
»  Nous  n'avons  sur  cela  nulle  distraction. 
»  Vous  ne  pourrez  au  gré  de  votre  envie 
»  Me  faire  accroire  en  ce  moment 
»  Que  le  bien  me  vient  en  dormant. 
»  —  Or  çà,  des  cette  nuit,  madame, 
»  Je  veux  pour  vous  prouver  ma  flamme, 
»  Vous  adresser  les  plus  tendres  discours. 
n  — Charmant  projet ,  mais  à  la  ruse 
»  N'essayez  point  d'avoir  recours. 
»  —  Pour  que  ni  l'un  ni  l'autre  ne  s'abuse , 
»  Ecoutez  donc  ma  proposition , 

1)  Et  faites  bien  attention  : 
»  Sur  une  ardoise ,  avec...  du  blanc  d'Espagne, 
w  Tout  ce  que,  cette  nuit,  je  vous  adresserai, 


CONTES    EN   VERS.  M 

»  A  l'instant  je  le  marquerai. 
»  Cela  vous  convient-il ,  mon  aimable  compagne  ? 

»  —  Oui  ;,  mais  avec  un  changement  : 
))C'estmoi  qui  marquerai,  mon  cher,  car  autrement 

»  Vous  pourriez  me  tricher  encore. 
»  — Soit;  j'y  consens.  J'espère,  après  cela, 
»  Que  si  le  compte  est  beau ,  le  monde  le  saura  ; 

»  Et  de  faire  le  matamore 

»  Madame  me  pardonnera  ? 

»  —  Avec  six  baisers ,  je  vous  jure 

M  Que  je  vous  tiens  de  bonne  foi  ; 
»  Eh  !  mon  ami,  personne  plus  que  moi 
»  ÎS'a  le  désir  de  perdre  la  gageure.  » 

La  nuit  vient  :  on  se  met  au  lit. 
Notre  dame  a  placé  sur  sa  table  de  nuit 
L'ardoise  sur  laquelle  elle  aura  soin  d'inscrire 

Ce  que  son  mari  va  lui  dire. 
Le  blanc  qui  doit  servir  à  ce  d  .-ssein 

Est  caché  sous  son  traversin. 

Bref,  on  a  soufflé  la  chandelle; 

L'obscurité  que  craignent  les  jaloux 

Et  qui  sert  les  amans  ,  ranime  les  époux. 

Notre  mari  glisse  à  sa  belle 

Un  mot  bien  tendre,  qu'aussitôt 

L'épouse  note  avec  la  craie 
En  faisant ,  à  tâtons  ,  sur  l'ardoise  une  raie. 

Le  temps  se  passe  ,  mais  un  mot 

Pour  {jagner  ne  saurait  siiliire  ; 

Le  pari  n'est  pas  oublié. 

De  l'oreille  de  sa  moitié 
Le  mari  se  rapprocli<»...  Hélas  !  le  pauvre  sire 


5â  CONTES    EN   VERS. 

Ne  trouve  plus  rien  à  lui  dire. 
Il  s'épuise  long-temps  en  efforts  superflus... 
La  parole  ne  lui  vient  plus. 
Sans  se  tourmenter  davantage 
Il  se  retourne  et  fait  dodo  ; 
Mais  sa  moitié  veut  noter  cet  outrage  : 
Prenant  l'ardoise  elle  pose  un  zéro  , 
Puis  elle  attend  le  jour  avec  impatience. 
Dans  le  monde  elle  veut  que  ce  fait  soit  connu, 
Brûlant  de  tirer  vengeance 
De  l'affront  qu'elle  a  reçu . 
Le  jour  paraît ,  on  se  réveille  : 
Notre  mari  fait  déjà  le  railleur  , 
Puis,  rappelant  le  pari  de  la  veille  : 
«Eh!  bien,  dit-il,  m'amour,  pourquoi  cet  air  boudeur? 
»  Il  me  semble  pourtant  que  la  nuit  fut  charmante. 
»  —  Je  vous  conseille  de  parler  ! . . . 
»  Le  voilà  donc  cet  homme  qui  se  vante  ! 
»  — Un  instant,  nous  avons  des  comptes  à  régler. 
»  Or,  avant  de  me  chercher  noise, 
»  Madame,  passez-moi  l'ardoise. 
»  Vous  seule  avez  marqué ,  vous  ne  le  nîrez  pas  ? 
» — Oui,  certes,  j'ai  marqué. — Voyonsdoncencecas.» 
Notre  homme  s'en  saisit. ..  Jugez  de  sa  surprise  ; 
En  marquant  à  tâtons  ,  sa  femme^  par  méprise, 
Après  la  raie  a  placé  le  zéro. 
«  Peste  !  le  joli  numéro  !  » 
S'écrie  alors  l'époux,  charmé  de  l'aventure, 
«  Vous  ne  vous  plaindrez  plus,  je  crois  ; 
»  Pourtant ,  j'étais  loin  ,  je  le  jure  , 
»  De  penser  que  j'avais  causé  jusqu'à  dix  fois.  » 


L'AVEUGLE  ET  SOIS  FILS. 


Après  avoir  bien  servi  sa  patrie , 
Unsoldat  cultivait  son  modeste  manoir, 
Regrettant  chaque  jour  une  épouse  chérie 
Dont  il  n'avait  qu'un  fils ,  son  trésor ,  son  espoir  ; 
Retrouvant  près  de  lui  cette  image  si  chère, 
Dans  ses  traits  enfantins  il  se  plaisait  à  voir 

Renaître  les  traits  de  sa  mère. 

Un  jour,  un  accident  affreux 
A  ce  pauvre  soldat  fait  perdre  la  lumière. 

Que  deviendra  le  malheureux  ? 

Qui  prendra  soin  de  sa  chaumière? 
Son  fils  n'a  que  cinq  ans,  il  ne  saurait  encor 

Travailler  pour  aider  son  père  ! 

Par  suite  de  son  triste  sort 
L'infortuné  tombe  dans  la  misère. 

Plus  de  ressources  sur  la  terre  : 

Il  faudra  mendier  son  pain  ! . . . 
Mais  son  enfant  le  tiendra  par  la  main  : 
Cette  pensée  élève  son  courage  j 

Elle  adoucira  son  destin. 

Il  n'est  point  de  cruel  chagrin 

Que  la  main  d'un  fils  ne  soulage. 


5-4  CONTES    EN    VERS. 

Pauvre  petit  !  Veille  sur  ce  trésor  ! 
Combien  ta  tàclie  est  imposante  ! 
De  tonâge,  n'ayant  que  la  joie  innocente, 

Dans  le  malheur  tu  ris  encor. 
Ne  plus  te  séparer  de  cette  main  si  chère , 

IN'estpour  toi  qu'un  plaisir  nouveau  ! 
Le  lierre  en  (grandissant  s'appuie  après  l'ormeau  , 

Et  l'enfant  s'attache  à  son  père. 

Chaque  jour ,  au  pied  d'un  rocher , 

Près  d'une  limpide  fontaine  , 

L'aveugle  et  son  fils  vont  chercher 

Des  cœurs  sensibles  à  la  peine. 
Instruit  par  le  malheur,  bien  loin  de  se  hâter  , 
L'enfant  règle  ses  pas  sur  les  pas  de  son  père  ; 
Il  lui  serre  la  main  s'il  rencontre  une  pierre, 

C'est  lui  dire  de  s'arrêter. 
Lorsqueassis  sans  danger,  l'infortuné  le  presse 
D'aller  jouer  plus  loin  et  d'être  sans  effroi  : 

«  Non ,  »  dit  l'enfant  avec  tendresse  ; 

«  Je  suis  bien  mieux  auprès  de  toi.  » 
Le  temps  s'écoule  ;  une  légère  aumône 
Suffit  pendant  un  jour  pour  leur  avoir  du  pnin  : 

Le  pauvre,  pour  le  lendemain 

A  son  créateur  s'abandonne. 

L'enfant  grandit,  il  a  huit  ans. 
Près  de  son  père,  admirant  la  nature; 
Il  passe  ainsi  tous  ses  instans; 
Ecoutant  les  oiseaux  qui  chantent  le  printenips 
Et  l'eau  du  ruisseau  qui  murmure. 
Mais  l'aveugle  en  secret  gémit  : 


COiSTES    EN    VEKS.  ^P 

L'avenir  de  son  fils  fait  naître  ses  alarmes  , 

Sur  son  sort  il  verse  des  larmes  : 
«  Pauvre  enfant,  »  se  dit-il,  «  mon  malheur  te  bannit 
»  Du  monde,  oii  tu  pourrais  rencontrer  la  fortune  : 

»  Près  de  moi ,  sans  ressource  aucune  ! 

»  Devant  chacun  t'humiiiant  ! 
»  ISe  connaissant  que  notre  humble  cabane, 

»  Pour  me  guider,  je  te  condamne 

»  A  rester  toujours  mendiant!  » 
Du  vieux  soldat  alors  une  larme  brûlante 
Attestait  la  douleur.  L'enfant  voyant  cela  , 

Lui  disait  d'une  voix  tremblante  : 

«  Pourquoi  pleures-tu  ?  Je  suis  là.  » 

Un  jour,  qu'au  Ciel  adressant  sa  prière  , 
L'aveugle  l'invoquait  en  faveur  de  son  fils. 

«  Je  prétends  finir  tes  soucis ,    » 
Lui  dit  des  environs  Un  gros  projirietaire 
Qui  l'avait  écouté.  »  Cet  enfant  est  gentil , 

»>  J'ai  quelquefois  entendu  son  babil; 

»  Donne-le-moi.  Par  mes  soins  ,  je  te  jure 
»  Qu'il  ira  loin.  Je  veux  en  tenter  l'aventure. 

»  Je  le  mettrai  dans  une  pf-nsion  ; 
)i  Je  lui  ferai  rlonner  de  l'éducation, 
»  Et,  s'il  se  conduit  bien ,  de  mes  dons  s'il  profite, 
»  Je  puis  le  faire  entrer  commis 
»  Dans  une  maison  de  Paris. 
»  Cela  te  convient-il?  Alli)ns  ,  répoi   Is-moi  vite; 
)•  Sans  c«'t  enfant  de  nu'me  on  te  se  ulagera. 

»  Tu  n'y  vois  pas,  \\n  chien  te  conduira.  » 


S6  CONTES    EN    VEKS. 

Un  chien  pour  remplacer  son  enfant  ! ...  Ah  !  j'espère 

Que  cet  homme  n'était  point  père. 
L'aveugle  hésite...  en  lui  donnant  son  fils 

II  perdra  bien  plus  que  la  vie  ! 

Mais  tout  bas  une  voix  lui  crie  : 
«  Songe  au  sort  d^  l'enfant. ..  »  Il  n'est  plus  indécis  : 
«  Emmenez-le,  »  dit-il  j  «  oui,  je  me  sacrifie. 
))Cherenfant,  je  te  perds,  mais  c'est  pour  ton  bonheur; 

»  J'expirerai  de  ma  douleur, 
»  Mais  ta  Jeunesse ,  au  moins,  ne  sera  pas  flétrie 

»  Par  l'indigence  et  le  malheur. 

V — C'est  bien,  dit  le  richard  :  tes  peines  sont  cruelles^ 
»  Mais  ton  fils ,  quelque  jour,  pourra  les  adoucir. 
»  D'ailleurs  tu  sais  mon  nom;  quand  je  pourrai  venir, 

»  Je  t'en  donnerai  des  nouvelles. 
»  Allons,  mon  cher  petit,  ensemble  il  faut  mai  cher... 
»  Viens  donc...  »  Maiscelui-ci,  loin  d'agir  de  lasorte, 

A  son  père  veut  s'attacher. 
Notre  homme  alors  le  saisit  et  l'emporte. 

L'enfant  remplit  l'air  de  ses  cris; 
A  son  secours  il  appelle  son  père  ; 
Il  tend  vers  lui  ses  bras ,  et ,  dans  ses  traits  chéris 
Son  regard  cherche  encore  un  appui  tutélaire... 
Son  père  infortuné  ne  voit  point  sa  douleur. 

Mais  il  entend  sa  voix  si  chère  ; 
Ses  accens  déchirans  pénètrent  dans  son  cœur. . . 

La  voix  s'éteint...  L'aveugle  tremble...  espère... 
L'écho  dans  le  lointain  répète  encor  :  Mon  père  ! 

Mais  l'enfant  n'a  plus  répondu!... 
«  Ah  !  »  dit  le  malheureux,  en  tombant  sur  la  pierre, 


CONTES    EN    VERS.  57 

«  C'en  est  donc  fait ,  j'ai  tout  perdu  !  » 

Rien  désormais  ne  peut  adoucir  la  misère 
Du  pauvre  aveu{j)e  à  souffrir  condamné j 

Et  maintenant,  infortuné, 

Qui  te  guidera  sur  la  terre!... 
Il  est  près  du  rocher  où  des  accens  chéris 

De  son  cœur  fermaient  la  blessure , 
Il  s'assied  sur  la  pierre  où  l'enfant  s'est  assis; 
Il  entend  à  ses  pieds  le  ruisseau  qui  murmure, 

Et,  trop  souvent,  poussé  par  la  nature, 
Il  avance  la  main  pour  rencontrer  son  fils. 

Un  jour,  cédant  au  désir  qui  l'entraîne , 
Il  arrive  en  tremblant,  après  bien  des  périls. 

Jusqu'à  la  porte  du  domaine 
De  l'homme  auquel  il  confia  son  fils; 

Il  s'informe,  se  fait  connaître , 
Demande  son  enfant. ..  mais  discours  superflus! 

La  maison  a  changé  de  maître, 
On  ne  sait  ce  qu'il  veut,  on  ne  l'écoute  plus. 
L'aveugle,  désolé,  retourne  sur  sa  pierre; 

C'est  là  ,  c'est  auprès  du  rocher 
Qu'il  attend  que  son  fils  revienne  le  chercher, 

Ou  qu'il  veut  finir  sa  carrière. 

Revenons  à  l'enfant  :  à  la  distraction 
Le  chagrin  doit  céder  dans  un  âge  aussi  tendre. 
Placé  dans  une  pension, 
Il  se  montre  avide  d'apprendre; 
Il  fait  de  rapides  pro^jrès  ; 


S8  CONTES    EN    VERS. 

Son  bienfaiteur  est  fier  de  ses  succès. 
Et  quand  Tenfant  s'informe  de  son  père , 
Dont  il  garde  toujours  un  profond  souvenir. 
Le  riche  ne  dit  mot,  il  attend  ,  il  diffère  j 
Il  a  semé  pour  lui,  seul  il  veut  recueillir; 
Mais  la  mort,  un  beau  jour,  lui  fait  plier  bagage!... 
Le  jeune  homme  a  seize  ans ,  de  l'esprit ,  du  courage  : 

Mais  sans  argent,  sans  protecteur, 
Que  fera-t-il,  jeté  dans  un  monde  trompeur? 
Il  ne  balance  pas  :  avec  joie  il  s'engage  : 

Le  métier  des  armes  lui  plaît. 
Des  souvenirs  confus  lui  disent  que  son  père 
Dans  sa  jeunesse  a  fait  la  guerre; 
A  l'imiter  il  trouve  de  l'attrait. 
Au  plus  fort  des  périls  où  sa  valeur  l'entraîne 
Il  va  chercher  la  gloire  et  brave  le  trépas; 
Par  sa  valeur  dans  les  combats, 
A  vingt  ans  il  est  capitaine, 
Et  décoré  du  signe  de  l'honneur. 

La  guerre  est  terminée ,  on  va  dans  sa  patrie 
Retrouver  des  parens,  une  amante  chérie  ; 
Notre  jeune  guerrier  n'aura  point  ce  bonheur  ! 

Triste,  pensif,  il  voyage  en  silence, 
Las!...  il  ne  connaît  point  le  lieu  de  sa  naissance, 
Et  de  son  pauvre  père  il  ignore  le  sort  ! 
Vainement  il  s'informe,  il  ne  peut  rien  apprendre. 
Il  voudrait  l'embrasser,  ou ,  du  moins ,  s'il  est  mort , 

Il  voudrait  pleurer  sur  sa  cendre. 

Quand  il  rencontre  en  son  chemin 

Un  homme  privé  de  la  vue, 


CONTES    EN    VERS.  ^ 

Son  cœur  bat,  son  ame  est  émue , 

Il  court...  l'interroge  soudain. 
Ce  n'est  pas  encor  lui...  Son  ame  se  resserre; 
Au  malheureux  il  donne  des  secours , 
Puis  à  l'enfant  recommande  toujours 

De  ne  jamais  quitter  son  père. 

Un  général  dans  son  château 

Fait  venir  notre  capitaine. 

Là ,  tout  est  brillant,  tout  est  beau  j 
Là  ,  cédant  en  secret  au  penchant  qui  l'entraîne , 

De  la  fille  du  général 
Il  devient  amoureux ,  et  la  jeune  personne 

En  secret  aussi  s'abandonne 
Au  plaisir  de  l'aimer,  n'y  voyant  aucun  mal. 

Mais  sans  famille,  sans  richesse, 
L'amant  n'espère  point  former  un  tel  lien , 

Et  du  général  la  noblesse 

Doit  mettre  obstacle  à  cet  hymen. 
Hors  du  château  promenant  sa  tristesse, 
Dans  un  lieu  solitaire  il  se  plait  à  rêver. 

Le  cœur  occupé  de  sa  chaîne. 

In  jour,  le  jeune  capitaine 
Regarde  autour  de  lui ,  surpris  de  se  trouver 

Dans  un  endroit  qu'il  croit  connaître  ; 

Déjà  son  cœur  vient  d'éprouver 
Une  .«senfation  dont  il  n'est  pas  le  maître. 
Avec  avidité  ses  regards  vont  clierclicr 

Des  souvenirs en  tremblant  il  s'avance... 

Il  reconnaît  ce  chemin...  ce  rocher, 

Tout  lui  rappelle  son  enfance. 

Il  s'arrête...  Quel  est  te  bruit?... 


60  CONTES    EN    VERS. 

C'est  un  ruisseau  dont  l'onde  pure 
Traverse  ce  sentier. . .  Tout  bas  son  cœur  lui  dit 
Qu'il  a  dans  son  enfance  entendu  son  murmure. . . 

Il  n'ose  avancer...  il  frémit... 
Ah  !  si  le  Ciel  exauçait  sa  prière  ! 
Dieu  !  que  voit-il . . .  plus  loin ,  sur  une  pierre 
Un  vieillard  vénérable,  un  aveugle  est  assis. 
Il  court  en  s'écriant  :  «  Ah  !  répondez  de  grâce  ! 

»  Que  faites-vous  à  cette  place? 

»  —  Depuis  douze  ans,  j'attends  mon  fils... 
»  — Votre  fils!  le  voilà...  dans  ses  bras  il  vous  serre. 
»  —  Que  dites-vous. . .  Quoi  !  j'aurais  ce  bonheur. . . 

»  —  Pour  vous  en  assurer,  mon  père , 

»  Mettez  votre  main  sur  mon  cœur.  » 

Du  pauvre  aveugle  on  devine  l'ivresse  : 
C'est  son  enfant  chéri  que  dans  ses  bras  il  presse  !. . . 
Et  son  fils,  reprenant  l'emploi  qu'il  a  quitté , 
Jusqu'au  château  soutient  sa  marche  qliancelante  ; 

Puis,  au  père  de  son  amante 

Il  le  présente  avec  fierté 
En  lui  disant  :  «  Voilà  mes  titres  de  noblesse, 

Mon  père  est  toute  ma  richesse.  » 
Tant  de  vertus,  tant  d'amour  filial 

Attendrissent  le  général; 
Au  jeune  capitaine  il  accorde  sa  fille. 
Tranquille  désormais  ^  au  sein  de  sa  famille, 

L'aveugle  est  doublement  heureux. 

A  son  fils  tout  rit,  tout  prospère  : 
L'enfant  qui  fut  le  guide  de  son  père 

Doit  être  béni  par  les  dieux. 


L'ÉCARTÉ 


Quelle  nouvelle  folie  ! 

Quelle  invention  jolie, 

Que  ce  jeu  de  l'écarté! 

C'est  une  mode  constante, 

Une  rage  en  vérité. 

Je  vois  la  nièce  et  la  tante, 

Je  vois  l'oncle  et  le  neveu 

Jouer  ensemble  h  ce  jeu. 

Là ,  ce  jeune  fou  se  vante 

De  passer  jusqu'à  vingt  fois; 

Ici,  l'on  se  mord  les  doigts  : 

C'est  quelque  commis,  je  pense  , 

Qui  perd,  dans  une  séance, 

Ses  appointemens  d'un  mois. 

Cette  dame,  qu'on  admire, 

En  perdant  ne  fait  que  rire, 

Et  joûrait,  dans  son  ardeur, 

Jusques  à  son  cachemire 

Sans  montrer  la  moindre  humeur! 

Ah  !  je  vois  à  son  sourire 

Que  ce  milord  ohhgrant 

Lui  fournira  de  l'ar{;eiit. 


62  CONTES    EN    VERS. 

Partout  ce  jeu  se  faufile , 

Et ,  du  faubourg  Saint-Germain 

Jusques  au  quartier  d'Antin  , 

Je  le  vois  courir  la  ville, 

Sans  s'arrêter  en  chemin. 

Le  Marais ,  jadis  si  sage, 

Cette  fois  cède  à  l'usage  : 

Qui  ne  joûrait  pas,  je  crois. 

Se  ferait  montrer  aux  doigts. 

Sur  ce  tapis  rien  ne  manque  : 

J'y  vois  des  billets  de  banque. 

Ici ,  méditant  ses  coups , 

Ce  rentier  risque  deux  sous. 

Au  bal,  ce  n'est  plus  la  danse 

Qui  remplit  tous  nos  instans  ; 

Les  hommes  passent  leur  temps 

A  courir  après  la  chance, 

A  chercher  le  bon  côté  ; 

Tandis  que  les  jeunes  filles 

Maudissent  leur  écarté. 

Mesdames,  en  vérité, 

On  vous  trouve  fort  gentilles. 

Mais,  auprès  de  vous,  peut-on 

Faire  le  coup  du  lion  ? 

C'est  là  le  bonheur  suprême, 

C'est  le  seul  plaisir  qu'on  aime. 

Jadis  on  vous  adorait , 

Près  de  vous  on  soupirait  ; 

Aujourd'hui  pareille  affaire 

Ne  nous  intéresse  guère  ; 

Nous  aimons  bien  mieux,  ma  foi! 


CONTES    EN    VERS. 

Avoir  la  vole  et  le  roi . 

Certaine  femme  jolie , 
Épouse  d'un  gros  marchand , 
Avait  aussi  du  penchant 
Pour  la  nouvelle  folie. 
L'ëcarté  lui  plaisait  fort. 
Son  ëpoux ,  rêvant  sans  cesse 
A  son  commerce,  à  sa  caisse, 
Rarement  faisait  l'effort 
De  jouer  avec  sa  femme; 
Mais  il  laissait  à  madame 
Une  entière  liberté 
D'agir  à  sa  fantaisie. 
Du  cher  homme  le  génie 
N'était  pas  le  beau  côté  ; 
Il  ne  portait  pas  sa  vue 
Plus  loin  que  son  nez,  au  plus. 
(Notez  qu'il  était  camus)  ; 
Mais,  c'est  chose  reconnue, 
Pour  faire  de  bons  maris 
Les  myopes  ont  le  prix. 

Or,  sa  femme  était  jolie. 
Je  crois  que  je  vous  l'ai  dit  ; 
Lne  bouche  bien  garnie. 
Des  yeux  pétillans  d'esprit, 
Des  appas  à  formes  rondes  , 
Bien  placés,  bien  soutenus; 
De  superbes  boucles  blondes , 
Un  beau  teint ,  trente  ans  au  plus. 


6A  CONTES    EN    VERS. 

Certes,  voilà  de  quoi  plaire; 
Si  gentille  ménagère 
Doit  pouvoir  se  satisfaire 
Quand  elle  a  la  volonté 
De  jouer  à  l'écarté. 
Jamais  figure  drôlette, 
Pied  mignon,  jambe  bien  faite, 
De  joueur  ne  manquera 
Quand  ce  désir  lui  prendra. 
Certain  voisin,  homme  aimable. 
Bien  pris,  galant,  de  bon  ton, 
Va  souvent  dans  la  maison. 
A  l'écarté  c'est  un  diable  ; 
Le  jouant  fort  bien,  dit-on, 
S'échauffant,  piquant  sur  quatre. 
Passant  dix  à  douze  fois. 
Comme  un  autre  en  passe  trois. 
Une  femme  aime  à  se  battre 
Avec  un  pareil  joueur  ; 
C'est  un  plaisir,  un  honneur 
De  lui  gagner  la  partie. 
Le  voisin,  rempli  d'ardeur, 
Chez  la  marchande  jolie 
Tous  les  jours  vient  s'établir. 
Pour  jouer  tout  à  loisir. 
Dans  la  chambre  de  madame 
Se  tient  l'aimable  combat; 
Et  là,  sans  bruit,  sans  éclat, 
Pendant  que,  loin  de  sa  femme. 
L'époux  devant  son  bureau 
Pose  zéro  sur  zéro, 


CONTES    EN    VERS.  G5 

Et  que  son  esprit  s'exerce 

Sur  les  chances  du  comme;'ce  ; 

Les  autres,  de  leur  côté, 

S'exercent  à  l'écarté. 

Mais,  voyez  la  médisance! 

Dans  le  voisinage  on  rit; 

On  juge  sur  l'apparence  ; 

Et  IJieu  sait  tout  ce  qu'on  dit! 

Sur  le  voisin,  la  voisine. 

Sur  la  partie  à  huis  clos, 

Sur  le  mari ,  sur  sa  mine , 

BreF,  mille  insolens  propos! 

Nos  joueurs,  s'il  faut  le  dire. 

De  cela  s'occupent  peu  , 

Et  n'en  font  pas  moins  leur  jeu. 

Pour  l'époux,  le  pauvre  sire 

IS'a  jamais  été  jaloux  ; 

Mais,  un  ami  du  ménage. 

Vieux  garçon  du  voisinage , 

Vrai  furet  de  rendez-vous. 

Voulant  tout  voir,  tout  connaître, 

Epinnt  tout  ce  qu'on  fait , 

Ecoutant  à  sa  fenêtre 

Caché  derrière  un  volet  ; 

(Courant  de  chez  l'un  chez  l'aulre. 

Sans  l)ut,  sans  nécessités, 

Disant  des  méchancetés 

Eu  faisant  le  bon  apôtre , 

Chez  le  marchand,  un  beau  soir, 

Entre,  se  met  au  comptoir, 

En  disant  :  «  Je  viens  vous  voir. 


QQ  CONTES    EN    VERS. 

»  —  C'est  très-bien,  j'en  suis  fort  aise. 

»  —  Toujours  au  travail  ? —  Ma  foi! 

»  Il  n'est  que  ça  qui  me  plaise  , 

»  C'est  mon  élément  à  moi. 

»  —  Et  votre  femme?  —  Elle  joue 

»  Là-haut,  avec  le  voisin. 

»  — Quoi!  toujours?...  —  Ils  sont  en  train 

»  Depuis  deux  heures.  —  J'avoue 

>)  Que  vous  m'étonnez.  —  Pourquoi  ? 

»  —  Laisser  ainsi  votre  femme 

»  Avec  un  galant!...  Pour  moi, 

»  Ce  n'est  pas  que  je  vous  blâme; 

»  Mais  le  monde  jase  aussi!... 

»  Il  n'approuve  pas  ceci  ; 

»  Sur  ces  jeux  fréquens  on  glose , 

»  Je  vous  le  dis,  entre  nous, 

»  Si  j'en  crois  ce  qu'on...  suppose... 

»  Mon  cher,  prenez  garde  à  vous. 

»  • — -Pardieu!  vous  me  faites  rire 

))  Avec  tous  vos  demi-mots , 

»  Votre  monde  et  vos  propos  ! 

»  Allez,  quoi  qu'on  puisse  dire, 

»  Ma  femme  est  une  vertu  ; 

»  Aimant  le  jeu,  c'est  connu; 

))  Mais  s'occuper  d'amourette!... 

»  Peste,  on  s'adresserait  bien 

»  D'aller  lui  conter  fleurette! 

»  On  n'arriverait  à  rien. 

»  Tout  à  l'heure,  ayant  affaire 

»  Auprès  d'eux,  j'ai  pu  les  voir 

»  Jouant  comme  à  l'ordinaire  : 


CONTES    EN    VERS.  67 

»  C'est  leur  bonheur  chaque  soir. 

»  Aux  cartes  ma  femme  excelle, 

»  Et  le  voisin ,  auprès  d'elle , 

»  Mon  cher,  n'y  voit  que  du  feu. 

»  Une  fois  qu'elle  entre  au  jeu 

»  Elle  est  diablement  tenace  ! 

»  Elle  vous  tourne  les  rois  ! 

»  Et  peut,  sans  quitter  la  place, 

»  Passer,  au  moins,  douze  fois. 

»  Mais,  tenez,  sans  plus  attendre, 

»  Près  d'eux  montez  sans  façon , 

»  Vous  prendrez  une  leçon. 

»  —  Volontiers,  je  vais  m'y  rendre,  » 

Répond  notre  vieux  garçon, 

Enchante  d'aller  s'instruire 

De  ce  que  l'on  fait  en  haut. 

Chez  madame,  sans  mot  dire. 

Il  se  dirige  aussitôt  j 

]Ne  se  donnant  point  l'allure 

Et  le  pas  lourd  d'un  mari , 

Qui  fait  craquer  sa  chaussure. 

Tousse,  crache,  chante,  jure, 

Pour  chasser  le  favori  ; 

Ce  qui ,  du  reste ,  est  fort  sage 

Et  prouve  un  homnie  prudent. 

Notre  furet  de  ménage 

N'avance  qu'en  maraudant  j 

Son  pied  léger  port*;  ?i  peine; 

Vrai  troubleur  de  rendez-vous, 

En  retenant  son  haleine, 

Il  ne  va  qu'à  pas  de  loups. 


(38  CONTES    EN    VERS. 

Tout  en  allant  de  la  sorte, 
Il  se  trouve  doucement 
Auprès  de  Tappartement 
Dont  on  a  fermé  la  porte , 
Pourquoi?  vous  devinez  bien  : 
L'époux  a  fait  sa  visite  , 
Dès  lors  on  ne  craint  plus  rien  , 
Et  de  cela  l'on  profite 
Pour  renouer  l'entretien. 
Où,  sans  crainte,  sans  alarmes, 
On  trouve  de  nouveaux  cliarmes , 
Quand  au  départ  de  l'époux 
On  a  poussé  les  verrous. 

ISotre  furet,  qui  sans  doute 

S'attendait  à  tout  cela, 

Auprès  de  la  porte  écoute. 

Il  saisit  par-ci ,  par-là , 

Certains  mots  qui  lui  font  croire 

Que  le  jeu  s'anime  fort. 

Ce  n'est  pas  assez  encor, 

Et  notre  homme  met  sa  gloire 

A  s'assurer  par  ses  yeux 

De  ce  qu'on  fait  en  ces  lieux. 

Par  le  trou  de  la  serrure 

Dans  l'appartement  on  voit; 

C'est  une  ressource  sûre  : 

Il  s'y  braque;  il  aperçoit 

La  forme  de  la  partie 

Que  l'on  y  joue  à  l'écart. 

Aussitôt  le  vieux  renard 


CONTES    EN    VERS.  69 

Revient  d'un  air  gojruonard 

Vers  l'époux  qui  multiplie , 

Ecrit,  compte,  et  coûtera, 

Et  qui  lui  dit  :  «  Vous  voilà  ? 

((  Dans  la  chambre  je  parie 

»  Qu'ils  sont  encore  à  jouer? 

»  —  C'est  vrai,  je  dois  l'avouer, 

»)  Mon  cher  ami ,  votre  femme 

»  Est  très-forte  à  l'écarté. 

»  A  ce  jeu  pas  une  dame 

»  IN'a  plus  de  dextérité. 

»  —  A-t-elle  toujours  la  veine':' 

»  —  Oui ,  mais  elle  vous  la  mène  ! . . . 

»  Sou  joueur,  sans  se  lasser, 

»  Paraît  vouloir  la  pousser, 

»  Car,  aussitôt  la  partie 

»  Qui  venait  d'être  finie , 

»  Je  l'ai  vu  recommencer.  » 


LA  JUPE  ENCHAINTEE 


On  m'a  conté  que  jadis,  en  Sicile  , 

Près  de  Palerme  ,  ou  près  de  Cozenza , 

Je  ne  saurais  dire  au  juste  la  ville, 

Un  vieux  seigneur  de  Satan  acheta 

Jupesuperbe  et  de  vertu  magique. 

Quand  à  sa  femme  un  époux  la  mettait , 

De  se  l'ôter  en  vain  elle  tentait; 

Le  mari  seul,  par  un  mot  diabolique 

Pouvait  l'ôter  et  la  remettre  encor. 

Ce  n'est  pas  tout!  écoutez  le  plus  fort: 

Quand  une  femme ,  ayant  cela  sur  elle , 

A  son  époux  devenait  infidèle  , 

Dès  qu'à  ses  yeux  paraissait  son  amant , 

La  jupe,  alors  parlait  fort  clairement  : 

C'étaient  des  feux,  un  tourment,  un  malaise, 

Et  des  transports  et  des  démangeaisons  !... 

Fallait  sauter ,  danser,  quitter  sa  chaise. 

Se  remuer  enfin  de  cen't  façons. 

Et  notez  bien  que  sur  femme  jolie 

Dès  ^ue  la  jupe  avec  force  agissait. 

Soit  par  le  charme  ,  ou  soit  par  svmpathie  , 

Comme  elle  ,  alors  ,  l'amant  se  trémoussait. 

Point  de  faiblesse  et  de  secrètes  flammes 


CONTES    EN    VERS.  7i 

Dont  un  mari  ne  fût  par  elle  au  l'ait. 

Triste  jupon ,  convenez-en ,  mesdames , 

Et  qui  pour  vous  aurait  eu  peu  d'attrait. 

Quoi!  nos  jaloux  d'une  femme  {r^n'ille 

Sauraient  ainsi  la  moindre  peccadille! 

Ah  !  c'est  affreux  !  un  pareil  talisman  , 

Certes  j  ne  dut  venir  que  de  Satan. 

Et  puis ,  avoir  une  femme  charnifinte 

Et  lui  laisser  constamment  un  jupon  ! 

A  tout  cela  je  ne  vois  rien  de  bon. 

Je  ne  crains  pas  que  le  diable  me  tente  : 

Je  lui  dirais  :  Gardez  tous  vos  présens  ; 

Je  ne  veux  pas  savoir  si  ma  mùtresse 

Auprès  d'un  autre  a  connu  la  tendresse. 

Quand,  m'entourant  de  ses  bras  caressans. 

Dans  ses  beaux  yeux  je  puise  mon  ivresse, 

Lorsque  sa  bouche  appelle  le  baiser  , 

Et  que  sa  main  dans  la  mienne  est  placée , 

INe  croyez  pas  que  j'aille  m'amuser 

A  contrôler  sa  secrète  pensée. 

Bien  mal  venu ,  quaad  je  tiens  le  bonheur, 

Qui  médirait  :  Tu  ne  tiens  qu'une  erreur. 

Non ,  je  le  tiens ,  ce  n'est  point  un  mensonjje  , 

Et  dans  ses  bras  cent  fois  je  l'ai  goût*!! 

Amour  passé,  pour  moi  ce  n'est  qu'nn  songe; 

Amour  présent  c'est  la  réalité. 

Mais  revenons  :  le  seigneur  de  Sicile 
Ne  pensait  pas  là-dessus  comme  moi. 
Richardini  (c'est  son  nom  ),  imbécille , 
Laid,  vieux,  goutteux  et  d'humeur  difficile, 


72  CONTES    EN    VERS. 

Voulait  qu'on  fût  pour  lui  de  bonne  foi, 
Qu'on  l'adorât ,  qu'on  lui  restât  fidèle  ; 
Mettant  toujours  en  avant  son  honneur. 
Pauvre  petit ,  qui  croyait  qu'une  belle 
Pour  lui  devait  éprouver  de  l'ardeur. 
Richardini ,  craignant  fort  d'être  dupe  , 
Sans  marchander  avait  payé  la  jupe, 
Quoique  Satan  l'eût  mise  à  prix  de  roi  ! 
Dès  qu'il  l'a  tint  il  se  dit  :  «  Prenons  femme, 
M  Je  ne  crains  plus  qu'on  se  moque  de  moi, 
»  Je  connaîtrai  les  secrets  de  la  dame.  >j 
Le  pauvre  sot!. . .  c'était  plutôt  le  cas 
D'être  prudent  et  de  n'en  prendre  pas. 

Richardini  se  met  donc  en  ménage  ; 
Sans  trop  gémir  avec  lui  l'on  s'engage: 
Car  des  valets,  des  bijoux  ,  un  château, 
Pour  un  moment  rendent  un  mari  beau. 
La  jeune  Iseult,  vive,  leste,  étourdie. 
Reçoit  d'abord  et  sa  main  et  son  nom  ; 
Et,  le  matin  du  jour  qu'on  la  marie , 
Le  vieux  jaloux  lui  passe  le  jupon. 
En  lui  disant  :  u  JNe  l'ôtez  pas ,  ma  chère  , 

«  Ce  talisman  conserve  la  beauté.  » 
Avec  ces  mots  aux  femmes  on  fait  faire 
Tout  ce  qu'on  veut.  Toujours  désir  de  plaire 
Par  elles  fut  avant  tout  consulté. 

Pendant  un  an,  Iseult  paraît  fort  sage, 
Et  le  mari  bénissait  son  destin. 
Quand  de  sa  femme  arriva  le  cousin 


CONTtS    EN    VERS.  73 

Qui  revenait  de  faire  un  long  voyage. 

Le  cousin  fut  logé  clans  le  château. 

Il  avait  l'air  doux  ,  modeste,  timide... 

Fiez-vous-y!...  Que  le  monde  est  perfide! 

Le  lendemain  ,  l'aimable  jouvenceau 

ÎS'est  pas  plus  tôt  auprès  de  sa  cousine, 

Que  le  jupon  les  brûle,  les  lutine  j 

On  n'y.  tient  plus  ;  avec  son  pastoureau 

Madame  danse  et  fait  mainte  folie. 

Voyant  cela,  le  barbon  en  furie  , 

Se  dit  :  «  J'en  tiens  ,  je  n'en  saurais  douter , 

»  C'est  le  cousin  qui  m'en  a  fait  porter  ! 

)/  Avertissons  mon  ami  le  corsaire 

»  Qu'il  peut  mener  ma  femme  au  grand-seigneur.  » 

Notre  mari  termine  ainsi  l'affaire; 
Livrant  sa  femme  à  ce  Turc,  pourvoyeur 
Des  principaux  sérails  de  sa  liautesse. 
Ah  !  s'il  fallait ,  pour  pareille  faiblesse  , 
Du  grand  sultan  meubler  ainsi  la  cour  ! 
Si  chaque  époux  jouait  ce  malin  tour 
A  sa  moitié  sur  l'article  étourdie , 
Il  nous  faudrait  bientôt,  pour  la  Turriui»;, 
Célérifère  allant  troi.sfois  par  jour. 

Apres  six  mois  d'ennuis  et  de  veuvage, 
Richardini  se  dit:  Choississons  mieux; 
Pour  une,  il  ne  faut  pas  perdre  courage, 
Tseult  était  trop  vive  ,  trop  volage; 
Puis,  j'aurai  soin  de  bannir  de  ces  lieux 
Tous  ces  cousins,  la  perte  des  familles, 


7U  CONTES    EN    VERS. 

Vraisdébaucheurs  de  femmes  et  de  filles.  » 
Pour  ne  pas  être  attrapé,  cette  fois, 
Notre  jaloux  d'une  Agnes  a  fait  choix. 
Elle  a  seize  ans,  elle  est  douce,  ingénue, 
Parle  fort  peu,  baisse  toujours  la  vue; 
C'est  un  mouton  qui,  devant  son  mari , 
Se  tient  bien  droite,  et  n'ose  dire  oui. 
Sans  résisterelle  passe  la  jupe. 
En  rougissant,  promet  d'en  prendre  soin. 
L'époux  se  dit  :  «  Je  ne  serai  point  dupe, 
»  Et  celle-ci  n'en  avait  pas  besoin  ! 
»  IS'importe,  il  faut  toujours  delà  prudence: 
»  La  jupe,  au  moins,  couvrira  l'innocence. 
«  Heureux  jupon  !  garantis  ces  contours, 
»  Trésors  secrets  formés  par  les  amours  !  » 

Pendant  six  mois  tout  se  passe  à  merveille  ; 

Après  ce  temps ,  je  le  dis  à  regret , 

Soit  que  d'Agnès  Tinnocence  sommeille, 

La  jupe  fait  encore  son  effet. 

Un  beau  matin  noire  belle  entre  en  danse 

Avec  un  jeune  et  gentil  troubadour, 

Qui  lui  faisait  chanter  tendre  romance , 

Et  sur  un  luth  soupirait  son  amour. 

Pour  une  Agnès  la  petite  s'en  donne  ! 

Notre  ingénue  au  plaisir  s'abandonne; 

Quoique  tenant  toujours  ses  yeux  baissés. 

Sa  danse  est  vive,  et  de  ses  balancés 

Les  mouvemens  sont  très-bien  cadencés. 

Son  troubadour  avec  ardeur  limite  ; 

C'est  vainement  qu'on  veut  les  arrêter. 


CONTES    EN    VERS.  7o 

Ricliardini,  que  cette  danse  irrite, 

Court  au  corsaire,  et,  sans  se  lamenter, 

Au  grand-seigneur  fait  présent  de  sa  femmet 

Et  de  deux  ;  rnoi  je  crois  qu'après  cela 

Notre  barbon  devait  s'en  tenir  là. 

Non  pas  vraiment  ! . . .  il  jure  dans  son  ame 

Qu'il  en  prendra  jusqu'à  ce  que  le  sort 

Lui  fasse  avoir  une  femme  fidèle. 

Il  lui  faudra  chercher  long-temps  encor  ! 

Dans  son  manoir  une  épouse  nouvelle 

Paraît  bientôt.  Elle  a  trente-six  ansj 

Son  air  est  fier,  ses  regards  imposans. 

D'un  mot  trop  gai  sa  vertu  s'effarouche; 

Il  ne  faut  pas  près  d'elle  plaisanter; 

C'est  une  prude,  on  ne  peut  se  vanter 

De  voir  jamais  le  rire  sur  sa  bouche. 

«  Pour  cette  fois,  sur  l'honneur  de  ma  couche 

))  Je  crois  enfin  que  je  pourrai  compter,  >» 

Dit  l'épouseur,  en  passant  à  la  dame 

La  jupe  que  le  diable  lui  vendit. 

Mais  ce  n'est  pas  sans  peine  qu'à  sa  femme 

Il  peut  la  mettre,  il  faut  tout  son  crédit 

Pour  opérer  cette  cérémonie 

Qui  de  madame  alarme  la  pudeur. 

((  Ce  jupon-là  garantit  votre  honneur, 

»  Gardez-le  bifn,  »  lui  dit-il,  "  belle  amie. 

»  —  Que  je  le  garde  !  eh  !  qui  donc  oserait 

M  Me  le  ravir?  Lue  telle  insolence 

»  Coûterait  cher  à  qui  le  tenterait  î 

•>  —  Fort  bien,  ma  foi  ?»  se  dit  l'époux  ;  «je  pense 


76  CONTtS    LN    VERS. 

»  Que  mou  honneur  n'ira  plus  à  vau-l'eau.  » 

Huit  jours  après  ce  dernier  mariage, 
Ricliardini ,  partant  pour  un  voyage , 
Quitte  sa  lemme  et  la  laisse  au  château, 
Lui  promettant  de  faire  diligence. 
Son  mariage  est  encor  trop  nouveau 
Pour  redouter  les  effets  de  l'absence. 
Au  bout  d'un  mois  notre  homme  est  de  retour. 
Qu'avec  plaisir  il  revoit  le  séjour 
De  sa  moitié  toujours  chaste  et  sévère! 
Dans  son  ivresse,  il  ordonne  un  festin; 
Puis,  au  banquet  il  conduit  par  la  main 
Cette  beauté,  de  son  honneur  si  ficre. 
Mais  c'est  le  diable!,.,  à  son  aspect  soudain 
Notre  époux  voit  sauter  son  médecin  ; 
Puis  un  laquais,  garçon  de  bonne  mine; 
Puis  l'intendant,  jusqu'au  chef  de  cuisine, 
En  la  voyant,  ne  peuvent  y  tenir. 
Ce  sont  des  sauts,  des  bonds,  des  cabrioles  ; 
Jamais  on  n'a  vu  de  danses  plus  folles  ; 
Tout  est  en  l'air,  c'est  à  n'en  plus  finir. 
«  Ah!  scélérate,  ah!  traliison  infâme,  » 
Dit  le  mari ,  courant  'dprhs  sa  femme , 
Qu'il  veut  en  vain  empêcher  de  sauter. 
«  La  voilà  donc  cette  prude  sévère , 
»  Avec  mes  gens  elle  m'en  fait  porter!  » 

Il  peut  parler,  on  ne  l'écoute  guère!... 
Et  c'est  encor  notre  ami  le  corsaire 
Qui  des  époux  termine  les  débats. 


CONTES    EN    VERS.  77 

La  prude  fait  voile  pour  la  Turquie; 

Bientôt  après  d'une  autre  elle  est  suivie, 

Et  puis  encor,  on  ne  s'arrête  pas. 

A  chaque  instant  on  voit  femme  jolie 

Qui  du  sultan  va  grossir  les  états. 

Le  grand  seigneur  bénit  cette  folie  , 

Qui  fait  payer  les  femmes  bien  moins  cher, 

Et  le  corsaire  y  gagne  aussi  sa  vie  : 

Grâce  au  jupon  il  est  toujours  en  mer. 

Mais  cependant,  une  telle  conduite 

Fit  redouter  l'hvmen  du  vieux  seigneur. 

Quand  il  offrait  et  sa  main  et  son  cœur, 

Sans  l'écouter  femme  prenait  la  fuite; 

De  l'épouser  on  n'était  plus  d'humeur, 

On  le  craignait  autant  que  Barbe-Bleue; 

Il  inspirait  aux  fillrs  la  terreur; 

Toutes,  enfin,  le  fuyaient  d'une  lieue. 

Sans  la  trouver,  il  cherche  maintenant 

Jeune  beauté  pour  prendre  en  mariage 

Quand,  dans  ses  bois  un  jour  se  promenant, 

Il  aperçoit  fillette  du  village. 

Au  pied  mignon  ,  à  l'œil  vif,  au  teint  frais. 

Richardini  contemple  ses  attraits, 

Puis,  de  la  main  ,  il  fait  signe  à  la  belle. 

Qui  vient  à  lui  sans  se  faire  prier. 

('  Qui  donc  es-tu  ?. . . — Monseigneur,  »  répond-elle, 

"  Je  suis  l'enfant  de  votre  jardinier. 

»  Bien  que  Jeannette,  enfin,  votre  servante. 

»  —  Birn  que  cela!...  mais  elle  est  ravissante  !,,. 

»  Tiens,  ma  Jeannette,  il  faut  nous  marier. 

»  — Nous  marier!...  Ah!  monseigneur  plaisante! 


78  CONTES    EN    VERS. 

»  —  Non  pas  vraiment.  En  serais-tu  contente? 

»  —  Ma  fine  oui  ;  ça  me  ferait  plaisir; 

»  Dans  un  château  l'on  doit  se  divertir. 

» — L'aimable  enfant  ! . .  d'honneur  elle  m'enchante! 

»  A  son  aspect  je  me  sens  rajeunir.  » 

Le  vieux  seigneur  emmène  sa  trouvaille; 

Avec  Jeannette  il  forme  un  doux  lien. 

Dans  son  château,  le  jour  de  son  hymen, 

On  chante ,  on  rit ,  on  boit ,  on  fait  ripaille  ; 

Puis  notre  époux  prend  Jeannette  en  secret, 

Et  vous  devinez  bien  ce  qu'il  lui  met... 

C'est  le  jupon.  La  petite  avec  grâce, 

Se  tient  debout  pendant  qu'il  le  lui  passe , 

Le  trouve  beau...  bien  ample ,  bien  bouffant. 

Or,  vous  saurez  que  cette  aimable  enfant, 

Sous  son  air  simple  et  la  grande  cornette, 

Cache  la  ruse  et  l'esprit  d'un  démon. 

Depuis  long-temps  la  petite  Jeannette , 

Du  vieux  jaloux  habitant  la  maison 

Sans  qu'il  la  vît,  l'épiait  en  cachette; 

Rien  n'échappant  à  l'œil  d'une  fillette. 

Elle  aperçut  les  effets  du  jupon. 

Jeannette  alors  se  dit  :  «  Vengeons  mon  sexe , 

»  Qu'on  vend  aux  Turcs,  et  que  le  diable  vexe.  » 

D'après  cela ,  bien  loin  de  redouter 

La  main  du  vieux,  et  la  jupe  fatale , 

L'aimable  enfant  grille  de  la  porter  ; 

Elle  a  son  plan  et,  sans  se  tourmenter. 

Jeannette  attend  l'union  conjugale. 

En  se  disant  :  «  L'or  est  un  tahsman 


CONTES    EN    VERS.  79 

»  Qui  vaut,  au  moins,  tous  les  dons  de  Satan  j 
»  Dans  le  château  qu'une  fois  je  m'installe , 
»  Avec  de  l'or  je  gage  réussir.  » 

Après  riiymen,  sur  son  simple  désir, 

Richardini,  sans  hésiter,  lui  laisse 

Et  ses  trésors ,  et  le  soin  de  sa  caisse. 

Qu'on  soit  fidèle  est  pour  lui  le  grand  point, 

De  tout  le  reste  il  ne  s'occupe  point. 

Que  fait  Jeannette?  Aussitôt  elle  ordonne 

A  ses  valets,  à  ses  gens  du  château, 

Puis  aux  bergers,  aux  hommes  du  hameau, 

Bref,  à  tous  ceux  qui  verront  sa  personne, 

De  ne  jamais  l'approcher  qu'en  dansant , 

En  sautillant,  gambadant  et  valsant. 

Pour  de  l'argent  il  n'est  rien  qu'on  ne  fasse  j 

Puis,  celui-ci  gaiment  se  gagnera. 

Le  lendemain ,  dès  que  madame  passe , 

Aucun  valet  ne  peut  tenir  en  place, 

Et  c'est  à  qui  le  plus  haut  sautera. 

Jeannette  aussi  danse  par-ci  par-là. 

Sur  quoi  l'époux,  en  se  frottant  la  vue, 

Dit  :  «  Ils  sont  fous,  ou  bien  j'ai  la  berlue  j 

»  Je  ne  l'ai  pas  quittée  un  seul  moment 

»  Depuis  hier  que  Ihymen  nous  engage, 

)»  Je  suis  donc  bien  certain  qu'elle  fut  sage; 

»  Et  mes  valets  sont  tous  en  mouveinenl  !... 

»  Ah!  c'est  trop  fort,  et  je  commence  à  croire 

»  Que  le  jupon  a  perdu  la  mémoire.  >» 

Prenant  alors  sa  femme  sous  le  bras  : 


80  CONTES    EN    VERS 

«  Je  veux,  «dit-il,  «quel'on  vous  rende  hommage; 

»  Venez,  mon  cœur.  »  Mais  ne  voilà-t-il  pas 

Que  sa  moitié  fait  danser  le  village; 

Sur  son  chemin ,  tout  le  monde  est  en  l'air, 

Bergers,  fermiers,  c'est  une  frénésie; 

Jeannette  enfin  partage  leur  folie. 

Et  fait  sauter  jusques  au  magister. 

Ah!  pour  le  coup,  plus  d'injustes  alarmes. 

Et  le  mari  lui-même  rit  aux  larmes 

En  regardant  danser  tout  le  hameau  ; 

Puis  il  s'écrie  :  «  Ah  !  que  j'étais  nigaud  ! 

»  Et  je  croyais  à  la  vertu  magique 

»  De  ce  jupon  ;  ô  maudit  talisman  ! 

))  Mais  je  comprends  la  ruse  diabolique; 

»  C'est  moi  qui  suis  la  dupe  de  Satan! 

»  Pauvres  tendrons,  maintenant  en  Turquie, 

»  Je  le  vois  bien ,  c'est  fort  innocemment 

»  Qu'auprès  de  vous  on  dansait  constamment! 

»  Mais  oublions,  s'il  se  peut,  ma  folie, 

»  Et  toi,  jupon,  qui  m'as  coûté  si  cher, 

»  Ya-t'en  au  diable  et  retourne  en  enfer.  » 

Après  ces  mots,  voulant  venger  ses  femmes. 

Il  prend  la  jupe  et  vous  la  livre  aux  flammes. 

Or  vous  jugez,  en  la  voyant  roussir, 

Si  Jeanneton  ("prouve  du  plaisir! 

INc  portant  plus  cette  jupe  perfide, 

De  son  époux  elle  combla  les  vœux. 

Voyant  par  elle,  et  la  prenant  pour  guide, 

Avec  Jeannette  il  vécut  fort  heureux; 

En  promettant  chaque  jour  à  sa  femme 


CONTES    EN    VERS.  81 

De  ne  plus  rien  acheter  du  démon , 
Il  retrouva  la  douce  paix  de  l'anie, 
Et  le  bonheur  revint  dans  sa  maison. 
Après  cela,  sur  ce  que  fit  Jeannette, 

Je  ne  dis  mot ,  je  le  laisse  à  penser 

Ne  craignant  plus  la  parure  indiscrète, 

Elle  pouvait  à  son  aise  danser; 

Mais  elle  sut  sauver  les  apparences, 

C'est  un  devoir  :  avec  son  favori 

II  ne  faut  pas,  bravant  les  convenances. 

Se  mettre  en  danse  au  nez  de  son  mari. 


LA   NATURE. 


Un  jeune  Anj^lais  revenait  d'Amérique, 
Rapportant  sur  son  bâtiment 
Une  cargaison  magnifique. 
Il  s'occupait  déjà  du  placement; 
Au  moment  d'arriver,  une  horrible  tempête 
Fait  nauf rager  le  vaisseau  près  du  port  ; 
Tout  va  périr...,  pour  éviter  la  mort, 
Notre  Anglais  ne  perd  pas  la  tête  : 
Il  saisit  une  planche  avec  ses  bras  nerveux, 
Et  se  laisse  flotter  sur  la  mer  orageuse. 

Bientôt  une  vage  écumeuse 
Le  pousse  sur  la  rive  où  tendent  tous  ses  vœuxj 
Mais  c'est  sur  les  côtes  de  France 
Que  notre  Anglais  vient  d'aborder. 
Il  n'a  plus  rien;  trop  fier  pour  demander, 
Assez  tristement  il  s'avance.... 
Dans  un  endroit  désert,  sur  le  haut  d'un  rocher, 
Il  aperçoit  un  ermitage. 
«  Allons,  »  dit-il,  «  je  vais  tâcher 
»  De  trouver  dans  ce  lieu  sauvage 
»  Pour  quelque  temps  un  abri  protecteur.  » 
Pour  gravir  le  rocher,  retrouvant  son  courage, 


CONTES    EN   VERS.  85 

Il  arrive  bientôt.  Mais  l'ancien  possesseur 

De  cette  modeste  retraite 

Venait  de  descendre  au  tombeau. 
L'Anglais  entre,  il  voittout,  lendroitn'estpasfortbeau, 
Les  murs  sont  en  rocher;  un  humide  caveau 
Sert  de  chambre  à  coucher.  Des  racines,  de  l'eau, 
Composaient  les  repas  de  l'humble  anachorète. 
Dans  ce  triste  réduit,  loin  d'accuser  le  sort, 

TSotre  Anglais,  se  montant  la  tête 
Et  d'un  beau  sentiment  éprouvant  le  transport, 
S'écrie  :  «  Ah  1  c'est  ici  que  paisible,  tranquille, 

»  On  doit  couler  des  jours  heureux; 

»  Oui,  la  paix  est  dans  cet  asile, 
»  Loin  du  monde ,  du  bruit ,  loin  des  ambitieux, 
»  Et  de  ces  faux  plaisirs  qui  troublent  notre  vie; 
))  C'est  ici,  je  le  sens,  qu'il  faut  vivre  et  moin-ir; 
»  Oui,  tout  à  la  nature,  à  l'abri  de  l'envie, 
»  De  ses  nombreux  bienfaits  ici  je  vais  jouir.  « 

De  cet  Anglais  le  zèle  était-il  véritable? 

Je  l'ignore,  mais,  en  tous  cas, 
Il  vient  très  a  propos,  et  c'est  fort  raisonnable 

De  mépriser  ce  qu'on  n'a  pas. 

Il  s'établit  dans  l'ermitage. 

Se  vêtit  fort  légèrement; 
Marchant  pieds  nus,  couciu';  très-durement , 

La  barbe  longue,  l'air  d'un  sage, 
Fait  8e«  adieux  aux  rosbeefs,  aux  beeftoks, 

Et  (ht  racines^  de  fruits  secs 

Se  nourrit  dans  ce  lieu  sauvage. 


8i  CONTES    EN    VERS. 

Un  jour  qu'assis  sur  le  rocher 

Il  contemple  à  loisir  l'orage  qui  s'apprête, 
Un  homme  accourt.  Il  vient  chercher 
Dans  sa  demeure  une  retraite. 
Jetant  les  yeux  sur  notre  anachorète  : 
«  O  ciel!  »  dit-il!  «  est-ce  bien  toi? 
))  Edouard,  mon  ami!... —  Mais  c'est  Alfred,  je  croi. 
»  —  On  te  croyait  noyé!  cher  ami,  ton  naufrage 

»  T'aura  jeté  sur  ce  rocher  sauvage  : 
»  Que  fais-tu  donc  ici?  — Mon  cher,  je  suis  heureux, 

»  Et  je  jouis,  en  homme  sage, 
»  Des  biens  que  la  nature  étale  sous  mes  yeux. 
»  — Comment?  danscedésert  ! — Tiens,  vois  cette  coUine 
«  La  mer. . .  cette  forêt. . .  est-il  rien  de  plus  beau  ? 

»  —  Mais  il  est  plus  doux,  j'imagine, 
»  D'admirer  tout  cela  du  balcon  d'un  château. 
»  Et  ce  costume?  —  Ah  !  c'est  celui  de  l'homme 
»  Qui  sait  braver  et  le  froid  et  le  chaud. 
»  Que  me  faut-il  de  plus?  Quand  il  mangea  la  pomme 
»  Notre  père  commun  n'avait  point  de  manteau. 
»  — C'est  fortbien;  cependant,  pour  marcher  sur  des  pieri 
»  Tu  n'as  pas  des  souliers. — Eh  1  qu'en  ai-je  besoin?  ' 
»  Bien  plus  facilement  j'évite  les  ornières  ! 
»  La  nature,  mon  cher,  pour  courir  eut  le  soin 
»  Denousdonner  despieds  et  nonpas  des  chaussures. 
»  Je  marche  sans  souliers  et  crains  peu  les  blessures. 

»  —  Allons ,  j'en  conviens ,  c'est  fort  beau  ; 
»  Mais  j'aurais  bien  besoin  de  manger  un  morceau. 
»  — Assieds-toi.  .,mange,bois. — C'estlà  ton  ordinaire? 
»  Il  est  plus  que  frugal,  et  tu  fais  maigre  chère; 
»  Ce  breuvage,  ma  foi,  n'a  rien  de  restaurant. 


CONTES    EN    VERS.  85 

»  —  Pour  me  désaltérer  je  puise  cette  eau  claire 

»  Dans  ce  ruisseau...  Quel  cristal  transparent!.. 
»  Ces  racines,  ces  fruits,  présens  de  la  nature, 
»  Suffisent  pour  nourrir  une  anie  simple  et  pure. 
>)  O  mon  ami ,  fais  comme  moi , 
»  Reste  en  ces  lieux ,  pour  goûter  à  ton  aise 
))  De  tous  ces  biens  nouveaux  pour  toi... 
»  — Non  pas,  vraiment!  bien  loin  que  ce  séjour  me  plai.sc, 
»  Je  vais  partir  j  je  te  fais  compliment , 
»  Je  t'admire,  je  te  le  jure  : 
»  Adieu,  sois  tout  à  la  nature, 
»  Moi,  j'aime  mieux  vivre  autrement.  » 

Son  ami  Ta  quitté.  Pendant  plus  d'une  année 

Notre  Anglais  reste  dans  son  trou. 
Mais  un  de  ses  cousins ,  revenant  du  Pérou  , 
Meurt  sans  avoir  formé  les  nœuds  de  l'hyménée. 

De  tous  ses  biens  au  reclus  il  fait  don. 
Grâce  à  son  jeune  ami ,  qui  connaît  sa  retraite. 
On  trouve  l'héritier  dans  son  humble  maison. 
En  apprenant  son  sort  le  sage  perd  la  tête  : 
Jetant  au  loin  son  sale  vêtement 
Et  son  déjeuner  de  rhubarbe  , 
Se  chaussant,  se  faisant  la  barbe, 
En  moins  d'une  heure  ,  il  a  quitté  son  logement. 
Avec  son  messager,  il  passe  en  Angleterre  ; 
De  tousses  biens  il  prend  possession. 
Puis  ,  dans  le  luxe  et  la  profusion  , 
Faisant  grand  train  et  bonne  chère , 
Cédant  à  ses  penchans ,  suivant  tous  ses  désirs  , 
Plus  quo  jamais  il  sp  livn-  aux  plaisirs. 


86  CONTES    EN    VERS. 

Dans  un  banquet,  buvant ,  faisant  tapage, 

Un  jour  son  ami  le  revoit. 

Souriant,  dès  qu'il  l'aperçoit  : 

«  Te  voilà  ,  »  lui  dit-il  «  mon  sage  ! 
»  Eh  quoi  !  sur  ton  rocher  tu  n'es  pas  endormi  ? 

>)  Et  la  nature?  —  Ah  !  mon  ami  !... 
»  Qu'elle  est  belle  !  mais  c'est  quand  on  a  fait  naufrage.  » 


LE   RAT. 


«  Mor^Tué!  comment  faut-il  donc  faire  ?  » 

Disait  Matliurin  le  fermier 

A  sa  gentille  nn-nagère  , 

Femme  accorte  et  très-peu  sévère 

Avec  son  voisin  le  meunier. 

«  J'ons  pourtant  mis  dans  le  grenier 

»  Notre  plus  grande  souricière , 

»  Et  je  n'attrape  pas  ce  rat 

))  Qui  fait  clieux  nous  tant  de  dégât. 

»  Nos  deux  garçons ,  Gros-Jean  et  Pierre , 

»  L'ont  vu  passer  sous  les  fagots  : 

»  Mais  ils  disent  qu'il  est  si  gros 

»  Que  ça  fait  peur  !  Je  crains,  ma  chère  , 

))  Que  le  coquin  ne  puisse  pas 

»  Entrer  dans  notre  souricière. 

»  Si  je  n'avais  pas  peur  des  rats , 

»  Je  m(î  mettrais  en  embuscarle  ; 

»  Mais  en  voir  un  me  rend  malade, 

»  Surtout  s'il  est  en  liberté. 

»  —  Ecoute ,  »  répond  la  commère  ; 

i<  Bien  plus  que  toi ,  sans  vanité  , 

I)  Mon  cher,  j'ai  delà  fermeté; 


88  CONTES    EN    VERS. 

M  Un  rat  ne  m'effarouche  guère  ! 

»  Je  prétends  guetter  cette  nuit 

)»  L'objet  de  ta  terreur  extrême  ; 

»  Je  veux  m'assurer  par  moi-même 

»  S'il  est  aussi  gros  qu'on  ie  dit. 

»  Dans  le  grenier ,  dessus  la  paille , 

»  Jel'attendrai.  — Quoi!  tout  de  bon  ! 

»  Tu  ne  crains  pas  ce  rat  ?.. .  —  Eh  !  non  ! , 

»  — Mais  prends  quelqu'un  delà  maison 

»  Avec  toi.  —  Le  jour  on  travaille; 

»  La  nuit  nos  gens  doivent  dormir. 

»  Sois  tranquille;  pour  le  saisir 

»  Avec  moi  je  ne  veux  personne  ; 

»  Ce  rat  ne  me  mangera  pas. 

»  — Va  comme  il  est  dit,  en  ce  cas; 

»  Morgue,  tu  fais  une  luronne  !^'» 

La  nuit  vient,  et ,  quand  Mathurin 
Dans  son  lit  est  allé  s'étendre , 
La  fermière  prend  le  chemin 
Du  grenier,  où  vient  de  se  rendre  , 
En  secret ,  le  meunier  voisin , 
Sans  doute  pour  l'aider  à  prendre 
Ce  rat  qui  met  tout  en  rumeur , 
Et  dont  notre  époux  a  si  peur  !... 
Le  pauvre  homme  serait-il  dupe  ? 
Assis  sur  la  paille  tous  deux , 
Est-ce  bien  du  rat  qu'on  s'occupe  ?. . . 
Soit  ! . . .  Pendant  qu'ils  sont  en  ces  lieux, 
Mathurin  ,  seul,  sur  sa  couchette, 
Cherche  le  repos  qui  le  fuit. 


CONTES    EN    VERS.  89 

Le  rat  lui  trotte  dans  la  tête , 

Il  croit  l'entendre  sous  son  lit. 

Tremblant,  il  se  lève  sans  bruit  , 

Et  se  dit  :  i<  Voyons  si  ma  femme  f 

»  A  pris  quelque  chose  là-bas.» 

Vers  le  grenier  à  petits  pas 

Il  se  dirige.  Mais  la  dame 

A  fermé  la  porte  avec  soin. 

L'époux  frappe  de  loin  à  loin, 

Sans  trop  se  presser ,  car  il  pense 

Que  sa  femme  a  pu  s'endormir. 

—  «  Eh  !  qui  donc  peut  ainsi  venir  ?  » 

Dit  la  fermière,  sans  ouvrir, 

Et  du  ton  deTimpatience. 

«  —  C'est  moi ,  ma  femme  :  a-t-il  paru  .'*. . , 

n  —  Comment ,  c'est  toi  !  Que  viens-tu  faire  ? 

»  —  Le  rat  ?. . .  —  Mais  veux-tu  bien  te  taire  1 

))  Tu  l'effarouches...  —  L'as-tu  vu? 

»  —  Eh  oui ,  sans  doute ,  il  est  superbe  ! 

»>  Peste,  il  ne  se  nourrit  pas  d'herbe, 

»  Il  est  de  taille ,  celui-là  ! . . . 

»  —  Mais  enfin ,  dans  ta  souricière 

»  Espères-tu  qu'il  entrera  .' 

»  —  Sans  doute ,  il  est  entré  dc-jà  ; 

»  Mais  le  coquin  ne  reste  guère  ! 

»  Va-t'en  ;  je  suis  à  le  guetter... 

»  Je  crois  que  je  l'entends  gratter... 

M  Sauve-toi.»  Sans  ouvrir  la  bouche, 

Mathurin  regagne  sa  couche , 

V.n  un  instant  il  est  en  bas  , 

Car  il  croit  le  rat  sur  ses  pas. 


90  CONTES    EN    VERS. 

Tant  bien  que  mal  la  nuit  se  passe  5 

Mais  sitôt  que  le  jour  renaît , 

Vers  le  grenier  ,  avec  audace, 

Il  se  rend.  Sa  femme  en  venait. 

«  Ha  çà ,  mais,  ai-jela  berlue  ?  » 

Dit  notre  homme  en  la  contemplant  ; 

»  Qui  donc  t'a  si  bien  mise  au  blanc  ? 

»  T'en  voilà  joliment  pourvue , 

»  Et  par  derrière  et  par  devant  1 

»  Serais-tu  tombée  en  rêvant  ? 

»  C'est  par  ma  foi  de  la  farine  ! 

»  — Eh  !  sans  doute,  c'en  est ,  nigaud  j 

»  Pour  prendre  des  rats ,  pauvre  sot , 

»  On  s'en  couvre,  quand  on  est  fine. 

»  Mais  tu  ne  comprends  jamais  rien. 

»  —  Je  suis  un  oison  ,  j'en  convien. 

»  Mais,  montre-moi  ta  souricière j 

»  Ah  !  quel  plaisir  je  vais  avoir  !... 

»  Le  coquin  est  en  ton  pouvoir  ! 

r.  —  Tiens  ,  regarde  ,»  dit  la  fermière  , 

En  faisant  voir  à  Mathurin 

Un  rat  petit ,  maigre  et  vilain. 

«  — Comment  !  voilà  toute  ta  prise  !... 

»  C'était  bien  la  peine,  ma  foi , 

»  De  s'exposer  au  vent ,  au  froid  , 

»  Pour  une  telle  marchandise  ! 

»  Il  est  plus  petit  qu'un  pierrot  ; 

n  Tu  n'as  pas  pris  le  gros  ,  ma  chère. 

»  — C'est  ta  faute  après  tout,  grand  sot,  » 

Répond,  en  riant,  la  commère, 

«  Il  ne  faut  pas  y  pendant  la  nuit  | 


CONTES    EN    VETIS. 

»  Venir  avec  delà  lumière 

»  Me  troubler  et  faire  du  bruit. 

»  De  le  saisir  j'ai  la  manière, 

»  Mais ,  ne  reviens  plus  te  montrer  ! 

»  S'il  t'entend ,  dans  la  souricière 

»  Il  n'osera  pas  pénétrer.  >» 


91 


EDMOiSD. 


Un  jour,  dans  un  riant  parterre 
Se  promenait  Edmond  avec  son  précepteur. 
Edmond  n'a  que  huit  ans ,  c'est  l'âge  du  bonheur  , 
Où  Ton  ne  songe,  en  cueillant  une  fleur, 
Qu'au  doux  plaisir  de  l'offrir  à  sa  mère. 
C'est  pour  cela  qu'Edmond  fait  un  bouquet. 

Déjà  dans  son  humeur  volage, 

Courant  du  lilas  à  l'œillet , 

Partout  il  moissonne,  il  ravage. 
Le  bouquet  devient  gros...  il  glane  en  liberté; 

Mais  l'enfance  est  ambitieuse  , 

Ce  n'est  que  par  la  quantité 

Qu'on  parvient  à  la  rendre  heureuse. 

Dans  le  haut  d'un  épais  bosquet 

Edmond  aperçoit  une  rose  : 

Elle  manquait  à  son  bouquet. 

Il  faut  grimper,  c'est  peu  de  chose, 

Et  la  rose  n'en  plaît  que  mieux! 

Edmond  la  saisit,  il  la  cueille... 

Mais  des  pleurs  coulent  de  ses  veux... 
Près  de  son  précepteur  il  revient  tout  honteux, 
La  main  ensanglantée...  arrachant  feuille  à  feuille 


CONTES    EN    VERS.  93 

Cette  fleur  qui  l'avait  charmé. 
<«  Qu'avez-\ous  donc?  »  dit  le  maître  alarmé, 
«  Quoi!  faut-il,  pour  quelques  piqûres, 
»  Effeuiller,  accabler  d'injures 
»  La  rose...  la  reine  des  fleurs! 
»  — Ça...  la  reine  des  fleurs...  Ah!  vous  riez,  je  pense, 
»  Elle  pique,  et  déjà  j'aime  moins  ses  couleurs. 
»  —  L'objet  dont  aisément  on  a  la  jouissance 
»  IN'est  pas,  Edmond,  celui  qui  donne  le  bonheur. 
»  Vous  connaîtrez  plus  tard  que  ce  précepte  est  sage; 
)>  Vous  grandirez,  et  vous  direz,  je  gage  : 
»  Il  avait  bien  raison  mon  précepteur.  » 

Le  temps  passe,  d'autres  soins  viennent; 
Edmond  est  fort  bien  fait,  il  a  bonne  façon , 

Et  toutes  les  dames  conviennent 

Que  c'est  un  fort  joli  garçon. 

Il  est  riche,  sa  table  est  boune, 

Il  est  aimable,  généreux, 
Et  comme  dans  le  monde  on  s'attache  aux  heureux. 

Chacun  s'attache  à  sa  personne. 

Partout  il  est  chéri ,  fêté, 

A  ses  moindres  vœux  on  s'empresse; 
Les  danif's  ont  pour  lui  presque  autant  de  tendresse 

Qu'il  a  de  générosité. 

Mais  au  sein  de  la  volupté, 

Dans  les  fêtes,  dans  la  mollesse, 

Edmond  voit  que  le  bonheur  cesse 

Dès  que  vient  la  satiété. 

Tout  bas  il  soupire,  il  s'ennuie, 

Il  n'ose  encore  en  convenir  ; 


9A  CONTES   EN   VERS. 

Mais  il  sent  bien  que  dans  la  vie 
Tous  les  jours  du  plaisir,  ce  n'est  plus  du  plaisir. 
Si  j  du  moins,  à  ses  vœux  on  mettait  des  obstacles... 

Mais  pour  contenter  son  désir 

On  ferait  plutôt  des  miracles  I 
((  Ah!  »  dit  Edmond  lassé  de  son  bonheur, 
«  Il  avait  bien  raison,  mon  précepteur. 
»  La  rose  sans  épine  aurait  bien  moins  de  charmes  I . . . 
»  Chez  toutes  ces  beautés  qui  m'ont  rendu  les  armes, 

»  J'aurais  bien  voulu  rencontrer 
»  Ce  qui  jadis  a  fait  couler  mes  larmes! 

»  Hélas!  je  n'ai  qu'à  me  montrer!... 
))  Tout  cède...  tout  sourit...  grâces  à  ma  fortune, 

»  Je  n'ai  plus  rien  à  désirer, 
))  Et  sur  mes  pas  une  foule  importune 
»  Yole  au  devant  de  mes  moindres  souhaits! 

»  Que  je  suis  malheureux!...  Que  faire?... 

»  Qu'est-ce  donc  qui  pourrait  me  plaire?... 

»  Eh  !  mais,  dans  mes  jardins  anglais, 

»  J'aperçois  des  buissons  de  roses... 

»  Ah  !  courons  bien  vite  en  cueillir  ! . , . 
»  A  me  piquer  je  sens  que  j'aurai  du  plaisir.  » 

Edmond  court...  Il  faut  peu  de  choses 

Pour  ranimer  un  faible  esprit  ! . . . 

Pris  du  rosier  Edmond  sourit  ; 

Il  s'arrête,  contemple,  admire. 

«  Ah  !  qu'on  a  bien  raison  de  dire 

»  Que  voilà  la  reine  des  fleurs  !  » 
Puis,  éprouvant  presque  une  jouissance, 

Vers  le  buisson  sa  main  s'avance... 

Mais  ses  valets,  autres  flatteurs, 


CONTES    EN   VERS.  95 

Craignant  pour  lui  de  légères  douleurs, 

S'il  voulait  cueillir  une  rose, 
Et  voulant  lui  montrer  leur  zèle  en  toute  chose , 

Ont  désarmé  les  belles  fleurs. 

Edmond,  dont  la  main  se  hasarde, 

En  cueille  plusieurs. . .  il  regarde , 

Et  ses  yeux  se  mouillent  de  pleurs. 

C'est  en  vain  qu'il  les  examine  ! 

Hélas  !  elles  sont  sans  épine  ! 

Il  les  rejette  avec  fureur. 

En  disant  :  «  Quelle  différence! 
»  J'aimais  bien  mieux  celles  de  mon  enfance... 
»  Ah!  qu'il  avait  raison,  mon  précepteur!  » 


LE   VIEUX   CHENE. 


A  l'ombre  d'un  épais  feuillage , 
Sous  un  chêne  majestueux, 
Laure  ,  en  s'éloignant  du  village  , 
Va  rêver  à  son  amoureux. 

Le  chêne  qui  protège  Laure 
Est  révéré  par  les  amans, 
Et,  quoique  vieux,  il  peut  encore 
Recevoir  les  plus  doux  sermens. 

Laure  a  seize  ans,  elle  est  charmante; 
Son  cœur  est  tendre  et  sans  détour, 
Et  dans  ses  yeux,  son  ame  aimante 
Se  peint  pure  comme  un  beau  jour. 

Armand  lui  jure  ardeur  extrême. 
Chacun  lui  dit  :  C'est  un  trompeur. 
Mais  à  seize  ans,  celui  qu'on  aime 
ÎNe  fera  que  notre  bonheur. 

Sous  le  vieux  chêne ,  où  la  prudence 
Devrait  l'empêcher  de  venir, 


CONTES    EN    VERS.  97 

Laure  a  perdu  son  innocence , 
Armand  a  trouvé  le  plaisir. 

Chaque  soir  l'amour  les  ramène 
Près  de  ce  témoin  de  leurs  feux. 
A  ne  point  quitter  le  vieux  cliêne 
Laure  bornerait  tous  ses  vohix. 

Bientôt  Armand  se  fait  attendre. 
Ces  momens  lui  semblent  moins  doux. 
Il  est  moins  empressé.  .  moins  tendre... 
Bientôt...  il  manque  au  rendez-vous. 

Laure ,  seule ,  est  sous  le  vieux  chêne  ; 
Ce  confident  de  son  bonheur 
Devient  le  témoin  de  sa  peine  , 
De  ses  larmes^  de  sa  douleur. 

Passant  souvent  la  nuit  entière 
Sous  l'arbre  qu'ils  avaient  choisi  _, 
Laure,  sans  fermer  la  paupière. 
Se  dit  :  »<  Je  dois  l'attendre  ici.  » 

Dans  la  vallée,  oia  son  œil  [)lon[{e, 
PJle  croit  rcntendre...  le  voir... 
Le  jour  renait...  c'était  un  songe! 
(Chaque  instant  (rompe  son  espoir. 

Ses  veilles,  sa  peine  cruelle, 
Ont  flétri  son  teint,  sa  beauté; 
Et  pourtant  Laure  est  cncor  belle 
D'amour  et  de  fidélité. 


98  CONTES    EN    VERS. 

Un  jour  enfin,  près  du  vieux  chêne, 
Le  volage  Armand  a  passé; 
Laure  dit  :  «  L'amour  le  ramène.  » 
Vers  lui  son  cn^ur  s'est  élancé. 

«  Ali!  je  t'attendais,  »  lui  dit  Laure,, 
((  Long-temps  mes  vœux  furent  déçus  ! 
»  Pourquoi  fuir  celle  qui  t'adore? 
»  —  C'est  que...  je  ne  vous  aime  plus.  » 

A  ces  mots  quittant  la  pauvrette , 
L'ingrat  disparaît  à  ses  yeux, 
Et  Laure  immobile,  muette. 
Semble  fixée  aux  mêmes  lieux. 

Le  jour  a  fini  sa  carrière , 

La  pluie  a  grossi  le  torrent , 

La  foudre  gronde...  à  sa  chaumière 

Le  villageois  craintif  se  rend. 

Sous  le  chêne  la  triste  Laure 
Reste  dans  ce  fatal  moment, 
Car  elle  croit  entendre  encore 
Les  derniers  mots  de  son  amant. 

«  O  Dieu!  »  dit-elle ;,  «  vois  ma  peine, 
»  Ici  j'ai  connu  le  bonheur  ; 
»  Ah!  fais-moi  mourir  sous  ce  chêne 
»  Où  j'ai  cru  posséder  son  cœur.  » 

Du  vieux  chêne  la  tête  altière 
Au  tonnerre  vient  d'échapper... 


CONTES    EN    VERS.  99 

Il  tombe...  Laure  est  en  poussière... 
Est-ce  elle  qu'il  devait  frapper  ? 

Sous  le  chêne  ;  Laure  repose  ; 
Là^  tant  d'attraits  furent  reçus  : 
Sur  la  pierre  on  voit  une  rose 
Et  ces  mots  :  //  ne  V aimait  plus. 

Jeunes  amans ,  que  ce  feuillage 
Par  vous  soit  toujours  respecté. 
On  l'a  nommé  dans  le  village 
L'arbre  de  la  fidélité. 

Vain  espoir!...  Toujours  d'âge  en  âge 
L'inconstance  l'emportera , 
Et  l'on  fera_,  sous  son  ombrage, 
D'autres  sermens...  qu'on  trahira. 


LE  MARI  SENTINELLE. 


Le  sot  mal  que  la  jalousie  ! 
Pauvres  maris ,  lâchez  donc  d'en  (juérir. 
C'est  un  transport ,  c'est  une  frénésie, 
Qui  n'est  bonne  souvent  qu'à  nous  faire  haïr. 

Je  vous  propose  ce  dilemme, 
A  vous  qui  regrettez  verroux  et  cadenas  : 

Oul'on  vous  trompe,  ou  l'on  vous  aime, 
(  Aimer  veut  dire  ici  qu'on  ne  vous  trahit  pas  ). 
Si  votre  épouse  est  fidèle 
Vous  vous  tourmentez  à  tort  ; 
Si  l'on  vous  trompe,  en  vain  vous  ferez  sentinelle  , 
Vous  ne  pourrez  éviter  votre  sort. 

C'est  aux  habitans  de  l'Espagne 
Que  je  m'adresse,  à  ce  peuple  galant , 
Auquel  l'amour  ,  dans  ce  climat  brûlant , 
Fait  souvent  battre  la  campagne. 
Je  sais  que  les  maris  français 
Près  de  leurs  femmes  sont  plus  sages; 
C'est  le  pays  des  bons  ménages , 
La  jalousie  a  chez  nous  peu  d'accès. 


CONTES    EN    VERS.  '101 

Nous  nous  fions  à  la  foi  de  nos  belles, 
Nous  n'avons  pas  à  nous  en  repentir  ! 
Car  presqu'autant  que  nous  ces  dames  sont  fidèles. 

Je  suis  forcé  d'en  convenir  ; 

Et  l'on  ne  verrait  pas  près  d'elles 

Des  maris  faire  sentinelles 
Comme  celui  que  je  vais  vous  offrir  : 

C'était  dans  l'Andalousie 

Que  vivait  don  Ribéra. 

Il  avait  femme  jolie  , 

Maison  ,  ferme  ,  métairie. 

Moi ,  je  crois  qu'avec  cela 
On  peut  gaiment  passer  la  vie  ; 
Mais  ,  d'une  sombre  jalousie 
Notre  pauvre  époux  est  atteint. 
Toujours  triste,  inquiet ,  contraint. 
Le  voyez-vous  prèsdesa  femme? 
L'air  soupçonneux  ,  les  yeux  hagards... 
Il  veut  lire  au  fond  de  son  ame! 
Convenons-en  ,  de  tels  regards 
N'inspirent  point  une  bien  douce  flamme  ; 
Et,  pour  plaire  à  sa  fennne,  au  lieu  dètre  jaloux  , 
Il  vaudrait  mieux  lui  faire  les  yeux  doux. 

Inès  aime  les  fleurettes , 
Lps  soupirs,  Ips  petifs  mots  ; 
Jolis  ricus,  dout ,  à  projjos. 
On  .se  .sert  en  pmourettes. 
Car  il  faut  de  ramour.  par  des  soins  assidus  , 


^02  CONTES    EN    VERS. 

Entretenir  la  flamme  éblouissante  ; 
La  laissez- vous  devenir  languissante: 

Bientôt  elle  ne  brûle  plus. 

Mais  Ribéra  par  sa  folie 

A  déjà  trouvé  le  moyen 

De  perdre  le  cœur  de  sa  mie. 

Il  la  suit ,  l'obsède ,  l'ennuie , 

L'accuse  à  tort,  et  fait  si  bien 

Que,  de  dépit,  la  jeune  femme 

Sent  naître  dans  le  fond  de  l'ame 

Désir  ardent  de  se  venger. 
Pauvre  mari ,  je  te  vois  en  danger  ! 
Et  ce  n'est  plus  à  tort  que  le  front  te  démange  , 
Car  nous  savons  comment  une  femme  se  venge. 

L'époux,  craignant  la  trahison, 
A  renvoyé  sa  servante  fidèle; 
Lui  seul ,  avec  sa  femme ,  habite  sa  mai.son  ; 
Et,  tous- les  soirs  ,  il  meten  sentinelle 
A  la  porte  de  son  jardin 
Un  formidable  mannequin , 
Bien  vêtu,  bien  armé,  qui,  se  trouvant  dans  l'ombre, 

rSe  peut  manquer,  dès  qu'il  fait  sombre. 
D'effrayer  les  galans  qui  voudraient  se  montrer. 
Malgré  ses  soins,  en  secret  pour  sa  femme 
Un  beau  jeune  homme  est  tout  de  (Inmme. 
Il  soupire  ,  il  fait  soupirer  : 
Car,  en  dépit  du  mal  que  Ribéra  se  donne, 
Inès  a  vu  notre  galant; 
Yl  est  gentil ,  bien  fait  de  sa  personne  ; 


CONTES    EN    VERS.  -105 

Son  regard  est  tendre  et  brûlant. 
Tandis  que  son  mari. . .  Dieu  !  (juelle  différence  ! . . , 
Tout  cela  pour  l'amant  fait  pencher  la  balance. 
Mais  comment  se  parler  ?  l'époux  est  toujours  là. 

L'amant  a  gagné  la  servante 

Chassée  à  tort  par  Ribéra. 
Quand  c'est  pour  se  venger,  femme  est  bientôt  savante; 
Elle  fait  parvenir  à  la  belle  un  billet , 
Dans  lefjuel  on  l'engage  à  se  rendre  au  bosquet, 

Pendant  que  son  mari  sommeille. 
Mais  un  jaloux  a  toujours  l'œil  au  guet  : 

Soir  et  matin  Ribéra  veille; 
L'amoureux,  désolé,  caché  dans  le  jardin  , 
Voit ,  chaque  nuit,  fuir  l'espoir  qui  le  berce; 

Si  bien  qu'en  sa  fureur  il  perce 

Et  coupe  en  deux  le  mannecjuin 

Qui  semble  narguer  sa  tendresse. 

En  descendant  le  lendemain , 
A  visiter  partout  don  Ribéra  s'empresse... 

Quel  spectacle  frappe  ses  yeux.  . 

On  a  tué  sa  sentinelle  : 
Preuve  que  des  galans  sont  venus  en  ces  lieux. 
«  Ah,  morbleu  !  «  se  dit-il,  <(  je  vous  la  garde  balle, 

»  Beaux  troubadours,  coureurs  de  nuit! 
»  Mon  soldat ,  dés  ce  soir,  va  se  mettre  en  fléfense  ; 
I»  >e  di.sons  rifu  ,  ne  .'•"aisous  point  de  bruit, 

»  Je  punirai  leur  in.solence.  » 

Au  gré  de  ses  désir?* ,  la  nuit  arrive  enfin  ; 
^otre  jaloux  (quitte  sa  belN-, 
Et,  sous  riiabil  du  manîiequin. 


[i^JJL 


Ci 


^0A  CONTES    EN    VERS. 

Armé  jusques  aux  dents ,  se  met  en  sentinelle. 

Inès,  par  un  chemin  secret, 

Se  rend  aussitôt  au  bosquet; 

A  l'amant  elle  apprend  ia  ruse. 
La  servante,  à  l'instant,   se  couvre  d'un  manteau, 

Sur  ses  yeux  enlonce  un  chapeau; 
Et,  pendant  qu'au  bosquet  notre  couple  s'amuse, 

Devant  le  mari  va  rôder, 

Sans  trop  l'approclier,  et  pour  cause. 

Ribéra,  tenant  bouche  close, 
Attend,  i'épée  en  main,  qu'on  ose  l'aborder. 

Au  point  du  jour,  Inès  va  regagner  sa  couche; 
L'amant  quitte,  à  regret,  le  bosquet  tant  chéri; 
Et  la  servante  ,  fine  mouche, 
Disparaît  aux  veux  du  mari. 
«  Ah  !  ah!  »  dit  Ribéra  trompé  dans  son  attente, 
«  C'est  dommage  qu'il  n'ait  point  osé  me  toucher; 
»  Mais,  peut-être  demain  il  voudra  s'approcher. 

»  Nous  y  serons,  il  iaut  qu'il  sente 
»  La  force  de  mon  bras.  Je  passerai  plutôt 
»  Vingt  nuits  de  suite,  s'il  le  faut; 
(  »  Mais  j'accomplirai  ma  vengeance.  » 

Notre  jaloux  alors  rentre  dans  sa  maison. 
Sa  femme  l'attend  en  silence. 
(<  Eh  bien!  »  dit-il ,  «  j'avais  raison 
»  D'aller  me  mettre  en  sentinelle; 
»  Dn  homme  a,  cette  nuit,  rôdé  près  de  ces  lieux, 
»  Et  certes,  c'est  pour  vous,  la  belle; 
»  Mais  je  saurai  léconipenser  son  zèle. 
»  —  Ah  !  »  dit  Inès  en  baissant  ses  beaux  yeux, 


CONTES    EM     VERS.  i05 

»  Du  sentiment  qui  vous  anime 
»  Je  suis  loin  de  vous  faire  un  crime  ; 
))  Surveillez  ce  galant,  vous  nie  ferez  plaisir  j 
»  Au  moins  vous  serez  sûr  que  je  vous  suis  fidèle, 

»  Et  désormais  mon  seul  dosir 
))  Est  que,  toutes  les  nuits,  vous  fassiez  sentinelle.  » 


L\  FEMME  AUTEUK. 


Deux  frères,  riches  commerçans, 

Pensaient  à  se  mettre  en  ménage  : 
Chacun  voulait  une  compagne  sage, 

Douce,  jolie  et  de  bon  sens; 

Chacun  enfin  ,  c'est  l'ordinaire , 

S'en  créait  une  a  sa  manière. 

Dans  une  maison  de  Paris , 
Où  ,  sous  les  yeux  des  mamans  et  des  tant&j, 

Plusieurs  demoiselles  charmantes. 
En  jouant  au  nain  jaune,  attendaient  des  maris  , 

rSos  deux  Irércji  un  jour  sont  pris. 

Chacun  a  trouvé  sa  chimère, 
Ln  ange  de  beauté,  de  vertus  et  de  goût; 

Enfin  celle  qui  sait  lui  plaire; 

Car  ce  mot-là  renferme  tout. 

Tous  deux  bientôt  en  confidence 
Se  disent  leurs  secrets,  les  nœuds  qu'ils  vont  former, 
En  demandant  à  l'autre  c«;  qu'il  pense 

De  celle  qui  l'a  su  charmer. 
«  Ma  foi,  »  dit  le  cadet,  «  je  parle  avec  franchise  : 
t>  Mais  celle  qui  te  plaît  ne  m'aurait  pas  séduit; 
»  Elle  est  fort  bien  ,  j'en  conviens;  mais  sa  mise 


CONTES    EN    VERS.  ^07 

»  N'annonce  pas  de  goût,  et,  dans  ce  qu'elle  dit, 
»  Je  n'ai  pas ,  entre  nous ,  trouvé  beaucoup  d'esprit. 
»  Ah!  quelle  diFférence  auprès  de  mon  Elise! 
»  Ses  mots  sont  recherchés,  et  de  traits  délicats 
»  Sa  conversation  fourmille. 
»  De  sa  beauté  je  ne  te  parle  pas  .. 
»  En  grâces,  en  esprit,  en  talens  elle  brille... 
»  —  J'en  conviens  ,  »  dit  l'aîné,  «  c'est  une  belle  fille; 
»  Mais  de  tout  son  esprit ,  moi ,  je  fais  peu  de  cas. 
>)  Certes,  je  ne  veux  pas  dans  ma  femme  une  bête, 
»  Mais  on  peut ,  sans  briller,  s'assurer  ma  conquête. 
»  Celle  que  j'ai  choisie  a  bien  moins  de  jargon  ; 

»  Elle  est  sensible,  douce,  sage, 
»  Elle  saura  conduire  sa  maison, 
»  Et  n'est  point  étrangère  aux  détails  du  ménage; 
»  Yoilàcequimeplaît.Tiensnoussommesmarchands, 
»  Tâchons  sur  notre  état  de  régler  nos  penchans. 
»  Ma  femme  aura  le  soin  de  la  dépense; 
»»  Qu'elle  ait  de  l'ordre,  et  j'aurai  du  crédit; 

»  Mais  on  a  moins  de  confiance 

»  Dans  celle  qui  fait  de  l'esprit. 

»  —  Allons  ,  tu  veux  rire,  mon  frère, 

»  L'esprit  n'a  jamais  rien  gnté. 

»  Ma  future,  sans  vanité, 

»  Eait  d«'S  romans  comme  Voltaire, 

»)  C'est  un  [)rodige,  en  vérité! 

»  Celle  dont  la  plume  éloquente 

»  Peint  h's  sentiincns  les  |[)liis  doux, 

»  Doit  avoir  uik'  auie  brûlante 

»  Pour  ses  enfans  et  son  époux.  » 

Après  avoir,  suivant  l'usage. 


-108  CONTES    LN    VERS. 

Ri  de  ce  que  raïUie  disait;, 
Chacun  suivit  son  goût  et  se  mit  en  ménage 
Avec  celle  qui  lui  plaisait. 

Pendant  les  premiers  temps,  chacun  se  félicite, 
Notre  cadet,  surtout,  se  trouve  fort  heureux; 
Pour  sa  femme,  brûlant  toujours  des  mêmes  feux, 

A  chaque  instant  il  la  prône,  il  la  cite. 
Chez  son  frère  ,  souvent,  accourant  tout  joyeux  : 

t<  Tiens,  »  lui  dit-il,  «  lis  cela  tout  de  suite, 
»  C'est  de  ma  femme...  hier  elle  a  fait  un  sonnet!... 
»  Et  la  tienne?. . .  —  La  mienne,  elle  a  fait  un  bonnet 
»  Pour  l'enfant  que  bientôt ,  j'espère ,  elle  me  donne. 
»  —  Mais  avant  peu ,  je  crois  ,  je  serai  pèie  aussi. 
»  Ma  fennne  des  enfans  s'occupe.  Dieu  merci  ! 

»  Il  faut  voir  comme  elle  raisonne! 
H  Sur  l'éducation  elle  fait  un  traité, 
»  Elle  v  mêle  des  vers  et  de  la  métaphore. 
.)  —  La  mienne  veut  nourrir  ;  elle  ne  pense  encore 
»)  Qu'à  prendre  soin  de  sa  santé.  » 

INos  deux  maris  deviennent  pères. 

Cette  fièvre  qu'on  nomme  amour 

Après  riivjnen  ne  dure  guères, 
Ou  ses  accès  sont  moins  fréquens  de  jour  en  jour. 
Mais,  tandis  que  l'ainé  fait  toujours  bon  ménage, 
.  Chez  le  cadet  gronde  l'orage  : 

A  rimailler   à  composer. 

Son  épouse  passe  sa  vie. 
De  ce  train  le  mari  commence  a  se  lasser. 
Quand  il  veut  déjeuner,  on  fait  une  élégie. 


CONTES    EN    VERS.  i09 

Qu'il  faut  avant  tout  terminer  ; 

Le  soin  d'une  tendre  romance 
De  deux  heures  souvent  recule  le  dîner, 

Et,  pour  rêver  à  quelque  stance, 
Madame,  chaque  soir,  s'en  va  se  promener. 

Sa  maison  semble  lui  déplaire; 
Les  valets  v  font  tout;  l'enfant  est  délaissé, 
Sans  qu'on  sache  comment,  l'argent  est  dépensé. 

Quand  l'époux  veut  parler  affaire, 
On  lui  lit  le  j>remier  chapitre  d'un  roman. 
Ou  d'une  comédie  on  lui  conte  le  pian. 
Le  mari  désolé  s'en  va  trouver  son  frère 

En  s'écriant  :  «  Tu  me  l'avais  bien  dit! 
»  Pour  unsimplebourgeoisma  femme  a  trop  d'esprit. 
»  Mon  commerce  est  perdu  !..  parle,  qup  fnnt-il  faire? 

»  —  Il  faut  montrer  du  caractc-re. 
»  Ciiez  toi ,  dis-tu  ,  tout  est  à  l'abandon  ; 

»  Viens,  conduis-moi  dans  ta  maison, 

»  C'est  là  que  je  prétends  t'instruire.  » 

On  arrive  chez  le  cadet  : 
Madame  était  dehors;  droit  à  son  cabinet 

Le  frère  aîné  se  fait  conduire. 

Là,  prenant  complainte  et  sonnet, 
Idylle,  madrigaux,  roman,  stance,  élégie, 

De  tout  cela  ne  faisant  qu'un  paquet, 
ISotre homme  y  met  le  feu. . .  Le  pauvre  époux  s'écrie  : 
M  Que  va  dire  ma  femme  en  voyant  tout  cela? 

»  —  Qu'importe  ce  qu'elle  dira, 

»  Si  nous  guérissons  .sa  manie. 
»  Je  reviendrai  demain  ,  de  ce  {{raud  codi)  (i'(rlal 

»  Voir  quel  sera  h*,  n-suilat.  » 


MO  CONTES    EN    VERS. 

Le  lendemain  ,  en  effet ,  chez  son  frère 
Il  se  rend  de  bonne  heure  ;  il  le  voit  tout  joyeux 

Qui,  dans  ses  bras,  et  l'embrasse  et  le  serre 
En  disant  :  «  Grâce  à  toi,  je  vais  donc  être  heureux! 
»  —  Quoi  !  »  dit  l'autre,  «  déjà  ton  épouse  est  guérie 

»  De  son  goût  pour  la  poésie? 
»  — Ahlbienniieuxquecela,  mon  cher,  elle  est  partie. 
»  — Comment,  ta  lémme?  —  Elle  a  quitté  ces  lieux. 

»  D'abord  ses  transports  furieux 

»  Ont  failli  me  coûter  la  vie  ! 
»  Puis  elle  s'est  calmée,  et  cette  nuit  enfin, 
»  Me  laissant  pour  adieu  cet  écrit  de  sa  main , 

»  Elle  est  passée  en  Angleterre  , 

»  Oii,  tout  à  son  aise ,  elle  espère 

»  Suivre  désormais  son  penchant; 

»  Et ,  dans  cette  terre  classique 

»  Des  démons  et  du  romantique, 
»  Oublier  qu'elle  fut  l'épouse  d'un  marchand. 
»  Qu'elle  suive  son  goût,  qu'elle  fosse  à  sa  tête, 

»  Femme  qui  laisse  époux ,  enfant , 

»  Mérite  peu  qu'on  la  regrette. 

»  De  tes  avis  j'aurais  dû  faire  cas  : 
»  INon  ,  une  femme  auteur  ne  me  convenait  pas , 
»  Et  tout  différemment  j'élèverai  ma  fille. 
»  J'estime  les  beaux-arts ,  mais  enfin  je  conçois 
»  Que  ce  qu'il  faut  d'abord  à  nous  autres  bourgeois, 

»  C'est  une  mère  de  famille.  » 


LA  PETITE  BRODEUSE. 


Caroline,  jeune  brodeuse, 
Habitait  un  petit  réduit, 
Où  de  son  travail  le  produit 
Suffisait  pour  la  rendre  heureuse. 
Comme  elle  sortait  du  berceau 
Les  protecteurs  de  son  enfance 
Etaient  descendus  au  tombeau  , 
Ne  lui  laissant  que  Tinnoceuce 
Pour  bien,  pour  unique  trésor. 
Ajoutez-y  taille  bien  fine , 
Tendre  regard ,  voix  argentine 
Et  puis  d'aulres  appas  encor, 
Que  l'on  voyait  croître  avec  l'âge; 
Comme  moi  vous  direz,  je  gage, 
Ah  !  pauvre  enfant ,  ce  trésor-là 
A  bien  des  gens  va  faire  envie!... 
Dès  que  l'on  voit  fille  jolie  , 
C'est  à  qui  le  lui  volera. 
Mais,  dans  sa  petite  chambrette, 
Caroline,  riant,  chantant, 
Ne  s'occupe  y)oint  d'amourette, 
Et  s'endort  en  .se  promettant 


'Hâ  CONTES    EN    VERS. 

De  ne  jamais  prêter  l'oreille 
Aux  tendres  propos  d'un  amant. 
On  croit  tenir  un  tel  serment  ; 
Mais  tôt  ou  tard  le  cœur  s'éveille 
Aux  charmes  d'un  doux  sentiment. 
INe  jurez  pas  chose  impossible; 
Aimable  entant,  moins  de  fierté, 
Ce  n'est  pas  pour  être  insensible 
Que  l'on  vous  donna  la  beauté. 

Dans  la  maison  où  Caroline 
Habite  tout  près  du  grenier, 
Un  jeune  homme  de  bonne  mine 
Vient  de  se  loger  ou  premier. 
Il  a  vingt  ans,  de  la  tournure. 
De  l'esprit ,  mais  peu  de  talens  , 
Une  aimable  et  douce  figure , 
Un  grand  ton,  des  dehors  brillans. 
Sa  fortune  est  considérable , 
Mais  il  sait  la  mener  grand  train... 
C'est  le  jeu ,  les  chevaux ,  la  table  ! 
Ne  songeant  point  au  lendemain  ; 
Giistave  passe  ainsi  sa  vie  , 
Courant  de  plaisir  en  plaisir. 
Et  n'ayant  jamais  eu  l'envie 
Ni  le  projet  de  réfléchir. 
Il  n'est  point  pour  lui  de  cruelles  ; 
Les  amours  volent  sur  ses  pas... 
Tronve-t-il  des  femmes  fidèles? 
Je  ne  vous  Taffirmerai  pas. 
I/amour  sincère,  la  constance 


CONTES    EN    VERS.  M3 

Grâce  au  ciel ,  ne  s'achètent  point  ; 
Et  plus  d'un  richard  ,  sur  ce  point , 
Sera  toujours  dans  Tindigence. 
Il  pense  qu'avec  son  argent, 
A  ses  désirs  rien  ne  s'oppose  ! . . . 
Mais  l'amour  est  la  seule  chose 
Qui  se  double  en  se  partageant. 
Ce  dieu,  d'une  humeur  singulière, 
Que  l'or  ne  fixera  jamais, 
Souvent  préfère  une  chaumière 
Aux  lambris  dorés  d'un  palai.s. 

En  allant  porter  son  ouvrage , 
En  descendant  son  escalier, 
Caroline ,  sur  son  passage , 
Voit  notre  élégant  du  premier. 
Qui,  d'abord,  sans  y  prendre  garde, 
Passe  près  du  joli  minois; 
Puis  le  lendemain  la  regarde. 
Puis  veut  causer  une  autre  lois. 
Découvrant  chaque  jour  en  elle 
Des  grâces ,  des  charmes  de  plus  , 
Gustave  ,  dans  ses  sens  émus. 
Eprouve  une  flannne  nouvelle, 
Oui  doit  durer  au  moins...  huit  jours  1 
Mais  qu'il  croit  alors  éternelle! 
Le  plus  inconstant  dit  toujours  : 
«  Cette  lois  je  serai  fidèle.  » 
Kpris  d'un  nouveau  sentiment, 
On  jure  d'aimer  pour  la  vie! 
Kt ,  pour  une  autre,  l'on  oublie 


MA  CONTES    EN    VERS. 

Que  l'on  a  fait  pareil  serment. 

D'ailleurs  une  simple  brodeuse 

Doit  s'estimer  par  trop  heureuse 

De  fixer  un  si  beau  monsieur  ! 

C'est  ce  qu'il  se  dit,  j'imagine. 

Prends  garde ,  pauvre  Caroline , 

N'écoute  pas  ce  séducteur. 

Mais  d'où  vient  donc  qu'en  ta  chambrette 

Tu  n'as  plus  ta  joyeuse  humeur? 

Tu  parais  rêveuse ,  inquiète , 

Tu  ne  sais  plus  ce  que  tu  fais  ; 

Quittant  l'ouvrage  de  la  veille 

Tu  veux  chanter.. .  et  tu  te  tais; 

A  la  porte,  prêtant  l'oreille, 

Vingt  fois  tu  quittes  ton  métier  ; 

Puis,  jusqu'au  bas  de  l'escalier 

Tu  descends  pour  la  moindre  chose , 

En  disant  :  «  Si  jamais  il  ose 

»  Me  reparler  de  son  amour, 

»  Je  saurai  lui  dire  à  mon  tour 

»  Que  tous  ses  propos  seront  cause 

»  Que  je  quitterai  ce  séjour,  » 

Prends  bien  garde,  pauvre  petite  ! 

Ah  !  si  tu  pensais  tout  cela, 

Tu  ne  descendrais  pas  si  vite 

Quand  passe  ce  beau  monsieur-là. 

Des  vains  projets  de  la  fillette 
On  devine  ce  qui  s'ensuit  : 
Bientôt  jusque  dans  sa  chambrette 
Notre  jeune  homme  la  poursuit  ; 


9 


CONTES   EN    VERS.  Mo 

D'abord  on  lui  ferme  la  porte. . . 
PuiS;,  on  l'écoute  un  seul  moment... 
Et  puis  l'amour  enfin  l'emporte, 
Et  l'on  se  fie  à  son  serment. 
On  est  crédule  quand  on  aime. 
Gustave  est  tendre ,  plein  d'ardeur, 
Et  pour  cueillir  si  belle  fleur 
Il  monte  avec  joie  au  sixième. 
Au  grand  monde  donnant  le  jour, 
Il  suit  le  même  train  de  vie; 
Jouant,  faisant  mainte  folie. 
Et  gardant  la  nuit  pour  l'amour. 
Il  trouve  près  de  Caroline, 
Beauté ,  fraîcheur,  taille  bien  fine , 
Sentiment  vrai ,  cœur  sans  détour. 
Et  pourtant,  ingrats  que  nous  sommes  î 
Tout  cela  ne  nous  suffit  pas. . . 
L'inconstance  a  donc  des  appas 
Qui  doivent  subjuguer  les  liommes  ! 
Souvent  un  minois  chiffonné 
Nous  fait  quitter  femme  johe  ; 
Et,  pour  un  cœur  cent  fois  donné , 
Nous  trahissons  fidèle  amie. 
Df'jà  Gustave,  au  bout  d'un  mois, 
Dans  son  amour  n'est  plus  le  même  : 
Quand  il  faut  monter  au  sixième , 
Monsieur  y  regarde  à  deux  fois  ; 
Tandis  que  la  pauvre  petite , 
L'oreille  au  guet...  le  cou  tenîu  .. 
Ecoute...  et,  pour  le  voir  plu«  vite, 
Déjà  vingt  fois  a  descendu. 


^\S  CONTES    EN    VERS. 

Mais  ailleurs  trouvant  d'autres  charmes , 

Près  d'elle  il  cesse  de  venir  ! . . . 

Pauvre  enfant  !  que  de  jours  de  larmes 

Paîront  quelques  nuits  de  plaisir  ! 

Sans  se  permettre  un  seul  murmure, 

Caroline  souffre  en  secret. 

Son  cœur  fier  cache  sa  blessure  ; 

Et,  si  l'ingrat  la  rencontrait, 

Loin  de  lui  laisser  voir  ses  larmes , 

Elle  le  fuirait  :  en  amour, 

Femme  qui  se  plaint  chaque  jouf , 

Perd  chaque  jour  de  nouveaux  charmes. 

Mais  quand  vient  l'heure  où  chacun  dort, 

En  silence,  dans  la  nuit  sombre, 

Quittant  son  obscur  corridor, 

Caroline  descend,  dans  l'ombre, 

Jusqu'à  la  porte  de  celui 

Qui  jadis  accourait  près  d'elle 

Brûlant  d'amour. . .  Ce  temps  a  fui  ! 

Mais  elle  adore  l'infidèle. 

S' asseyant  devant  le  séjour 

Où  l'ingrat  sans  elle  repose, 

Elle  rêve  à  ses  nuits  d'amour; 

Dit  :  «  Il  est  là. . .  »  C'est  quelque  chose 

D'être  auprès  de  l'objet  aimé  ; 

Quoique  privé  de  sa  présence , 

Le  cœur,  en  secret  ranimé, 

Sent  moins  vivement  sa  souffrance  : 

Quand,  pour  adoucir  son  ennui , 

Elle  dit  :  «  Je  suis  près  de  lui ,  » 

C'e«t  encore  une  jouissance. 


CONTES    EN    VERS.  'H  7 

Dans  le  tourbillon  des  plaisirs , 
Volant  de  conquête  en  conquête , 
Satisfaisant  tous  ses  désirs, 
Suivant  toujours  sa  folle  tète, 
Gustave  tombe  en  peu  de  temps 
De  l'opulence  dans  la  gêne. 
Cherchant  à  se  tirer  de  peine , 
Il  joue,  et  des  coups  éclatans 
Achèvent  bientôt  sa  ruine. 
Il  n'a  plus  rien,  et  des  huissiers, 
Des  recors  et  des  créanciers 
La  troupe  chez  lui  s'achemine, 
(justave  court  cliez  ses  amis, 
(>hez  ses  éléfrantes  maîtresses; 
Mais  il  a  perdu  ses  richesses  : 
Chez  aucun  d'eux  il  n'est  admis. 
De  Caroline  à  l'instant  même 
Le  souvenir  s'offre  à  ses  yeux  ; 
C'est  lorsque  Ton  n'est  pas  heureux 
Qu'on  pense  à  celle  qui  nous  aime. 
Dans  le  bonheur  on  est  in^^rat , 
Celn  n'est  pas  à  jiotrc  jjloire! 
Mais  \f  malheur  (pii  nous  a})at 
>ous  rend  toute  notre  mémoire. 

Gustave  remonte  au  {jrenier. 

Il  entre ,  et  dit  à  la  petite  : 

«  J<'  n'ai  pins  fliisiie  au  pi»'mi<'r; 

»  J'ai  tout  perdu  ,  chacun  m'c'vite... 

n  Je  ne  sais  où  porter  mes  pas...  » 


-l-l^  CONTF.S    EN    VERS. 

Caroline  court  dans  ses  bras  ; 

Cédant  au  plaisir  qu'elle  éprouve  : 

«  Ah!  »  dit-elle,  «  je  te  retrouve, 

»  Je  ne  t'adorai  que  pour  toi  !... 

))  Cher  ami ,  reste  près  de  moi  î 

»  Pour  embellir  ton  existence 

»  Je  travaillerai  nuit  et  jour!... 

»  Va ,  l'on  ne  sent  pas  l'indigence 

»  Quand  le  cœur  est  brûlant  d'amour,  m 

Touché  de  sa  vive  tendresse 

Gustave  la  tient  sur  son  cœur; 

De  son  amant  une  caresse 

Lui  rend  la  vie  et  le  bonheur. 

Désormais  il  vivra  près  d'elle  : 

Plus  de  chagrin,  plus  de  soupirs! 

Redoublant  d'ardeur  et  de  zèle 

Pour  contenter  tous  ses  désirs , 

Souvent ,  la  nuit ,  quand  il  sommeille, 

Caroline  travaille  et  veille; 

Si,  parla  fatigue,  un  moment 

De  ses  mains  tombe  son  ouvrage... 

Elle  regarde  son  amant , 

Et  retrouve  tout  son  courage. 

Le  temps  passe;  mais,  en  secret, 
Gustave  soupire...  il  s'ennuie; 
Et  ce  nouveau  genre  de  vie 
Déjà  l'attriste  et  lui  déplaît. 
Il  regrette  son  opulence 
Et  tous  les  plaisirs  de  l'aisance  ; 
En  y  songeant,  son  cœur  s'émeut. 


CONTES    EN    VERS. 

N'est  pas  philosophe  qui  veut! 
L'amour  de  sa  jeune  maîtresse 
N'est  pas  assez  pour  son  bonheur. 
Il  veut  lui  cacher  sa  tristesse, 
Mais  elle  sait  lire  en  son  cœur. 
Elle  devine  sa  soufi-rance 
Et  se  dit  :  «  Il  n'est  point  heureux! 
»  Hélas!  mon  amour,  ma  constance, 
»  Ne  suffisent  pas  à  ses  vœux.  » 

Gustave  reçoit  un  message. 

On  lui  propose  un  mariage 

Qui  peut  l'enrichir  tout  à  coup. 

Une  jolie  et  riche  veuve 

Trouve  le  jeune  homme  à  son  goût. 

Pauvre  Gustave ,  quelle  épreuve! 

Il  cache  avec  soin  cet  écrit, 

Mais  soir  et  matin  il  le  lit. 

Pourra-t-il  (piitter  Caroline 

Qu'il  fut  trop  heureux  de  trouver!... 

La  pauvre  enfant ,  qui  se  chagrine 

De  le  voir  si  souvent  rêver. 

Désire  en  pénétrer  la  cause. 

(ne  nuit,  pendant  qu'il  repobc, 

Le  billet  vient  frapper  ses  veux; 

Lisant  le  projet  qu'il  renferme  : 

«  Ah!  »  dit-elle,  «  qu'il  soit  heureux! 

»  i\  ses  einiuis  mêlions  un  terme, 

»  Il  craint  de  déchirer  iuon  cœur... 

»  Il  faut  que  je  me  sacrifie... 

»  J'en  mourrai ,  mais  pour  son  bonheur 


U^ 


^20  CONTES  EN  VERS. 

»  Ne  dois-je  pas  donner  ma  vie?...  » 

Dissimulant  tout  son  chagrin, 

Elle  attend  le  jour  en  silence, 

Brûlant  déjà  d'impatience 

D'accomplir  son  secret  dessein. 

Le  jour  vient  :  elle  sort  soudain. 

Depuis  une  heure  elle  est  absente 

Quand  un  Savoyard  se  présente 

Porteur  d'une  lettre,  qu'il  dit 

Devoir  remettre  à  Caroline. 

De  ses  mains  arrachant  l'écrit 

Gustave,  en  tremblant,  l'examine, 

Puis ,  renvovant  le  messager, 

Il  cède  au  désir  qui  le  presse; 

Il  lit...  De  sa  jeune  maîtresse 

\jn  autre  amant  ose  exiger 

Un  rendez-vous...  «  Femme  infidelle! 

»  Quand  je  craignais  de  l'affliger, 

»  C'est  moi  qui  suis  trahi  par  elle!...  » 

Dit  Gustave.  Dans  ce  moment 

Caroline,  d'un  air  timide. 

Revient  auprès  de  son  amant. 

Des  noms  de  fausse,  de  perfide, 

Gustave  l'accable  aussitôt  ; 

Elle  ne  répond  pas  un  mot 

Et  cherche  à  lui  cacher  se^  larmes. 

«  Adieu,  »  dit-il;  «  à  vos  attraits 

»  Qu'un  autre  amant  rende  les  armes, 

»  Moi,  je  vous  quitte  pour  jamais!  » 


OOINTES    EN    VERS.  iâi 

Pour  vivre  au  sein  de  l'opulence 
Gustave  a  formé  d'autres  nœuds. 
Caroline  lésait  heureux, 
Elle  supporte  sa  souffrance. 
Mais  ses  larmes  et  sa  pâleur 
Trahissent  sa  peine  cruelle; 
In  souvenir  perce  son  cœur  : 
Hélas!...  il  la  croit  infidelle. 

Déjà  deux  ans  sont  écoulés. 

Gustave  vit  dans  la  mollesse  , 

Et  pourtant  ses  jours  sont  mêlés 

Et  de  re^jrets  et  de  tristesse. 

Pour  sa  femme  il  n'a  point  d'amour; 

Elle  est  jalouse,  querelleuse. 

Près  d'elle,  son  Cd'ur,  chaque  jour, 

Sonf^e  à  la  petite  brodeuse  , 

Lorsqu'il  devient  veuf  à  son  tour. 

Maître  d'une  grande  fortune 

Et  de  Caroline  occupé. 

Il  répète  :  «  Elle  m'a  trompé!  » 

Kt  C(;  souvenir  rinq.)ortunc. 

l'njour,  il  trouve  en  son  chemin 

Le  petit  porteur  de  la  lettre 

Qui  cause  encor  tout  son  chajjiin. 

Pour  de  l'or  il  lui  lait  piomrttie 

De  lui  dirp  la  vériJc; 

L'enfant,  avec  naïveté, 

JU'pond  que  l'écrit  cacheté 

Venait  d'une  femme  jolie 


122  CONTES    EN    VERS. 

Qui  pleurait  en  le  lui  donnant. 
«  Se  pourrait-il  !  O  mon  amie  ! 
»  Je  devine  tout  maintenant...  » 
Et  Gustave,  dans  son  ivresse. 
D'amour,  de  plaisir  ravonnant , 
Court ,  vole  aux  pieds  de  sa  maîtresse 
En  s'écriant  :  «  Pardonne-moi 
»  D'avoir  pu  te  croire  infidelle  !... 
»  —  J'ai  dû  vous  rendre  votre  foi, 
»  Soyez  heureux,  »  lui  répond-elle  j 
«  A  souffrir  mon  co'ur  se  résout... 
»  —  La  mort  vient  de  briser  ma  chaîne, 
»  Pour  jamais  Famour  me  ramène 
»  Près  de  celle  à  qui  je  dois  tout!  » 

On  doit  penser,  à  ce  langage, 
Si  Caroline  s'opposa  ; 
L'Amour  forma  leur  mariage , 
Et  près  d'eux  ce  dieu  se  fixa. 
Alors  la  petite  brodeuse 
Recouvra  fraîcheur  et  beauté; 
Chacun,  en  la  voyant  heureuse, 
Dit  :  «  Elle  l'a  bien  mérité  !  » 


J 


LE  LIVRE  DU  DESTIIS. 


De  Jupiter,  un  jour,  pour  célébrer  la  fête , 

Les  dieux  vont  donner  un  festin. 
Dans  l'Olympe  déjà  tout  s'agite  :  on  apprête 
Un  repas  somptueux  ;  en  l'honneur  de  Jupin 

Chaque  mets  doit  être  divin. 

On  lui  ménage  des  surprises  ; 
Chacun  prétend  offrir  un  plat  de  sa  façon  : 
Pour  les  soulflés  au  riz  Vulcain  est  en  renom, 
On  sait  que  Jupiter  aime  les  friandises; 
Pomone  doit  lournir  un  dessert  assorti , 

Thémis  prépare  des  charlottes  , 

Apollon  tourne  le  rôti . 
Bacchus  porte  le  vin  et  Junon  les  compotes  ; 

L'Amour  promet  d'avoir  des  fruits; 

Ksculape  fait  des  coulis; 
ÎNeptune  offre  un  saumon  ;  Tlébé,  mieux  que  personne, 

Prétend  faire  des  pets-de-nonne. 
Au  vieux  Plutus  il  faut  des  cornichons  ; 

Pria[)e  aura  des  écrevisses  ; 
F^rato  doit  offrir  un  potage  aux  croûtons; 

Vénus  se  charge  des  épices  ; 
Mercure ,  enfin  ,  plus  gourmand  que  gourmet , 


\2A  (.U.NTt,S    E.N     VLUS. 

Descend  chercher  des  homards  chez  Chevet. 
Bref,  tout  est  pour  le  mieux,  riennemanqucau  banquet. 
Jupiter,  très-sensible  à  cette  politesse, 
Se  montre  de  fort  belle  humeur  ; 
Au  repas  chacun  fait  honneur  : 
On  mange,  on  rit,  on  boit,  on  nargue  la  tristesse, 
PuiS;,  au  dessert^  on  chante  son  couplet. 

Apollon  accorde  sa  lyre. 
Il  improvise,  et  la  fête  l'inspire; 
Euterpe  l'accompagne  avec  son  flageolet. 
Tout  en  chantant  on  iiiit  mainte  folie  ; 

On  trinque  avec  le  jus  divin  ; 
Et  si  souvent  on  sable  l'ambroisie, 
Que  l'on  va  de  travers  à  la  fin  du  festin. 
Mars  et  Vénus  quittent  la  tabie, 
Ils  s'éclipsent  sans  être  vus. 
Auprès  de  Ganimède  l  ranus  fait  Taimable; 
Minerve  parie,  on  ne  l'écoute  plus. 
Bacchus  est  tombé  sous  sa  chaise  ; 
Priape  et  Junon  sont  d'accord  ; 
Thémis  n'y  voit  plus  clair,  Flore  est  mal  à  son  aisp; 
Momus  chante,  Yulcain  s'endort. 
A  ses  voisins  ,  Esculape  s'acxroche , 
Mercure  ,  quoiqu'il  soit  eu  train  , 
Par  habitude  ,  en  quittant  le  festin  , 
A  mis  son  couvert  dans  sa  poche. 
»  Oh  !  oh!  »  dit  Jupiter,  c(  je  ferai  bien ,  je  croi  , 
»  De  passer  un  moment  chez  moi  ; 
»  Tout  ce  bruit  me  porte  à  la  tète... 
»  (Test  égal,  on  m'a  fait  une  superbe  létc  ! 
))  Les  mets  étaientexquis...  D'où  viejitqiic  pour  marcher 


i 


CONTES    EN    VERS.  125 

»  Tout  me  tourne...  Allons  nous  coucher... 
»  Étourdi  que  je  suis,  je  laissais  sur  ma  chaise 
»  Mon  livre  des  destins  que  je  veux  consulter, 
»  Pour  savoir  si  demain  je  dois  bien  me  porter... 

»  Et  s'il  faut  que  le  vent  s'apaise. 

»  Je  vais  le  mettre  sous  mon  bras... 
•1  De  crainte  d'accident,  n'allons  qu'au  petit  pas...  » 
Jupiter  prend  le  livre  et  se  remet  en  route. 

Mais  il  tâtonne...  il  n'y  voit  goutte, 
Et  ne  s'aperçoit  pas,  au  milieu  du  chemin, 

De  la  perte  qu'il  vienf,  de  faire  : 

Car,  le  grand  livre  du  destin, 
En  glissant  de  son  bras,  est  tombé  sur  la  terre. 
Tandis  que,  chez  les  dieux,  on  ne  se  doute  guère 

Du  malheur  qui  vient  d'arriver, 

J3cvinez  qui  vient  de  trouver 
Ce  livre  redoutable  oîi  l'avenir,  d'avance, 
A  tracé  des  mortels  la  chétive  existence? 
De  féroces  bandits,  voleurs  de  grands  chcmin.s, 
Ramassent  dans  un  bois  le  livre  des  destins. 

Attirés  par  sa  couverture 

Qui  brille  du  plus  vif  éclat, 

Le  capitaine  dit  :  «  Vivat! 

»  C'est  quelque  plat  d'or,  je  le  jure, 
)»  Que  l'on  aura  laissé  tomber  d'une  voiture.  >» 

Mais  quel  est  leur  étonncment, 
Quan<l,  regardant  plus  attentivement. 

Ils  ne  découvrent  qu'un  grand  livre! 
Le  capitaine  l'ouvn;  et  s'écrie  aussitôt  : 
«  VentrebU'u  !  nous  avons  trouvé  là  le  gros  lot! 
»  Ce  livre  nousappr«'nd  ertminf^nf  nous  devons  vivre, 


4:20  CONTES   EN    VERS. 

»  Il  contient  notre  sort.  »  Les  voleurs,  sur  ce  mot, 

Courent  auprès  du  capitaine. 
Tout  homme  est  curieux  de  savoir  son  destin , 
Espérant  n'y  trouver  que  du  plaisir  sans  peine. 
«  Un  instant,  »  dit  le  chef,  «  il  faut,  dans  ce  bouquin, 
»  Qu'auparavant  je  cherche  mes  articles. 
»  Qui  de  vous  tous  me  prête  des  besicles? 
)•>  Je  lis  si  rarement  que  je  n'y  vois  plus  clair. 
»  —  Tenez,  »  dit  un  voleur,  «  je  n'aurai,  capitaine, 
»  Que  ce  lorgnon  volé  d'hier, 
»  Et  seulement  à  cause  de  la  chaîne. 
»  —  Donne-moi  ton  lorgnon. . .  Il  me  va  tout  de  go  : 
»  C'est  justement  mon  numéro.  » 

Le  brigand  feuillette,  examine, 

Il  trouve  enfin  l'arrêt  rendu  , 

Et  lit  :  Pour  prix  d'un  nom>eau  crime , 

Dans  huit  jours  tu  seras  pendu. 

<(  La  peste  soit  de  l'ordonnance  !  » 

Dit  le  bandit  avec  fureur. 

Après  le  chef,  chaque  voleur 
De  son  destin  veut  prendre  connaissance. 

Mais  bientôt  tous  en  ont  regret  : 
C'est  toujours  l'échafaud  que  le  sort  leur  promet. 
Chacun  s'écrie  :  «  Au  diable  la  trouvaille! 
»  Ce  livre-là  ne  contient  rien  qui  vaille  I 

))  Il  dégoûterait  du  métier  I 

»  Il  faut  le  vendre  à  l'usurier.  » 
Deux  brigands  aussitôt  se  rendent  à  la  ville 

Où ,  pour  avoir  un  accès  plus  facile , 
En  tous  temps  les  voleurs,  gens  de  précautions , 


CONTES    EN    VERS.  iS! 

Avec  les  usuriers  ont  des  relations. 

Chez  l'un  d'eux  nos  voleurs  vont  offrir  le  grand  livre. 

L'usurier  dit  :  «  Je  n'en  veux  pas  ; 

»  De  Tesprit  je  fais  peu  de  cas. 
»  —  Ce  livre  vous  apprendcomment  vous  devez  vivre. 
»  —  Parbleu  !  je  le  sais  bien ,  c'est  avec  de  l'argent. 
»  On  ne  vend  plus  ni  livre  ni  brochure. 
»  — Mais  payez-nous  au  moins  la  couverture... 
»  Yous  n'auriez  pas  cela  sans  un  besoin  urgent  ! . . . 
»  — La  couverture  soit.  — Voyez,  c'est  magnifique! 
»  —  Oui,  mais  je  lui  crois  peu  de  valeur  numérique  j 
»  Cela  me  fait  l'effet  d'un  moiré  métallique...  » 
Après  avoir  long-temps  marchandé  le  destin, 
L'usurier  des  voleurs  l'a  pour  fort  peu  de  chose. 

Dès  qu'ils  sont  éloignés,  soudain 
A  feuilleter  dedans  notre  homme  se  dispose, 
En  se  disant  :  «  J'ai  fait  un  marché  d'or! 

>)  Ce  livre  est  vraiment  un  trésor!... 
»  Connaître  l'avenir!...  c'est  l'art  de  la  cabale, 

»  C'est  la  pierre  philosophale! 

»  Heureux  secret!  Voyons  d'abord 

»  Ce  que  me  réserve  le  sort.  » 
Et  l'usurier,  cédant  à  l'humaine  faiblesse. 

Sur  le  livre  clierche  son  nom  : 
Il  parcourt  à  la  hâte...  il  dévore...  il  se  presse... 

Et  trouve  enfin  :  Tu  mourras  en  prison. 
i>  En  prison! non  morbleu!  quelediablet'emporte!») 
Dit  l'usurier,  que  la  frayeur  transporte. 
<(  Ce  livre-là  ne  contient  rien  de  bonj 
)>  Je  gage  qu'il  est  faux.  Tâchons  de  le  revendre, 
M  En  disant,  cependant,  qu'il  ne  trompe  jamais. 


^28  COîîTES    EN    VERS. 

»  Le  seigneur,  moiivoisin,  pourra,  je  crois,  le  prendre. 

»  Pourvu  que  je  fasse  mes  frais 
»  C'est  tout  ce  que  je  veux.  C'est  vingt  francs  qu'il  me  coûte 
»  Pour  mille ,  en  le  donnant ,  je  me  montre  obligeant , 

»  Et  je  rentre  dans  mon  argent.  » 

Sur  ce,  le  juif  se  met  en  route, 
Sous  sa  vieille  pelisse  il  cache  le  destin, 
Et,  certes,  personne,  en  chemin, 
jNe  devine  que  son  sort  passe. 
Près  du  seigneur  il  est  admis. 
((  Monseigneur ,  excusez ,  de  grâce ,  » 
Dit  l'usurier ,  «  si  je  me  suis  permis 
»  De  venir  devant  vous  ;  mais  j'ai  là  quelque  chose 
»  De  précieux  ;  vous  êtes  amateur , 
»  J'ai  cru  devoir  l'offrir  à  votre  honneur. 
»  C'est  du  rare  ,  du  beau ,  c'est  dans  le  grandiose  ! 
»  — Yovons,  drôle,  coquin,  montre-moi  cet  objet. 
»  C'est  quelque  vieille  friperie. 
»  —  Ah  !  Monseigneur ,  vous  allez  ,  je  parie, 
»  Être  enchanté  ;  vous  saurez  le  secret 
»  De  l'univers...  C'est  vraiment  impayable. 

»  C'est  la  chose  unique,  introuvable, 
»  Qu'un  hasard  seul  fait  tomber  dans  mes  mainsj 
»  Enfin,  le  livre  des  destins. 
»  —  Je  crois  que  ce  Ixipon  veut  rire... 
»  — INon,  Monseigneur,  voyez,  son  seul  aspect 
w  Nous  éblouit,  nous  frappe  de  respect. 
»  —  Et  ià-dedaus,  tu  dis  que  l'on  peut  lire 
»  Ce  qui  doit  arriver?  — Pas  un  fait  n'est  omis! 
»  — Et  combien  en  veux-tu.'' — Mille  francs;  je  vousjure. 


CONTES    EN    VERS.  -129 

»  Que  c'est  là  ce  que  j'ai  payé  la  couverture  ; 

»  Car,  pour  le  reste ,  c'est  sans  prix.  » 
Le  marché  se  conclut.  L'usurier  se  retire 
En  se  frottant  les  mains,  a  Parbleu,  »  dit  le  seigneur, 
«  Je  vais  me  marier,  c'est  le  cas  de  m'instruire; 
»  D'avance  de  mon  sort  savourons  la  douceur. 
»  Ma  future  m'adore;  elle  est  jolie,  aimable; 
»  Je  suis  riche,  bien  fait,  d'un  physique  agréable, 
»  Et  l'avenir  ne  doit  m'annoncer  que  bonheur.  » 

Dans  le  grand  livre  il  cherche  avec  courage; 
D'y  trouver  le  bonheur  étant  bien  convaincu. 
Il  lit  enfin  :  Après  six  mois  de  mariage 
Ta  femme  te  fera  cocu. 

«  Oracle  impertinent  !  »  dit-il  avec  colère, 
Jetant  d'un  coup  de  pied  le  livre  loin  de  lui , 
«  Qu'on  coure  après  ce  juif;  il  faut  dès  aujourd'hui 
»  Que  cent  coups  de  bâton  deviennent  son  salaire  ; 

»  Et  vous,  laquais ,  allez  soudain, 
»  Me  mettre  dans  le  feu  ce  livre  du  destin.  » 

Les  valets  emportent  le  livre  ; 

Mais  l'un  d'eux ,  en  le  regardant, 

Dit  :  «  INotre  maître  nous  le  livre; 
»  Au  lieu  de  le  brûler,  on  peut  en  le  vendant , 

»  En  tirer  encor  quelque  chose.  »> 
Un  charlatan  passait  :  le  laquais  lui  propose 
De  l'acheter;  lui  cédant  le  destin 

Pour  une  bouteille  de  vin. 
Le  charlatan,  charmé  de  son  emplette, 
Se  dit  :  «  Tous  ces  gens-là  ne  sont  qu*^  i\v^>  nijjauds; 

»  Quant  à  moi,  ma  fortune  est  faite.» 

> 


■130  CONTES    EN    VERS. 

Avec  une  trompette,  attirant  les  badauds, 

Notre  homme  annonce  à  la  foule  étonnée 
Qu'il  prédit  l'avenir;  que,  par  son  art  divin 

On  peut  du  soir  au  lendemain 

Etre  au  fait  de  sa  destinée. 

Chacun  court  chez  le  charlatan. 

Bientôt,  grâce  à  son  talisman. 

Il  fait  une  fortune  immense. 
Il  dit  la  vérité ,  ne  se  trompe  jamais  j 
Par  sa  voix  ,  du  destin  on  entend  les  arrêts. 
Mais  qu'en  arrive-t-il?  D'une  telle  science 
On  s'étonne,  on  s'effraie;  on  dit  :  C'est  un  sorcier. 
Un  homme  qui  sait  tout ,  est  un  suppôt  du  diable  ; 

Ce  n'est  donc  plus  qu'un  misérable 

Qu'il  faut  punir  de  son  métier. 

Le  charlatan ,  dans  de  vives  alarmes , 
Se  sauve,  en  emportant  le  destin  sous  son  bras. 

Maisle  destin  est  lourd,  et  sur  ses  pas 
Notre  homme  croit  toujours  entendre  les  gendarmes. 
Chez  un  vieillard ,  dans  le  fond  d'un  hameau  , 
Il  se  décide  à  laisser  le  gros  livre. 

«  Sans  lui,  dit-il,  j'ai  de  quoi  vivre; 
))  Tenez,  bonhomme,  acceptez  ce  cadeau. 

»  C'est  le  destin  que  je  vous  laisse, 

»  C'est  un  livre  fort  précieux  ! 

»  Mais  je  vais  loin  ;  le  temps  me  presse , 
»  Et  le  garder  me  semble  dangereux.  » 

Le  charlatan  est  loin.  Pendant  que  sur  la  terre 


CONTES    EN    VERS.  -13:1 

S'est  passé  cet  événement , 
Retournons  chez  les  dieux.  Tout  est  en  mouvement 

Auprès  du  maître  du  tonnerre  : 
Le  lendemain  du  jour  où  l'on  a  riboté , 

Jupiter  cherche  son  grand  livre. 
«  Morbleu!  »  dit-il^  «  je  l'avais  emporté; 
»  Il  ne  se  trouve  plus  :  comment  allons-nous  vivre  ? 
»  Du  diable  si  je  sais  quelle  marche  il  faut  suivre  ! 

»  Allons,  Mercure ,  eh  !  vite ,  holà  ! 
»  Il  me  faut  mon  destin  ;  il  m'est  fort  nécessaire. 

>)  Tu  vas  te  rendre  sur  la  terre. 

»  Il  aura  roulé  jusque-là. 
»  Pour  le  ravoir ,  montre  ton  savoir-faire, 
))  Promets  beaucoup  ;  ensuite  nous  verrons 
»  Si,  sur  le  livre,  il  est  écrit  que  nous  tiendrons.  » 

Mercure  part  ;  il  court  le  monde. 
Après  avoir  cherché  de  toute  part , 

Dans  une  retraite  profonde 
Il  trouve  le  destin  chez  un  pauvre  vieillard. 

«  Rendez-moi  ce  livre,  mon  père,  » 

DitMercureau  bon  solitaire 
Qui  reposait  sur  un  banc  étendu. 
«  Il  appartient  aux  dieux  ;  et,  s'il  vous  est  connu  , 
»  Vous  savez  que  du  sort  il  contient  le  langage.  » 

((  Ah!  »  dit  en  souriant  le  sage, 

«  Prenez-le ,  je  ne  l'ai  pas  lu  !.. . 
» —  Quoi,  vraiment...  pas  même  une  page? 

» — Si  dans  ce  livre    je  lisais  , 

»  M'auriez-vous  vu  dormir  en  paix  ? 

»  — Que  voulez- vous  que  je  vous  donne 

»  E^n  échange  de  sa  valeur? 


-132  CONTES    EN    VERS. 

» — Rien. —  Quoi!  rien?... — ?îon;,  c'est  de  bon  cœur, 
»  Seigneur,  que  je  vous  l'abandonne. 
»  Avoir  le  don  de  l'avenir, 
»  Pour  les  mortels  serait  un  art  funeste  I 
»  Jouissons  du  présent;  gardons  le  souvenir 
»  Qui  nous  rappelle  un  moment  de  plaisir; 

n  Fermons  les  yeux  sur  tout  le  reste  ! 
»  Voilà,  je  crois ,  le  moyen  d'être  heureux. 
»  —  Vous  êtes  sage.  —  Je  suis  vieux  , 
»  Et  ce  livre  à  mes  yeux  ne  vaut  pas  une  obole! 
»  Avec  votre  destin,  retournez  vers  les  cieux.  « 

Le  vieillard  se  rendort,  et  Mercure  s'envole. 


FIN    DES    CONTES    EN    VERS. 


CHANSONS. 


LA 

BULLE  DE  SAVON. 

CHANSON -PRÉFACE. 


Air  du  vaudeville  de  l'Intrigue  a  la  hussarde. 

De  gais  enfaiis  du  vaudeville , 
Dont  les  refrains  sont  répandus  , 
Ont  jadis  lancé  par  la  ville 
Ballons  d'essai,  ballons  perdus; 
Pour  moi ,  ce  serait  trop  de  chose 
D'avoir  à  gonfler  un  ballon , 
Et  ce  n'est  qu'en  tremblant  que  j'ose 
Souffler  ma  bulle  de  savon. 


Cette  bulle  dans  un  concile 
ÎNe  fut  pas  un  droit  discuté, 
La  morale  en  est  très-facile. 
Elle  a  pour  dogme  la  gaité; 
Jadis  quelques  bulles  sur  terre 
Ont  mis  de  la  division  , 
Mais  on  n'allume  [)oint  la  guerre 
Avec  des  bulles  de  savon. 


"156  LA    BULLE    DE    SAVON. 

Ma  chère  bulle,  je  feu  prie, 
Dirige-toi  du  bon  côté; 
Reprends  une  nouvelle  vie 
Dans  le  souffle  de  la  beauté; 
Mais  dans  les  airs  où  je  le  lance, 
Si  tu  ne  fuis  pas  l'aquilon , 
C'en  est  fait  de  ton  existence! 
Adieu ,  ma  bulle  de  savon  ! 


LA    BILLE    DE    SAVON.  -137 


JE  N'EN  SUIS  PLUS 

A   MOy  PREMIER   AMOUR. 


Ain  '  J'ciilciui»  au  loin  l'aiclicl  île  U  Folio. 

O  toi  qui  fus  ma  première  maitresse , 

Chère  Suzon ,  que  je  te  trouvais  bien! 

Il  m'en  souvient,  je  t'admirais  sans  cesse; 

A  mon  avis  il  ne  te  manquait  rien. 

J'ai  vu,  depuis,  beaucoup  de  belles  femmes! 

Mais  maintenant,  en  leur  Faisant  la  cour, 

Je  vois  fort  bien  ce  qui  manque  à  ces  dames... 

Je  n'en  suis  plus  à  mon  premier  amour.        (ùis.'^ 

Pourtant  Suzon  était  un  peu  petite; 

Moi  je  disais  :  «  Elle  en  sautera  mieux.  » 

Son  nez  était  tait  en  pied  de  marmite; 

Je  le  trouvais  malin  comme  ses  yeux. 

D'une  maîtresse,  à  présent,  je  détaille 

Les  traits,  les  pieds,  jusqu'au  moindre  contour; 

Jr  vois  bien  vite  un  défaut  dans  sa  laille... 

Je  n'en  suis  plus  à  mon  premier  amour. 

Suzon  Korlait  avec  une  cornette, 
Jupe  de  toile,  et  fichu  de  Madra.*^, 
Ceintme  en  cuir  compl«Mait  sa  toilette, 
Et  j'étais  fier  de  lui  donner  le  bras. 


-158  LA    BULLE     DE    SAVON. 

Si,  maintenant,  celle  que  je  promène 
N'est  pas  coiffée  et  mise  au  goût  du  jour, 
Je  suis  maussade,  et  je  lui  parle  à  peine... 
Je  n'en  suis  plus  à  mon  premier  amour. 

Chez  un  traiteur  modeste  et  solitaire 
J'allais  souvent  dîner  avez  Suzon  ; 
On  nous  servait  un  frugal  ordinaire  j 
J'étais  près  d'elle ,  et  tout  me  semblait  bon  ; 
Avec  ma  belle,  aujourd'hui,  quand  je  dîne, 
Je  veux  bons  vins  et  bons  mets  tour  à  tour; 
Un  plat  manqué  me  fait  faire  la  mine  : 
Je  n'en  suis  plus  à  mon  premier  amour. 

Près  de  Suzon  on  me  voyait  encore 
De  ma  tendresse  empressé  de  causer, 
Six  fois  par  jour  lui  dire  je  t'adore. 
Et  puis  toujours  prêt  à  recommencer; 
AJais,  à  présent,  pour  peindre  mon  délire. 
J'ai  beau  vouloir  faire  le  troubadour, 
Après  deux  mots,  je  n'ai  plus  rien  à  dire! 
Je  n'en  suis  plus  à  mon  premier  amour. 


LA   GLOIRE   ET  LA  FORTUNE, 

ou    LE    RÊVE    d'un    PAUVRE    DL\BLE. 


Air  de  la  Boulangère. 

Une  nuit,  le  diable  m'offrit 
La  gloire  et  la  fortune , 


LA    BULLE    DE    SAVON.  ^39 

Me  disant  :  «  Le  sort  te  sourit, 

»  Choisis,  mais  n'en  prends  qu'une.  » 

La  gloire  était  fort  de  mon  goût, 
Mais  j'aimais  la  fortune 

Beaucoup, 
Oui,  j'aimais  la  fortune. 


Je  dis  au  diable  :  «  Eclaire-moi  : 

»  La  gloire  est  moins  commune; 
»  Mais  je  voudrais ,  de  bonne  foi , 

»  Un  bonheur  sans  lacune.  » 
Le  diable  alors  me  dit  tout  haut  : 

u  Choisis  donc  la  fortune, 
»  iSigaud, 

»  Choisis  donc  la  fortune.  » 


('  Mais  je  voudrais  être  cité 

M  De  Rome  à  Pampelune, 
»  Par  tous  nos  poètes  chanté , 

»  Et  plutôt  deux  fois  qu'une.  » 
Le  diabl«;  alors  me  répondit  : 

«  On  trouve  à  la  fortune 
»  L'esprit, 

H  Choisis  donc  la  fortune.  » 

Je  dis  au  diable  :  '«  J'aime  encor 
»  Et  la  blonde  et  la  brune  ; 

»  La  gloire  vaut-elle  bien  l'or 
»  Pour  séduire  chacune?  n 


■iM)  LA    bLLLK    DE    SAVON. 

n  INon,  »  me  repondit  le  démon  , 
«  Prends  plutôt  la  fortune  ;, 

»  l^Yipoii, 
>*  Prends  plutôt  la  fortune.  » 

«  Mais,  »  repris-je,  «j'avais  pour  but 

»  La  scène  ou  la  tribune  : 
»  Puis,  j'arrivais  à  l'Institut 

»  Sans  clameur  importune. 
»  Eh  bien  !  »  répondit  Lucifer, 

«  Prends  toujours  la  fortune, 
»  Mon  cher, 

»  Prends  toujours  la  fortune.  » 

En  m'écriant  :  »  Je  te  choisis, 

»  Séduisante  fortune,  » 
Je  m'éveillai,,  mais  je  ne  vis 

Qu'un  fort  beau  clair  de  lune  ; 
Et  j'attendrai  lon{j;-temps,  je  croi, 

La  gloire  et  la  fortune 
(]hez  moi , 

La  gloire  et  la  fortune. 


ENCORE    UN    ^U)ME^'T 


Air  "a  faire. 

«  Quittons-nous,  mon  ami,  »  dit  la  tendre  I disette , 
M  C'est  dcniain  qu'à  l'autel  je  reçois  ton  serment  ; 


LA    BULLE    DE    SAVON.  ii\ 

»  — Oui ,  mais  avant  demain,  chère  Lise,  en  cachette, 
»  INepouvons-nouscausertousdeuxdanstachambrette 
))  Reste  encore  un  moment.  » 

Le  grand  jour  est  venu  :  Lise,  encor  pkis  jolie, 
A  l'autel  a  reçu  la  main  de  son  amant  ; 
Le  soir,  il  veut  du  bal  emmener  son  amie , 
Mais  Lise,  qui  rougit,  lui  dit  :  «  Je  t'en  supplie, 
»  Reste  encore  un  moment,  w 

Dans  les  bras  de  l'hymen  bientôt  l'amour  sommeille; 
Le  mari,  le  matin,  s'échappe  promptement. 
Vainement  Lise,  alors,  qui  soupire  et  s'éveille. 
Cherche  à  le  retenir,  et  lui  dit  à  l'oreille  : 
«  Reste  encore  un  moment.  » 


L\  FOSSETTE. 


Ain  :  Ma  Taiilo  (Jrlurctle. 


De  la  belle  qui  nous  plaît 
>ous  célébrons  chaque  trait  : 
Je  cliente  de  ma  brunette 

La  fossette  {bis,) 

Que  j'aime  en  Lisette. 

Que  de  dames  du  grand  ton 
Voudraient  avoir  au  menton 
Cette  marque  si  bien  faite 


443  LA    BULLE    DE    SAVON. 

En  fossette , 
Comme  ma  Lisette  î 

Ce  petit  trou  séduisant, 
Lui  donne  un  air  agaçant  ; 
On  lorgne  de  la  coquette 
La  fossette , 
Charme  de  Lisette. 

Chaque  femme  a  des  cheveux, 
Un  nez,  des  dents  et  des  yeux , 
Mais  je  vois  mainte  fillette 
Sans  fossette, 
Comme  ma  Lisette. 

On  peut  farder  ses  appas , 
Grossir  ses  jambes,  ses  bras. 
Mais  on  ne  peut  faire  emplette 
De  fossette , 
Comme  ma  Lisette. 

Auprès  d'un  minois  joli , 
Je  serai  toujours  poli. 
Mais  qui  me  met  en  goguette  ? 
La  fossette 
Que  j'aime  en  Lisette. 

Quel  est  ce  charmant  endroit 
Où  l'on  peut  mettre  le  doigt, 
Et  faire  un  nid  d'amourette? 
La  fossette 
Que  j'aime  en  Lisette. 


LA    BULLE    DE    SAVON.  M3 

Devant  un  si  joli  trou , 
Moi^  je  fléchis  le  genou, 
Prêt  à  baiser  en  cachette 
La  fossette 
Que  j'aime  en  Lisette. 

O  ma  belle,  si  tu  veux 
Que  je  sois  toujours  heureux , 
A  d'autres  jamais  ne  prête 
Ta  fossette, 
Ma  chère  Lisette. 


SUR  LA  MORT  DU  PEINTRE  DAVID. 


Air  :  T'en  souviens-m  ?  disait  un  capitaine. 

Du  INorfl  ici  quel  bruit  vient  se  répandre  ? 
Vaine  douleur  !  6  regrets  superflus  ! 
Dans  le  tombeau  David  vient  de  descendre  ; 
Un  grand  artiste,  un  grand  peintre  n'est  plus. 
Mais  j'aperçois  au  temple  de  mémoire 
La  renommée  inscrivant  ses  succès  , 
Tracer  ces  mots,  que  répète  la  gloire  : 
((  Ton  nom  ,  David ,  ne  périra  jamais,  n 

Toi ,  qui  créas  Briilus ,  les  Themwpyles  ^ 
Dont  pour  modèle  on  prendra  les  tableaux, 
Vois,  ici-bàs ,  tes  élèves  dociles. 
Vers  le  vrai  beau  diriger  leurs  pinceaux  ; 


4M  l'A    BULLE    DK    SAVON. 

Entends  leurs  voix ,  ils  couronnent  ta  tête. 
C'est  de  lauriers  et  non  pas  de  cyprès , 
Car  chacun  d'eux  en  te  pleurant  répète  : 
((  Ton  nom  ,  David  ,  ne  périra  jamais.  » 

Si  dans  l'exil  tu  finis  ta  carrière, 
Si  l'étranger  fut  plus  heureux  que  nous, 
A  ta  patrie,  en  fermant  ta  paupière. 
Ton  cœur  donnait  un  dernier  rendez-vous. 
Ah!  ne  crains  pas  qu'un  jour  elle  t'oublie! 
Par  le  talent  tu  fus  toujours  Français  ; 
L'artiste  meurt ,  mais  non  pas  son  génie. 
((  Ton  nom,  David,  ne  périra  jamais.  » 


LA  PROMENADE  A  ANE. 


Chansonnette  historique  qui  fera  voir  aux  demoiselles  les  dangers 
que  court  l'innocence  en  allant  au  galop. 

Air  :  Quand  Vénus  sortit  de  l'onde. 

C'est  au  bois  de  Romainville 

Qu'un  séducteur  trop  habile 

Par  une  grande  chaleur, 

Devint  maître  de  mon  cœur. 

11  se  peut  qu'on  me  condamne; 

J*en  conviens  de  bonne  foi . 

Je  voulus  avoir  un  âne , 

Auguste  vint  avec  moi.  (A«.) 


LA    BULLE    DE    SAVON.  AAo 


•*■  i 


Nous  vîmes  dans  la  campagne 
Un  baudet  et  sa  compagne. 
Sur  l'ânesse  mon  amant 
S'enfourcha  très-lestemenî  ; 
Puis  Auguste,  avec  malice, 
M'offrit  !e  gros  asinus ; 
Moi,  jV'tais  simple  et  novice, 
Et  je  me  campai  dessus. 

Auguste  avec  sa  bourrique. 
Qu'il  pousse,  fouette  et  pique, 
Caracole  autour  de  moi 
Sans  montrer  aucun  effroi; 
Tout  en  trottant ,  il  me  glisse 
Un  aveu  tendre  et  charmant!... 
Ah  Dieu  !  comme  l'exercice 
Nous  prépare  au  .sentiment! 

Je  lire  de  gauche  à  droite, 
Mais  dans  une  route  étroite 
Mon  âne  va  se  fourrer. 
Il  veut  toujours  se  cabrer. 
Je  vais  être  la  plus  forte; 
L'ânesse  vient  à  crier. 
Zeste,  mon  âne  m'emporte 
Auprès  de  mon  cavalier. 

Dans  cette  course  rapide, 
Ma  main  a  lâché'  la  bride; 
En  sautant  sur  mon  baudet. 
Le  vent  m'Aie  mon  bonnet  ; 


<o 


-i/iG  LA    BULLE    DE    SAVON. 

Vainement  je  illë  rajuste, 
Je  glisse  sur  le  gazon... 
Et  je  tombe  près  d'Auguste, 
La  tête  sous  mon  jupon. 

Sans  songer  à  ma  monture , 
Profitant  de  l'aventure, 
Mon  amant,  à  mes  côtés, 
Veut  prendre...  des  libertés; 
Il  m'embrasse ,  je  me  damne  I 
Il  me  conte  ses  amours. 
Je  crie  :  «  Arrêtez  donc  l'âne  !  » 
Mais  le  ti-aître  va  toujours. 

Quand  je  retrouvai  ma  tête. 
Devant  moi  je  vis  ma  bête  ; 
Mais  mon  âne  était  changé  : 
Il  paraissait  corrigé  ; 
Pour  revenir,  moins  timide , 
Je  voulus  monter  dessus , 
Et  je  lui  lâchai  la  bride... 
Mais  il  ne  se  cabra  plus. 


LA    BULLE    DE    SAVON.  A 


'ï^ 


LES   DEUX  VOYAGEURS. 


1  \. 

Ain  :  A  voyager  passant  sa  vie  ,  ou  Air  nouveau  de  M.  H.  Berton. 

Dans  la  carrière  de  la  vie 
Jetés  tous  deux  par  le  destin , 
L'amitié  de  l'amour  suivie 
Se  trouvent  un  jour  en  chemin. 
Vers  le  plaisir  chacun  voyage  , 
Se  donnant  parole  au  retour. 
Car  de  l'amitié  c'est  l'usage 
D'aller  moins  vite  que  l'amour. 

En  folâtrant  l'amour  avance, 
Il  aime  a  voyager  sans  frein  ; 
L'amitié  marche  avec  prudence, 
Et  sond»'  d'abord  le  terrain  ; 
Fuyant  toute  route  nouvelle, 
Lorsque  l'autre  prend  un  détour, 
L'amitié  jamais  ne  chancelle  , 
Souvent  le  pied  glisse  à  l'amour. 

Sur  sa  route  le  dieu  de  Gnide 
Fait  parfois  répandre  des  pleurs  : 
Suivant  le  penchant  qui  le  guide, 
Il  cueilh'  les  plus  belles  fleurs  ; 


■148  LA  iîullî:  de  savon. 

Au  (jré  de  son  huincur  bizarre, 
A  cliacLin  il  fait  quelque  tour  j 
Mais  l'amitié  vient ,  et  répare 
Les  fautes  que  commet  l'amour. 

Le  premier,  le  vola^je  arrive 
Au  but,  objet  de  son  désir  j 
L'amitié,  toujours  plus  tardive, 
Ne  vient  qu'après  chez  le  plaisir. 
Elle  y  cherche  le  téméraire, 
Mais  il  n'était  resté  qu'un  jour  : 
Le  plaisir  avait  eu  beau  faire, 
.   Il  n'avait  pu  fixer  l'amour. 


DEPUIS  QUE  JE   INE  TE  VOIS  PLUS. 


Aii!  (lu  \aii(lcvi11('  (le  P^vcIh'  ,  on  Air  nouveau  de  M.  Voizcl. 

(j'en  est  donc  fait,  ma  Virginie, 
Pour  jamais  tu  veux  me  quitter  j 
Ce  qui  m'étonne,  mon  amie, 
C'est  de  souvent  te  regretter. 
Quand  tu  me  prouvais  ta  tendresse , 
Tes  soins  étaient  fort  mal  reçus; 
Mais  je  voudrais  te  voir  sans  cesse... 
Depuis  que  je  lic  te  vois  plus. 

Cliaque  jour,  avec  indolence, 
Auprès  de  toi  je  me  trouvais; 


LA    BULLE    DE    SAVON.  i^O 

Mes  yeux  avec  indifférence 
Voyaient  tes  grâces,  tes  attraits; 
Aujourd'hui  je  leur  rends  les  armes  ; 
Mes  sens  d'y  penser  sont  émus  ! . . . 
Et  je  vois  en  toi  mille  cliarmes  !... 
Depuis  que  je  ne  te  vois  plus! 

Lorsque  nous  causions  ;,  il  me  semble 
Que  je  te  trouvais  peu  d'esprit; 
Et  nous  passions  une  heure  ensemble 
Parfois  sans  nous  être  rien  dit  : 
A  présent ,  combien  je  soupire 
Après  tous  ces  momens  perdus  ! . . . 
J'ai  mille  choses  à  te  dire 
Depuis  que  je  ne  te  vois  plus. 

Souvent  tu  me  disais  :  «  Je  t'aime  !  »> 
Et  cela  me  touchait  fort  peu; 
Mon  cœur,  je  te  Tavoûrai  même , 
Répondait  mal  à  cet  aveu. 
Maintenant  quel  feu  me  dévore  ! 
Tous  mes  désirs  sont  revenus!... 
Enfin  je  sens  que  je  t'adore 
Depuis  que  je  ne  te  vois  plus. 


^50  LA    BULLE    DE    SAVON. 


L'HOMME  SANS  SOUCIS. 


Aiii  du  vaudeville  de  rAciricc. 

Le  hasard ,  de  mon  existence 
A  presque  toujours  fait  les  frais  : 
Le  hasard  me  donna  naissance , 
Et  même  d'assez  jolis  traits; 
D'une  heureuse  philosophie 
Ayant  aussi  ma  bonne  part , 
Pour  passer  plus  gaîment  ma  vie, 
Moi ,  je  compte  sur  le  hasard. 

Le  hasard  donne  la  fortune  , 
Quelquefois  même  les  grandeurs; 
Chassant  toute  crainte  importune, 
Moi,  j'attends  en  paix  ses  faveurs; 
Souvent  le  talent,  le  mérite, 
Obtiennent  à  peine  un  regard. 
Si  les  sots  parviennent  plus  vite, 
C'est  que  Ton  doit  tout  au  hasard. 

Qu^un  homme  vante  près  des  dames 
Son  respect,  sa  fidélité; 
Qu'un  autre  maudisse  des  femmes  , 
Les  ruses ,  la  légèreté  ; 


LA    BULLE    DE    SAVON.  \^ 

Moi ,  je  ne  fais  près  d'une  belle, 
Ni  le  Caton ,  ni  le  cafard  ; 
Pour  en  trouver  une  fidèle, 
J'en  aime  plusieurs  au  hasard. 

Si  j'épouse  femme  gentille , 
Au  hasard  je  la  choisirai; 
Pour  être  père  de  famille, 
Au  hasard  je  m'en  remettrai. 
Je  sais  bien  que  de  ma  carrière 
Le  terme  viendra  tôt  ou  tard  * 
Mais  jusqu'à  la  fin  on  espère 
Quand  on  s'abandonne  au  hasard. 


LE  DROIT  DU  CHÀTELAI>;  DE  BÉTHIZY, 

CHANSONNETTE    HISTORIQUE. 


Ain  du  Ballet  des  Pierrou. 

Dans  le  bon  vieux  temps,  maint  usage 
Attestait  les  droits  du  seigneur; 
Droits  «le  cuissage  et  de  jambage 
Ktaient  alors  fort  en  vigueur. 
Parmi  ces  usages  très-drôles, 
Ecoutez  un  peu  celui-ci , 
Que  j'ai  trouvé  sur  les  contrôles 
Du  châtelain  de  I^'thizy. 


i5â  LA    JjULLE     de    savon. 

Lorsque  passait  dans  son  domaine 
De  ces  filles  au  doux  minois , 
Que  le  plaisir  souvent  entraîne, 
Qui  de  l'amour  suivent  les  lois , 
Il  fallait  qu'alors  la  petite 
Allât,  sans  marquer  nul  souci , 
Payer  quatre  deniers,  bien  vile, 
Au  châtelain  de  Béthizy. 

Quatre  deniers!  allez- vous  dire, 

Ce  n'est  là  qu'un  droit  fort  petit  ; 

Pour  moi ,  je  trouve  que  le  sire 

Devait  en  tirer  grand  profit; 

Songez  donc  que  toute  amourette 

Etant  par  là  taxée  aussi , 

On  enflait  souvent  la  cassette 

Du  châtelain  de  Béthizy.  '^^  ^"^^ 

De  crainte  que  par  quelques  belles 
L'usage  ne  fût  oublié, 
Le  seigneur  guettait  toutes  celles 
Qui  n'avaient  pas  encor  payé. 
Surveillant  chaque  tête-à-tête, 
Que  de  choses  il  vit  ainsi  !... 
Il  n'était  vraiment  pas  si  bête 
Le  châtelain  de  Béthizy  ! 

Chez  nous  si  l'on  voyait  les  filles 
Pour  un  faux  p^s  payer  encor, 
Nos  Françaises  sont  si  gentilles, 
Qu'elles  grossiraient  le  trésor; 


LA    BULLE    DE    SAVON.  153 

Pour  moi,  content  de  mon  salaire, 
Je  serais  riche,  Dieu  merci  ! 
Si,  dans  Paris,  je  pouvais  l'aire 
Le  châtelain  de  Béthizy. 


UIN  BAISER  DC  MO?i  FILS. 


Air  :  Musc  des  bois. 

Lorsque  j'étais  au  printemps  de  ma  vie, 
Et  que  l'amour  remplissait  seul  mon  cuur, 
Tendres  faveurs  d'une  femme  jolie 
Etaient  pour  moi  le  suprême  bonheur. 
Ah  !  j'ignorais  qu'il  fût  dans  la  nature 
In  sentiment  [)lus  parfait,  plus  exquis; 
Mais  j'ai  connu  l'ivresse  la  plus  pure 
En  recevant  un  baiser  de  mon  (ils. 

Encor  dans  l'âge  et  d'aimer  et  de  plaire, 
Déjà  mon  fds  m'occupe  conslamment. 
Et,  je  le  .sens,  le  bonheur  d'rlre  pr-n* 
Est  bien  plus  doux  que  celui  d'être  amant. 
On  est  parfois  trompé  par  sps  maîtresses, 
Soi-même  on  manque  h  c<*  «ju'on  a  proini.s  ; 
Mais  nul  soupçon  ne  sr  mêle  aux  caresses 
En  recevant  un  baiser  de  son  fils. 


-154  LA    BULLE    DE    SAVON. 

Vous  que  je  vois  au  sein  de  l'opulence, 
Pour  des  grandeurs  vous  agiter  encor, 
Malgré  votre  or,  malgré  votre  puissance. 
Je  ne  saurais  envier  votre  sort. 
Vrais  courtisans,  chaque  jour  on  vous  trouve 
De  vains  honneurs,  de  titres  plus  épris! 
Connaissez-vous  le  bonheur  qu'on  éprouve 
En  recevant  un  baiser  de  son  fils  ? 

En  vieillissant  nous  ne  sentons  plus  naître 
Ce  feu  brûlant  que  Ton  appelle  amour  ; 
Ce  feu  plus  doux,  qu'un  fils  nous  fait  connaître, 
Dans  notre  cœur  s'augmente  chaque  jour  ; 
Les  cheveux  blancs,  s'ils  éloignent  les  belles, 
Rendent  pour  nous  nos  enfans  plus  soumis  ; 
Et  songe-t-on  que  le  temps  a  des  ailes 
En  recevant  un  baiser  de  son  fils  ? 

Jouets  du  sort,  par  un  revers  funeste, 

En  un  instant  il  détruit  nos  projets; 

Qu'il  m'ôte  tout,  mais  que  mon  fils  me  reste. 

Sans  murmurer  j'attendrai  ses  décrets^ 

Tranquille  alors  à  mon  heure  dernière. 

Je  ine  dirai  près  de  lui  je  finis. 

Heureux  encor  de  fermer  ma  paupière 

En  recevant  un  baiser  de  mon  fils! 


LA    BULLE    DE    SAVON.  \0^ 


LE  CHEVALIER  ERRAÎNT. 


Air  connu  de  M.  !Mcngat. 

Dans  un  vieux  château  de  l'Andalousie , 
Au  temps  où  l'amour  se  montrait  constant, 
Où  beauté,  valeur  et  galanterie 
Guidaient  au  combat  un  fidèle  amant , 
Un  preux  chevalier  un  soir  se  présente , 
Visière  levée  et  la  lance  en  main  , 


Il  vient  demander  si'sa  douce  amante 
N'est  pas,  par  hasard,  chez  le  cliâtelain. 

<(  Noble  clievalier,  quelle  est  votre  amie?  » 

Demande  à  son  tour  (e  vieux  châtelain. 

((  —  Ah  !  des  fleurs  d'amour  c'est  la  plus  jolie  1 

»  Elle  a  teint  de  rose  et  peau  de  satin  ; 

»  Elle  a  de  beaux  veux,  dont  le  doux  langage 

w  Porte  en  notre  cœur  plaisirs  et  tourmens! 

))  Elle  a  tout  enfin ,  elle  est  belle  et  sage. 

))  — Pauvre  clievalier,  chorrlierez  long-temps. 

»  —  Depuis  qu'ai  perdu  cette  noble  dame, 
))  N'ai  plus  de  rfpos,  n'ai  plus  de  plaisirs! 
»  En  chaque  pnvs ,  guidé  par  ma  flamme, 
»  Vais  cherchant  Tobjet  de  tous  mes  désirs; 
»  Des  Gaules  j'ai  vu  les  plaines  fleuries , 
»  Du  Nord  parcouru  lo  climat  lointain  ! 


I9é 


LA    IjULLE    Dli    SAVON. 


))  J'ai  trouvé  partout  des  femmes  jolies; 
»  Mais  fidèle  amie,  hélas  !  clierche  en  vain. 

))  Guidez  de  mes  pas  la  marche  incertaine; 
))  Verrai-je  en  tous  lieux  mes  désirs  déçus? 
»  —  Mon  fils  ,  votre  sort ,  hélas  I  me  fait  peine, 
»  Ce  que  vous  cherchez  ne  se  trouve  plus  ; 
))  Poursuivez  pourtant  votre  lon^j  voyaj^e , 
))  Et,  si  rencontrez  un  pareil  trésor, 
»  Ne  le  perdez  plus;  adieu ,  bon  courage.  » 
L'amant  repartit,  mais  il  cherche  encor. 


ELLE  ETAIT   SI  JOLIE. 

AïK  :  tUc  avait  tout  pour  plaire.  yI 

J'ai  perdu  le  cœur  de  Zélie; 
D'un  autre  elle  écoute  les  vœux. 
En  rompant  le  nœud  qui  nous  lie , 
Je  brûle  encor  des  mêmes  feux... 
Elle  était  si  jolie. 

Par  ses  travers  même  embellie. 
Elle  unissait  pour  nous  charmer 
L'esprit,  la  grâce  à  la  folie; 
Pouvait-on  la  voir  sans  laimcr? 
Elle  était  si  jolie! 

Quand  son  abandon  m'humilie  , 
Quand  elle  trahit  nos  amours , 


LA    EULLE    DE    SAVOX.  15/ 

Je  sens  qu'il  faut  que  je  l'oublie  , 
Et  pourtant  j'y  pense  toujours...  > 

Elle  était  si  jolie!  -, 

Mais  trouve-t-on  femme  accomplie? 
Une  autre  me  trompera  mieux  ! 
Autant  valait  garder  Zélie  , 
L'adorer  et  fermer  les  yeux... 
Elle  était  si  jolie! 


PROFESSION  DE  FOI 


D    T'  \     A  :\I  A  T  F.  l'  K      D  V     V.  F.  A  U     S  FX  F  . 


Am  :  J'ons  un  cur»?  patriclc. 

J'entends  dire  à  mainte  dame 
Que  le  cœur  ne  fait  qu'un  clioix  , 
Que  d'une  sincère  flamme 
Il  ne  brûle  qu'une  fois  ; 
l*ar  de  beaux  yeux  enjnlé 
Mon  cœur  a  souvent  brûlé , 

Et  toujours , 

Oui,  toujours, 
Comme  à  mes  premiers  amours  , 
Tout  comme  à  mes  premiers  amours. 

r>rûle-t-on  d'amour  extrême  , 
On  croit  qu'il  n'a  point  d'éjfai  ; 


■158  LA    BULLE    DE    SAVON. 

Mais  toutes  les  fois  qu'on  aime, 
On  n'en  aime  pas  plus  mal. 
J'ai  cent  fois  changé  d'objet, 
Et,  chaque  fois  qu'on  me  plaît, 

C'est  toujours, 

Oui ,  toujours. 
Comme  à  mes  premiers  amours. 
Tout  comme  h  mes  premiers  amours. 

Doux  charme ,  bonheur  suprême 
Oue  me  fit  eoùter  Jennv  ! 

*-'  <J  w 

Mon  cœur  t'éprouva  de  mcme 
Dès  que  je  connus  Fanny  ; 
Quand  je  vis  Eléonor, 
Je  te  ressentis  encor, 

Et  toujours , 

Oui,  toujours, 
Comme  à  mes  premiers  amours. 
Tout  comme  à  mes  premiers  amours. 

On  dit  qu'on  aime  sans  cesse 
L'objet  de  ses  premiers  feux  ; 
Moi,  ma  dernière  maîtresse 
Me  semble  toujours  la  mieux. 
Tant  que  d'un  autre  tendron 
Je  n'ai  pas  vu  l'œil  fripon , 

C'est  toujours, 

Oui,  toujours. 
Comme  à  mes  premiers  amours , 
Tout  comme  à  mes  premiers  amours. 


LA    BULLE    DE    SAVON. 


iÉ 


De  Chloé ,  charmante  blonde , 
J'aimais  les  jolis  cheveux  ; 
De  Zoé  la  mine  ronde, 
De  Rose  l'air  langoureux; 
Je  leur  ai  fait  le  serment 
De  les  aimer  tendrement , 

Et  toujours, 

Oui,  toujours, 
Comme  à  mes  premiers  amours , 
Tout  comme  à  mes  premiers  amours. 

Pourquoi  n'aimer  qu'une  belle, 
Puisqu'elles  ont  mille  appas  ? 
^.u  bordeaux  est-on  fidèle 
Dans  un  excellent  repas  ? 
Beaune,  chambertin,  pomard. 
Tous  nous  semblent  du  nectar! 

C'est  toujours, 

Oui,  toujours, 
Comme  nos  premiers  amours. 
Tout  connne  nos  premiers  amours. 

C'est  un  banquet  que  la  vie  : 
Amis,  pour  qu'il  soit  joyeux, 
Il  faut  que  l'on  y  convie 
Jeunes  fennnes  et  vins  vieux. 
Mais  ayons  de  quoi  choisir, 
Cela  fait  que  le  plaisir 

Est  toujours , 

Oui ,  toujours , 
(Jomme  à  nos  premiers  amours, 
Tout  comme  à  nos  premiers  amours. 


^60  LA    BULLE    DE    SAVON. 

LES    DÉSIRS 

d'un  amant...  d'autrefois. 


=ï^^=fF 


Air  à  faire. 


Viens ,  6  mon  Isaure , 
Viens  près  du  torrent , 
Qu'à  peine  colore 
Un  soleil  mourant. 
Une  onde  légère 
Mouille  ces  roseaux  ; 
Tu  trembles ,  ma  chère  ^ 
Au  bruit  de  ces  eaux  ; 
Cet  endroit  est  sombre  : 
Mais  qu'importe  l'ombre  ? 
Pour  parler  d'amour 
Clierclie-t-on  le  jour  ? 

Viens,  6  mon  Isaure, 
Viens  sous  ce  rocher, 
Où  nul  être  encore 
IN'a  su  nous  chercher  ; 
De  ce  lieu  sauvage 
Tu  crains  la  fraîcheur, 
Reste  davantage 
Tout  contre  mon  cœur. 
Cet  endroit  est  sombre , 
Mais  qu'importe  l'ombre? 


LA   BULLE    DE   SAVON.  iGi 

Pour  parler  d^amour 
Cherche-t-on  le  jour? 

Viens ,  ô  mon  Isaure , 
Viens  dans  la  forêt, 
Tout  le  monde  ignore 
Ce  sentier  secret. 
Cette  herbe  fleurie 
Par  ton  pied  mignon 
Doit  être  flétrie  j 
Viens  sur  ce  gazon  -, 
Cet  endroit  est  sombre, 
Mais  qu'iipporte  l'ombre  ? 
Pour  parler  d'amour 
Clierche-t-on  le  jour? 

O  ma  chère  Isaure  ! 
Désirs  superflus  ; 
Ce  cœur  qui  t'adore 
Voudrait  encor  plus  : 
Une  grotte  obscure 
Où  tu  m'aimerais , 
Ln  lit  de  verdure 
Où  lu  dormirais  ; 
Et  toute  la  vie 
Pouvoir,  mon  amie. 
Te  parler  d'amour 
La  nuit  et  lojour. 


»» 


i62  LA    BULLE    DE    SAVON. 

CADET   BLTEUX 

AU    JARDIN    TURC. 


POT-POLRRL 

Air  de  Préville  et  de  Taconnet. 

Avec  Manon ,  par  un'  belle  soirée , 

Je  nous  disons  :  «  Il  faut  prendre  le  frais  ; 

»  J'trouv'  rons  partout  du  café  d'  chicorée, 

«  Dirigeons-nous  vers  le  Marais.  (bis.) 

»  Au  jardin  Turc,  lui  dis-je,  il  faut  nous  rendre  j 
»  Mets  r  casaquin,  via  l'habit  qu' j'ai  risque, 
»  Pour  entrer  là,  c'est  qu'faut  être  musqué  ! 
))  J'  nous  régal'rons  :  on  dit  qu'on  peut  y  prendre 
»  Ben  des  objets ,  dont  1'  prix  n'est  pas  marqué.  » 

Am  :  M.  de  Catinal. 

AlorSj  bras  d'sus  bras  d'sous,  je  prenons  notre  élan  ; 
Et  j' tombons  à  la  port'  du  jardin  du  Sultan  ; 
L'  vétéran  dit  qu'  INanona  z'un  fichu  d'  couleur, 
Là-d'sus,  moi ,  jem'avance ,  et  je  lui  chante  en  majeur  : 

Air  :  Une  robe  légère. 

«  Ce  fichu,  mon  p'tit  homme, 
»  Suffît  à  ma  INanon, 
»  Et  pour  avoir  la  pomme , 
»  Je  dis  qu'elle  a  1'  pompon  ! 


LA    BULLE    DE    SAVON.  ^65 

»  A  rOpéra-Comique 
»  Tu  n'as  donc  pas  été  ? 
»  Apprends  que  le  physique 
»  Embellit  la  beauté. 

Air  du  Galoubet. 

»  jNous  somm's  dedans ,  (bis.) 

>»  Ma  fine ,  ce  n'es  pas  sans  peine , 
»  Il  a  fallu  montrer  les  dents; 
))  Reprenons  un  peu  notre  haleine, 
»  Nanon  est  heureus'  comme  une  reine  ! . . . 

M  Noussomm's  dedans.  »  (bis.) 

A]R  :  Dans  les  ç^dcs  françaises. 

J' voyons  une  terrasse 
Où  sont  des  gens  bien  mis, 
J' voyons  du  mond'qui  passe, 
J'en  voyons  qu'est  assis  ; 
Puis  des  cadets  Eustaches 
D' nous  pousser  trouv'  moyen  , 
En  criant  :  gar'  les  taches  ! 
Quand  ils  ne  portent  rien. 

Ain     ( .'■  moiii  linir.  lu  Ile  Rnvmondc. 

Mais,  malSanon,  (ju  aime  l'ombre, 
Dans  un  p'tit  chemin  giiid'mes  pas  ; 
Là,  j'  voyons,  quoiqu  il  lass'  sombre. 

Plus  d'un  couple  s'  parler  bas  ; 
Nanon  s'arrête,  j'  la  gronde  , 
El  j' lui  dis  ,  d'vant  cha(ju'  bosquet  : 


-iQU  LA    BULLE    DE    SAVON. 

((  Ne  dérangeons  pas  le  monde  , 
))  Laissons  chacun  comme  il  est.  » 

Air  de  TEru  de  six  francs. 

rVanon ,  qui  fait  tout  c'  qu'ell'  voit  faire , 

S'écrie  aussitôt  :  «  J'  veux  m'asseoir.  » 

Je  lui  dis  :  «  Voilà  notre  affaire  , 

»  Entrons  dans  ce  bosquet  tout  noir.  «  (bis.) 

Là ,  sur  ce  qui  lui  fait  envie 

J'  dis  à  Nanon  de  réfléchir , 

EU'  m'  répond  :  «  Pour  nous  rafraîchir 

»  Prenons  du  punch  à  l'eau-de-vie.  » 

Am  :  Encore  un  quarlron,  Claudine. 

Le  punch  flamb' ,  moi ,  j'espère 
Prendre  un  baiser ,  morbleu  ! 
Et  j'  dis  à  la  p'tit'mère, 
Qui  me  résiste  un  peu  : 

«  On  n'y  voit  qu'  du  feu, 
»  ]\Ia  clière , 

»  On  n'y  voit  qu'du  feu.  »> 

Air  de  la  Petite  sœur. 

A  côté  d'  nous ,  dans  chaqu'  bosquet , 

Quoiqu'il  ne  brillât  nulle  flamme  ,  {bis.) 

J'aperçùmes,  grâce  au  quinquet. 

Lu  monsieur  brider  pour  un'  dame  ; 

Ils  causaient  de  leurs  sentimens, 

Ça  les  altérait,  je  suppose, 

Car  ces  messieurs  ,  à  tous  nioraens, 

Prétendiiient  prendre  quelque  chose.  (bis.) 


LA    BULLE    DE    SAVON.  '1 65 

AiH  :  Signora  Povera(  du  Concerta  la  Cour  ). 

Mais  à  droite,  on  disait ,  à  not'  oreille, 
K  Voulez- vous 

»  M'accorder  un  rendez-vous  ?  » 
>*  — Ah!  ah!  ah  !  ah!...  ah  !  ah  !  ah!  ah! 
»  —  Je  n'éprouvai  jamais  ardeur  pareille  ! 

»  Acceptez  une  glace  ,  une  groseille... 
))  —  Ah!  ah!  ah!  ah!...  ah!  ah!  ah!  ah!  » 

Même  air. 

\'là  qu'à  gauch',  l'homme  dit  à  la  bourgeoise, 
«  Voulez-vous 
»  Des  cach'niir's  et  des  bijoux  ? 
))  — Ah!  ah  !  ah  !  ah!...  ah!  ah!  ah!  ah! 
»  —  Vous  vous  taisez....  goûtez  ma  bavaroise... 
»  Le  joli  bras  !...  Prenez  une  framboise... 
))  -  Ah  !  ah  î  ah  !  ah!...  ah!  ah  !  ah  !  ah  !  » 

AïK  ;  Faut-il  qu^un  homme  soit,  etc. 

A  droite  la  femme  répond  : 

((  Voyez  comme  je  suis  éjnuc  !   , 

»  Avec  vous  si  je  suis  venue, 

»  C'est  que  mon  mari ,  dans  le  fond , 

»  Mérite  bien  un  tel  affront. 

»  Depuis  un  an  il  me  délaisse  ; 

»  Monsieur  prétend  que  son  docteur 

»  Lui  défend  la  moindre  tendresse... 

»  Faut-il  qu'un  homme  soit  menteur  !...  ■•  (/y/A.^ 


466  LA    BULLE    DE    SAVON. 

Air.  :  Daignez  m'<?par»;ner,  etc. 

A  gauche ,  le  monsieur  disait 

((  Ma  chère ,  je  ne  veux  rien  taire  ; 

»  Je  suis  marié  ^  c'est  un  fait , 

))  Mais  ma  femme  ne  saurait  plaire  ; 

«  Elle  a  quarante  ans  bien  sonnés , 

))  Ce  n'est  pas  que  je  la  df'teste  ! 

»  Mais  elle  a  les  traits  bourgeonnes  , 

»  Les  cheveux  roux,  les  yeux  tournés. 

))  Daignez  m'épargner  le  reste.  » 

Air  :  Vite  ,  \  itc  prenez  le  patron. 

«  Faut,  mon  fils  , 

»  Des  époux  assortis  ,  » 

M' dit  Nanon, 

En  croquant  l' macaron  , 

«  Je  t'aim' ,  mais  ! 

»  Si  tu  m'  trompais 

))  Jamais , 
»  Je  t'estropîrai , 
M  Je  te  tûrai , 
»  Vrai. 
»  — Nanon  ,  un  baiser  ! 

»  — Veux-tu  m'  laisser! 
»  Voilà  les  garçons 
»  Qui  rôdent  dans  les  environs. 
»  —  Un  baiser  ,  i'  te  dis, 
»  — C  n'est  pas  permis... 
»  Est-il  libertin , 
»  Est-il  taquin  ! 


LA    BULLE    DE    SAVON.  ^67 

»  Dieu  !  qiieu  lutin  î 
))  — JTauraibien... 
»  — Tu  n'auras  rien, 
»  Vaurien.  » 
V'ia-t-il  pas 
Qu'alors  en  jouant  des  bras, 

Patatras  ' 
J'  fais  rouler  à  quatr'  pas 
De  d'sus  la  table  sur  le  sol 
L'  bol  ! 

Air  des  Trembleurs. 

ISanon  crie,  elle  est  fâchée; 
Eir  dit  que  je  l'ai  tachée; 
Eir  s'était  endimanchée 
Pour  venir  au  boulevart. 
Effrayés  de  ce  tapafje  , 
Les  couples  du  voisinage 
Sortent  de  dessous  l'ombrage 
Pour  soupirer  autre  part. 

Air  :  Ciel  1  l'univers  ,  etc. 

Mais  qu'est-ce  donc  ?  on  se  chante  une  gamme  , 
Près  du  quinquet  les  amans  .s' trouvant  tous  ; 
A  gauclie  on  dit:  «  C'est  ma  femme  !  » 
A  droite  :  «  C'«'St  mon  époux  ! 
»  —  Perfide  !  —  Infâme  ! 
»  Crains  mon  courroux  ! 
))  —  Sont-ils  bét's  !  »  ditlNanon, 
»  \i\\  î  pourfjuoi  don(" 
»  Prendre  ce  ton  '.' 


i 


^168  LA    BULLE    DE    SAVON. 

j)  Fs  d'vraient  soudain 
»  S'donner  la  main.  » 

Air  du  Mirliton. 

«  Qu'  faisiez-vous  ici ,  madame  ?  » 
Dit  le  mari  furibond. 
«  Monsieur  ,  »  lui  répond  sa  femme , 
«  J'apprenais  de  ce  beau  blond 
»  L'air  du  mirliton, 
»  Mirliton  ,  mirlitaine  , 
))  L'air  du  mirliton,  ton  ,  ton.  » 

Au'.  :  Mes  cheis  enfans,  unissez-vous. 

«  Mais  VOUS,  monsieur,  dans  c'  bosquet-là, 

))  Avec  mamzeir  qu'alliez -vous  faire  ? 

»  Vous  me  refusez  1'  nécessaire  ! 

»  Et  vous  fait's  ici  des  ejotra  ! 

n  —  Madam'  !  mam'zelle  est  un'  vestale , 

»  Ou'  son  pèr'  me  laiss'  prom'ner  les  soirs , 

»  Pour  que  j'  l'instruis'  sur  les  devoirs 

»  De  la  piété  filiale.  »  (6«.) 

Am  :  Oh  !  oh  !  oh  !  oh  1  ah  !  ah  !  ah  !  ah  ! 

Durant  l' colloque  précédent , 

Le  blond  et  la  d'moiselle 
Jugèrent  qu'il  était  prudent 
De  n'  pas  s'  mêler  d'  la  qu'relle  ; 
Laissant  les  autres s'tirer  d' là  , 
Zeste,  chacun  d'eux  s'en  alla, 

Fih.. 
Oh!  oh!oh!  oh!ah!  ah!  ah  !  ah! 
Les  époux  rest^r'nt  comm'  baba. 


LA    BULLE    DE    SAVON.  ^169 

Air  du  fleuve  de  la  vie. 

Par  les  chers  objets  de  leur  flainine 
S'  voyant  alors  abandonnés, 
Monsieur  prend  le  bras  de  madame  , 
Ils  ont  tous  les  deux  un  pied  d'ncz. 
En  songeant  au  nœud  qui  les  lie, 
Ils  dis'nt  qu'  c'est  divertissant 
De  descendre ,  en  se  haïssant , 
Le  fleuve  de  la  vie  ! 

Air  :  J'oiis  un  cure  palriolc. 

Nanon  ,  qu'est  toute  fripée , 
M'  dit  :  «  Sortons  d'ici,  Cadet , 
»  J'aime  ben  mieux  la  Râpée, 
»  On  y  voit  ce  qu'on  y  fait. 
»  Quand  tu  me  promèneras  , 
»  Quand  tu  me  régaleras  , 

»  C'est  fichu  ! 

j)  C'est  là  qu'  tu 
»  C'est  làqu'  tu  m'ennnenerus , 
»  Oui,  c'est  là  que  tu  m'emmèneras.  » 

Air  de  la  Croisée. 

J' partons,  et  d'un  air  {jracicux 
A  mon  bras  Nanon  se  balance: 
Mais  de  c'  que  j'ons  vu  dans  ces  lieux 
Je  tirons  cette  conséquence  : 
Epoux  d'un  ijiinois  aj^arant, 
lledoutez-y  les  infortunes  ! 
Car  Hu  jardin  Turc,  leCioissant 
IN'eat  puf  là  pour  des  prunco. 


"'  / 


70  LA    BULLE    DE    SAVON.' 


MA  LISETTE ,  QLTTTO?JS-NOLS. 


Air  :  Depuis  lon(;-temps  j'aimais  Adèle,  ou  Air  de  M.  Etienne  Yoi»el. 

Quittons-nous  ,  mon  aimable  Lise , 
Ton  cœur  ne  peut  se  corrij^er  ; 
Crois-moi ,  tu  te  seras  méprise 
En  jurant  de  ne  plus  changer. 
Ta  bouche  ,  toujours  avec  grâce , 
Dit  que  j'ai  tort  d'être  jaloux  ; 
Mais  pour  moi  tes  yeux  sont  de  glace  ! . . . 
Tiens,  ma  Lisette,  quittons-nous. 

Lorsque  dans  un  tendre  délire 

Tu  jurais  de  m'aimer  toujours  , 

Ton  ame  ne  pouvait  suffire 

A  tes  transports,  h  nos  amours. 

Ta  main ,  alors ,  cherchait  la  mienne  : 

La  presser  te  semblait  bien  doux  ! 

Maintenant  je  cherche  la  tienne. . . 

Tiens,  ma  Lisette,  quittons-nous. 

Jadis  le  temps  passait  bien  vite  ! 
Cependant  nous  n'étions  que  deux  ; 
Mais  ta  chambre,  quoique  petite. 
Suffisait  pour  nous  rendre  heureux. 
Maintenant ,  tu  regardes  l'heure 
Au  lieu  de  pousser  les  verrous!... 
L'ennui  pénètre  en  ta  demeure... 
Tiens,  ma  Lisette,  quittons-nous. 


LA    BULLE    DE    SAVOlS .  'l  T'I 

Mais  ne  crains  pas  que  je  te  blâme , 
On  n'est  point  maître  de  son  cœur; 
Demain  ;  peut-être,  une  autre  femme 
Doit  m'inspirer  une  autre  ardeur; 
Alors  tes  charmes,  que  j'adore, 
Dans  mon  cœur  s'effaceraient  tous; 
Ah  !  pendant  que  je  t'aime  encore, 
Tiens,  ma  Lisette,  quittons-nous. 


PLUS  0^  EST  D'AMIS,  PLUS  ON  BOIT. 

Chanson  de  table  faite  pour  une  réunion  d'artistes. 


Air  :  Francs  buveurs  que  Bacchus  inspire. 

Loin  de  nous,  chassant  l'humeur  noire. 
Tous ,  gais  artistes ,  bons  vivans , 
Aimant  à  chanter,  rire  et  boire  , 
Nous  nous  rassemblons  tous  les  ans. 
A  nous  un  ami  s'incorpore  , 
Avec  plaisir  on  le  reçoit, 
Nous  en  trinquerons  mieux  encore, 
Plus  on  est  d'amis  (his)^  plus  on  boit. 

Le  plaisir  luit  la  solitude  , 
Pour  le  trouver  vive  un  banquet  ! 
Où  ,  se  délassant  do  l'éttide  , 
On  chante  gaîment  son  couplet. 


472  LA    BULLE    DE    SAVON. 

A  trinquer  un  ami  m'engage , 
J'en  vois  deux ,  mon  plaisir  s'accroit  -, 
J'en  vois  dix^  je  bois  davantage. 
Plus  on  est  d'amis  (bà),  plus  on  boit. 

La  vigne  date  du  déluge , 

Noé ,  patriarche  divin  , 

Quand  vint  la  fin  de  ce  grabuge , 

Dit  :  «  Assez  d'eau,  songeons  au  vin.  » 

C'est  grâce  à  lui  qu'on  se  rassemble  ; 

A  notre  amour  il  a  bien  droit  ; 

Yivons  en  paix ,  choquons  ensemble  : 

Plus  on  est  d'amis  {bis)  ,  plus  on  boit. 

Que  l'on  se  boxe  en  Angleterre , 
Qu'à  Rome  on  aille  faire  un  vœu , 
Qu'en  Chine  on  se  fasse  la  guerre, 
Nous  nous  en  soucions  fort  peu. 
Pour  s'égayer  le  Français  chante; 
Ici ,  messieurs ,  pour  tout  exploit , 
Au  lieu  d'un  coup,  buvons  en  trente , 
Plus  on  est  d'amis  (bis) ,  plus  on  boit. 

Que  chacun  boive  à  sa  maîtresse , 
Et  même  il  serait  bien ,  je  crois, 
De  boire  aussi,  par  politesse, 
A  nos  maîtresses  d'autrefois  ; 
Par  ce  moyen  ,  jusqu'à  l'aurore , 
Nous  resterons  en  cet  endroit, 
Et  demain  nous  dirons  encore  : 
Plus  on  e«t  d'amis  {bis)  y  plus  on  boit. 


LA  BULLE  DE  SAVON.  Mû 


ÉLOGE  DES  CHEVEUX  ROUX. 


Air  du  Ballet  des  Pierrots. 

Nous  voyons  chacun  dans  ce  monde 
Avoir  ses  penchans  favoris  ; 
L'un  adore  une  femme  blonde, 
Des  brunes  un  autre  est  épris; 
Les  cheveux  châtains  ont  fait  naître 
Tendres  soupirs ,  aveux  bien  doux  ; 
Moi,  je  NOUS  surprendrai  peut-être, 
Mais  je  suis  pour  les  cheveux  roux. 

En  se  promenant  dans  la  ville, 
A  chaque  pas  on  voit  marcher 
Des  blondes,  des  brunes  par  mille! 
Les  rousses,  il  faut  les  cliercher; 
Suivez-vous  gentille  bruuette, 
Vin{jt  jeunes  {jens  font  comme  vous; 
Mais  on  voit  plus  souvent  seulette 
La  jeune  fille  aux  cheveux  roux. 

Tarquin  adorait  de  Lucrèce 

L'air  noble,  le  nez  aquihn  ; 

Catulle  aimait  de  sa  ni.iitresîse 

Le  joh  bras  et  l'air  malin; 

Ce  fut  pour  les  beaux  yeux  d'un  pâtre 

Qu'Hélène  trompa  son  époux, 


^7i  LA    BULLE    DE    .SAVON. 

Mais  Antoine  de  Cléopâtre 
Aimait  surtout  les  cheveux  roux. 

S'il  faut  en  croire  un  vieil  adage, 
Les  yeux  sont  le  miroir  du  cœur  ; 
Les  cheveux  prouvent  davantage , 
Et  je  juge  sur  leur  couleur  : 
La  blonde  est  souvent  nonchalante , 
La  brune  se  met  en  courroux , 
Mais  Tame  doit  être  brûlante 
Lorsque  l'on  a  les  cheveux  roux. 


LA   PEUREUSE. 


Air  du  Beau  ciel  de  l'Occitanie. 


Nous  habitons  une  chaumière 
Sur  la  colline ,  au  bord  de  l'eau  ; 
Là,  seule,  auprès  de  ma  grand'mère, 
Dans  le  jour  tout  me  semble  beau  ; 
Mais  dès  que  la  nuit  devient  sombre, 
La  paix  s'éloigne  de  mon  cœur; 
Je  tremble  en  regardant  mon  ombre , 
Et  de  tout  je  sens  que  j'ai  peur. 

Du  chêne  dont  j'aime  l'ombrage, 
Quand  le  soleil  est  trop  ardent, 
Le  soir  je  fuis  l'aspect  sauvage  ; 
Il  me  semble  voir  un  géant. 


LA    BULLE    DE    SAVON.  "173 


Sous  le  bosquet,  où ,  dès  l'aurore , 
Chanter,  jouer,  fait  mon  bonheur. 
Quand  il  fait  nuit  je  tremble  encore , 
Et  de  tout  je  sens  que  j'ai  peur. 

Le  matin  je  cours  la  campagne 
Sans  redouter  aucun  danger  ; 
Mais  le  soir  la  frayeur  me  gagne 
Rien  que  pour  aller  au  verger. 
Le  vent  qui  souffle  le  feuillage. 
Au  loin,  les  pas  du  laboureur, 
Jusqu'à  la  cloche  du  village  , 
Ah!  de  tout  je  sens  que  j'ai  peur. 


Le  matin  sur  l'herbe  fleurie 

Avec  Colin  j'aime  à  causer. 

Souvent  même,  quand  il  m'en  prie, 

Je  lui  permets  de  m'embrasser  ; 

Mais  le  soir,  pour  faire  l'aimable  , 

Chez  nous,  s'il  frappe  avec  douceur, 

Je  dis  :  «  IN'ouvrons  pas,  c'est  le  diable!  » 

Car  de  tout  je  sens  que  j^ai  peur. 

Ah  !  comme  je  suis  malheureuse 
Quand  vient  l'heure  de  se  coucher! 
Jusqu'à  mon  lit,  toute  honteuse. 
Je  vais  en  m'écoutant  marcher, 
Si  j'entends  le  moindre  murmure , 
Tout  habillée ,  avec  terreur, 
Je  me  mets  sous  ma  couverture , 
Et  là ,  toute  la  nuit  j'ai  peur. 


i'iG  I^A.    EULLE    DE    SAVON 


LE   RETOUR. 


Air  d'Aristippe. 

Je  te  revois,  mais  tu  n'es  plus  la  même , 
Entre  nous  deux  que  s'est-il  donc  passé? 
Auprès  de  moi ,  ta  froideur  est  extrême , 
Tes  yeux  distraits ,  ton  air  embarrassé. 
Pour  oublier  les  ennuis  de  l'absence 
A  te  revoir  quand  j'ai  su  parvenir, 
Si  tu  n'as  plus  que  de  l'indifférence... 
Devais-tu  donc  me  laisser  revenir  ! 

Quoique  éloigné ,  je  te  voyais  sans  cesse , 
Ton  souvenir  me  suivait  en  tous  lieux  ; 
Je  te  rêvais  me  prouvant  ta  tendresse , 
Me  répétant  le  plus  doux  des  aveux; 
Je  te  voyais  versant  encor  des  larmes 
Quand  il  fallut  loin  de  toi  me  bannir  !... 
L'illusion  du  moins  avait  des  charmes... 
Devais-tu  donc  me  laisser  revenir  ! 

Tu  n'aimes  plus...  mais  quel  trouble  t'agite? 

Ton  front  rougit,  j'entends  trembler  ta  voix; 

Plus  oppressé  déjà  ton  sein  palpite, 

Et  ton  regard  devient  comme  autrefois. 

Mais,  6  douleur!...  un  autre  amour  t'enchaîne., 

Ce  doux  regard,  je  n'ai  pu  l'obtenir! 

Ah  !  pour  me  faire  éprouver  tant  de  peine , 

Devais-tu  donc  me  laisser  revenir! 


LA    BULLE    DE    SAVON.  47' 

LA  BIENFAISANCE, 

ou    HONNI    SOIT    QUI    MAL    Y    PENSE. 


Air  :  Pensez  à  moi. 

Faites  le  bien  ,  (bis.) 

C'est  ce  que  je  dis  à  la  ronde. 
Contre  le  destin  chacun  gronde  ; 
Moi,  d'être  heureux  j'ai  le  moyen , 
Imitez-moi,  jeunesse  aimable, 
Pour  trouver  le  temps  supportable  , 

Faites  le  bien.  (Ufois.) 

Faites  le  bien , 
Vous  qui ,  malgré  votre  richesse , 
Rongés  par  l'ennui ,  la  paresse , 
Goûtez  tout  sans  jouir  de  rien  ; 
Si  vous  voulez  qu'on  vous  honore, 
Vous  pouvez  être  heureux  encore , 

Faites  le  bien. 

Faites  le  bien. 
Femmes  dont  l'époux  est  volage , 
De  son  trésor  faites  usage , 
Puisqu'il  n'en  reste  pas  gardien  ; 
Si  l'inconstant  vous  abandonne, 
Pour  chasser  l'ennui  qu'il  vous  donne, 

Faites  le  bien. 

4t 


/f78  l^A    BULLE    DE    SAVON. 

«  Faisons  le  bien ,  » 
Me  disait  certaine  dévote, 
Encor  jolie,  et  point  bigote, 
Dont  j'obtenais  un  entretien  ; 
((  Dieu!  que  c'est  beau  la  bienfaisance! 
»  Ah!  monsieur,  quelle  jouissance! 

»  Faisons  le  bien.  » 

«  Faisons  le  bien ,  » 
Répète  cette  douairière , 
Elle  se  marie  à  Gros-Pierre , 
Et  dit  en  lui  passant  son  bien  : 
«  Soyez  riche ,  c'est  mon  envie  , 
»  Mais  avec  moi  toute  la  vie 

»  Faites  le  bien.  » 

Faites  le  bien , 
Vous  qui  fiites  jadis  {rri.sette  , 
Vous  portez  béret,  plume,  ai^jrette, 
Vous  avez  un  luxe  indien  ! 
Mais  du  temps  de  votre  indijjence, 
Si  vous  conservez  souvenance, 

Faites  le  bien. 

«  Faisons  le  bien ,  v 
Dira  toute  femme  sensible  ; 
Au  malheur  elle  est  accessible, 
Dût-elle  obli{}cr  un  vaurien. 
En  France ,  en  Prusse,  en  Itah'e, 
Que  répète  femme  jolie  ? 

«  Faisons  le  bien.  » 


LA    BULLE    DE    SAVON.  -17?) 

Faites  le  bien , 
Jeunes  gens,  voilà  ma  morale, 
Evitez  le  bruit,  le  scandale, 
Au  pauvre  servez  de  soutien  ; 
A  la  beauté  voulez-vous  plaire , 
Soyez  galans ,  sachez  vous  taire  , 

Faites  le  bien. 


LA  MARGUERITE. 


Air  de  M.  Voiïfl. 

Gentille  jouvencelle 

Compte  ù  peine  seize  ans; 

Déjà  son  cœur  recelle 

D'amour  chagrins  naissans. 

Sur  son  sein  qui  pal]>ito, 

Est  une  marguerite, 

CiCtte  fleur,  qui  dit  tout, 

Hépond  à  la  petite  : 

"  On  t'aime  un  peu ,  beaucoup.  » 

Celui  qui  sut  lui  plaire 
Déclare  son  amour, 
Et  la  naïve  Claire 
Promet  tendre  retour; 
Puis,  voulant  en  cachefto 
Voir  si  feu  d'amourette 
Durera  constannntMit, 


^80  LA  BULLE  DE  SAVON. 

Prend  la  fleur  qui  répète  : 
<(  Oui,  passionnément.  » 

Raison  nous  abandonne 
Quand  amour  est  vainqueur; 
La  ber{^ère  se  donne 
A  l'ami  de  son  cœur. 
Notre  pauvre  petite 
De  l'amour  qui  l'agite 
Sent  s'accroître  le  feu , 
Mais  ,  las  !  la  marguerite 
N'en  promet  plus  qu'un  peu. 

La  pauvrette  attristée 
Vient  aux  champs  chaque  jour, 
Mais  la  fleur,  consultée. 
N'annonce  plus  d'amour. 
Vous  qui  de  la  tendresse 
Goûtez  la  douce  ivresse, 
Conservez  votre  erreur, 
Après  une  faiblesse 
N'effeuillez  plus  la  fleur. 


L'AMOLR  ET  LE  DIABLE. 


Air  de  M.  Milhès,  ou  d'Une  heure  de  Mariage,  ou  Ne  vois-tu  pas,  jeun* 
imprudent. 

On  prétend  qu'avec  Lucifer 
L'amour  a  des  intelligences. 
Et  que  chez  le  diable ,  en  enfer, 
Tl  n  souvent  «les  conférences. 


LA    BULLE    DE    SA\OiN.  '1 81 

Ces  deux  médians,  quittant  leur  cour, 
Font  sur  terre  maint  tour  pendable! 
Et  l'on  dit  même  que  l'amour 
Quelquefois  ne  vaut  pas  le  diable. 

N'attendez  d'eux  nulle  pitié, 
Partout  il  leur  faut  des  victimes  j 
Sous  le  masque  de  l'amitié , 
Parfois  l'amour  commet  nies  crimes  ; 
Le  démon,  qui  craint  le  grand  jour. 
Dans  la  nuit  vient  faire  l'aimable. 
On  croit  ne  céder  qu'à  l'amour. 
Et  souvent  on  se  donne  au  diable. 

Jeunes  filles,  craignez  l'amour; 
Pauvres  maris  ,  craignez  le  diable; 
C'est  le  cœur  qu'attaque  l'amour, 
C'est  le  corps  qu'attaque  le  diable. 
Mais  enfin ,  s'il  faut  à  son  tour, 
Que  chacun  de  nous  soit  coupable, 
Soyons-le  tant  avec  l'amour. 
Qu'il  ne  reste  rien  pour  le  diable. 


LE  CHANSONNIER   FRANÇAIS. 


Air  :  Un  njcnadicr  c'est  une  rose. 


Eprouvant  la  douc(3  inllucnce 
Du  sol  heureux  qui  l'a  porté, 


-182  LA    LULLE     DE    SAVON. 

Aux  vieux  tensons,  à  la  romance, 

Préférer  franchise  et  gaîté  ;  (bis.) 

Aimant  le  vin  à  la  folie  , 

Son  pays  autant  que  sa  vie, 

Et  les  dames  avec  excès  ;  (bis.) 

Voilà  le  chansonnier  français. 

Repousser  le  ton  romantique  , 
Rire  du  nom  de  troubadour  , 
Préférer  la  ronde  au  cantique , 
Fane  au  moins  dix  couplets  par  jour  j 
Se  dire  en  accordant  sa  lyre , 
Pourvu  que  la  gaîté  m'inspire, 
Mes  refrains  auront  du  succès  j 
Voilà  le  chansonnier  français. 

Célébrer  la  blonde  et  la  brune; 
Mais  ,  tout  en  chantant  les  amours, 
Trouver  aussi  pour  l'infortune 
Et  des  larmes  et  des  secours  ; 
A  l'invalide  sans  ressource 
Offrir  et  sa  plume  et  sa  bourse  , 
Cacher  avec  soin  ses  bienfaits. 
Voilà  le  chansonnier  français. 

Le  matin  quitter  sa  demeure 
En  chercliantun  refrain  nouveau  ; 
Trouver  la  rime  ,  oublier  l'heure  , 
Marcher  souvent  dans  le  ruisseau  ; 
Parler  tout  seul  d'un  air  comique, 
Se  jeter  dans  une  boutique  , 


LA    liULLE    DE    SAVON.  iSô 

Rire  des  dégâts  »|u'il  a  faits, 
Voilà  le  chansonnier  français. 

Mais  en  voyant  une  grisette , 
Au  doux  minois,  à  l'air  coquet, 
Sur  les  beaux  yeux  de  la  fillette 
Faire  sur-le-champ  un  couplet; 
Le  lui  chanter  d'un  air  bien  tendre  ; 
Puis  ,  en  causant ,  tâcher  d'apprendre 
Si  chez  elle  on  aurait  accès... 
Voilà  le  cliansonni«^r  français. 

Loger  parfois  dans  la  mansarde. 
Savoir  v  narguer  le  chagrin; 
Au  lieu  de  la  harpe  d'un  barde, 
S'accompagner  sur  un  crincrin  ; 
Enfin  ,  à  la  table  d\m  prince 
Préférer  un  repas  fort  mince  , 
Dont  l'amitié  ferait  les  frais; 
\oilà  le  chansonnier  français. 


LA  VIEILLE  DE  SEIZE  A!NS. 


Air  de  M.  l'.iii»crori ,  <<//  Jeunes  b<:autc.>i  au  ixyard  tendre. 

llêves  heureux  de  ma  jeunesse, 
Vous  me  promettiez  le  bonheur, 
A  quinze  ans  j'en  connus  l'ivresse, 
Et  Charles  posséda  mon  cccur; 


iHÂ  LA    lîULLE    DE    SAVON. 

Mais  le  doux  charme  de  ma  vie , 
Hélas  !  n'a  duré  qu'un  printemps  ! 
Celui  que  j'adore  m'oublie... 
J'ai  cessé  de  plaire  à  seize  ans. 

Quand  il  me  nommait  son  amie , 
Il  vantait  mes  faibles  appas; 
Le  plaisir  me  rendait  jolie 
Lorsqu'il  me  pressait  dans  ses  bras; 
Mais  ,  hélas  !  je  n'ai  plus  de  charmes 
Depuis  qu'il  trahit  ses  sermens... 
Mes  yeux  sont  éteints  dans  les  larmes  ; 
J'ai  cessé  de  plaire  à  seize  ans. 

Trop  courts  instans  de  son  délire, 
Où  je  savais  me  faire  aimer  ! 
Près  de  Charle  en  vain  je  soupire, 
Je  n'ai  plus  rien  pour  le  charmer  ! 
Pourtant  mon  cœur  ne  peut  se  taire , 
Pour  l'ingrat  il  bat,  jei  le  sens... 
Ah  !  devrait-on  cesser  de  plaire 
Puisqu'on  aime  encore  à  seize  ans  ? 


LES  ESPRITS. 

Air  :  Quand  les  bœufs  vont  deux  a  deux  (  de  Richard). 

Dût-on  rire  de  moi, 
Je  l'avouerai  de  bonne  foi , 
Souvent  je  me  suis  surpris 
A  regretter  les  esprits. 


LA    BULLE    DE    SAVON.  ^ 85 

Dans  le  temps  de  la  ma^ie 
Des  sorciers  ,  de  la  féerie , 
Par  un  fortuné  destin , 
A  minuit,  dans  sa  chambrette. 
On  pouvait  sur  sa  couchette 
Trouver  un  petit  lutin. 
Dùt-onrire ,  etc. 

On  était  inexorable 
Pour  tous  les  suppôts  du  diable, 
Et  souvent  on  en  brûla  ; 
Mais  depuis  qu'on  les  délaisse  , 
Depuis  qu'en  paix  on  les  laisse, 
Les  sorciers  nous  laissent  là  !... 
Dut-on  rire,  etc. 

Chez  cette  vieille  comtesse 
Jadis  on  avait  sans  cesse 
Quelques  esprits  siJr  ses  pas  ; 
Maintenant  dans  sa  demeure 
On  se  promène  à  toute  heure, 
Et  l'on  n'en  rencontre  pas  ! 
Dût-on  rire,  etc. 

Mourir  et  puis  apparaître 
Dans  le  plancher  disparaître, 
C'était  jadis  notre  lot  ; 
Maintenant  quand  on  expire 
On  ne  revient  pas  nous  dire 
Seulement  un  petit  mot. 
Dût-oa  rire,  etc. 


■186  LA    HULLE    DE    SAVON. 

Le  soir,  aller  à  la  cave 
Annonçait  quelqu'un  de  brave, 
Cela  faisait  grand  honneur; 
Maintenant  il  faut  qu'on  aille 
Sous  le  feu  de  la  mitraille 
Prouver  que  l'on  a  du  cœur. 
Dut-on  rire,  etc. 

Sous  un  aspect  olivâtre 
Un  seul  fantôme  au  théâtre 
Faisait  courir  tout  Paris  ; 
Mais  on  a  changé  de  mode  , 
Nos  auteurs  trouvent  commode 
De  ne  plus  montrer  d'esprits. 
Dût-on  rire,  etc. 

Un  revenant  secourable 
Nous  disait  :  «  Là ,  sous  le  sable , 
»)  Cherche ,  un  trésor  t'appartient.  » 
Mais,  hélas  !  argent,  sagesse. 
Constance  ,  beauté  ,  jeunesse, 
Aujourd'hui  rien  ne  revient. 
Diit-onrire  ,  etc. 

Que  j'aille  à  la  comédie 
Ou  même  à  l'Académie , 
Entendre  un  discours  fort  beau , 
D'un  détracteur  de  Voltaire 
Que  je  lise  un  commentaire, 
Je  répète  de  nouveau  : 


LA    ijULLt    DE    SAVON.  "187 

Dùt-on  rire  de  moi , 
Je  l'avouerai  de  bonne  foi , 
Souvent  je  me  suis  surpris 
A  regretter  les  esprits. 


LE  JEL.^E  SOLDAT. 


Air  de  M.  Hippolvlc  Lhuillicr,o»  Amcdéc  de  Bcauplan  ,  ou  Air  du  Pauvre 

Berger. 

Ne  v'ià  que  six  mois 

Que  j'  port'  l'unilorine 

Et  les  plus  sournoi.s 

Disent  que  j'  me  forme; 

Je  n'  suis  plus  c'  Jean-Jean 

Qu'on  trouvait  si  bête  ! 

A  tabl'  j'ai  d' la  tête  , 

J'  bats  un  rataplan; 

J'  fais  du  bruit  comm'  quatre  , 

Pour  un  rien  j'  vfux  m'  battre  ! 

Aussi  r  mond'  dit-il 

Que  j'  suii>  ben  gentil. 

Pour  marcher  au  pas 
J'  n'ons  pus  la  têt'  dure  , 
J'arrondis  les  bras, 
Je  prends  d'  la  tournure  ; 
Je  tends  le  jarret , 


-188  LA    LLLLE    DE    SATON. 

Et  quand  je  m'  dandine , 
Dieu  !  que  j'ai  bonn'  mine 
Avec  mon  briquet  ! 
Je  valse  avec  grâces , 
Je  sais  fair'  des  passes  ! 
Aussi  r  mond'  dit-il 
Que  j'  suisben  gentil. 

Quand  le  régiment 
Pass'  dans  un  village  , 
J'  mets  en  un  moment 
Un'  ferme  au  pillage  j 
Poulets  et  dindons, 
Je  vous  prends  en  traître , 
On  n'  voit  plus  r'paraître 
Ceux  que  j'abordons; 
Si  l'on  me  querelle  , 
Je  cass'  la  vaisselle  , 
Aussi  l'mond'  dit-il 
Que  j'  suis  ben  gentil. 

Auprès  d'un  tendron 

D'  figure  agaçante  , 

Comme  un  franc  luron 

D'abord  je  ni  présente , 

J'  dis  I  «  Y'nez  donc  causer  , 

»  Jolie  insulaire , 

»  Je  suis  militaire, 

))  r  m'  faut  un  baiser. 

»  —  J'  n'en  donn'  qu'à  ceux  qu'  j'aime  !  » 

Moi ,  j'avanc'  tout  d'  même  ; 


LA    BULLE    DE    SAVON.  'ISO 

Aussi  r  mond'  dit-il 
Que  j'  suis  ben  gentil. 

En  passant  cheux  nous 
Ai-je  fait  le  diable  ! 
Ils  ont  ben  vu  tous 
Comm'  j'étais  t'aimable  ! 
Avec  un  dragon 
J'ai  bu  r  vin  d'  ma  tante, 
A  sa  p'tit'  servante 
J'ai  fait  un  poupon; 
J'ai  mangé,  j'espère. 
Tout  l'argent  d'  mon  père  ! 
Aussi  r  monde  dit-il 
Que  j'  suis  ben  gentil. 


LAISSEZ-VOUS  FAIRE. 


Air  do  la  Poiipôo. 

Ici-bas,  chacun  suit  ses  goûts, 
Laissez-vous  faire  est  ma  devise; 
A  plus  d'une  belle,  entre  nous. 
Je  crois  aussi  l'avoir  apprise  ; 
Dans  le  monde ,  pour  parvenir , 
Résister  n'est  pas  l'nrflinaire  , 
Le  moyen  de  tout  obtenir 
Est  souvent  de  se  laisser  fairo. 


-190  T. A    rULLE    DE    SAVON. 

Jeune  fille  à  peine  a  seize  ans , 
Que  son  cœur  s'enieut  et  s'agite  ; 
Lui  lient-on  des  propos  galans , 
Elle  rougit,  son  sein  palpitej 
Rien  n'est  si  joli  que  l'amour  : 
Or  ,  comme  on  ne  peut  s'y  soustraire, 
Quand  un  amant  vous  fait  la  cour, 
Jeunes  filles,  laissez-vous  faire. 

Claude  ,  en  sortant  de  son  endroit , 
Savait ,  dit-on  ,  à  peine  écrire  ; 
Mais  Claude  se  tenait  bien  droit, 
Il  avait  un  joli  sourire  j 
Une  intrigante  le  poussa  , 
A  plus  d'une  belle  il  sut  plaire, 
Et  s'il  parvint,  s'il  amassa, 
C'est  que  Claude  s'est  laissé  faire. 

Les  Dieux  mêmes  nous  ont  appris 
A  tenir  ce  tendre  langage  : 
Que  dit  le  Dieu  Mars  à  Cypris? 
Que  dit  Ixion  au  nuage  ? 
Que  repète  encore  Apollon , 
Quand  Daplmé  fuit  le  téméraire  ? 
A  Psyché  que  dit  Cupidon? 
C'était  toujours:  «  Laissez-vous  faire  ». 

Être  content  de  son  destin  , 
C'est  la  bonne  philosophie  ; 
S'il  l^ut  partir,  un  beau  matin 
Sans  murmurer  quittons  la  viej 


LA    BULLE    DE    SAVON.  i9i 

Vingt  docteurs ,  dans  ce  moment-là , 
Ne  pourraient  nous  tirer  d'affaire. 
Quand  la  mort  dira  :  «  Me  voilà ,  >. 
Il  faudra  bien  la  laisser  faire. 


LE  BERGER  ET  LA  BERGÈRE. 

PASTORALE  ,   SI  l'oN  VEUT. 

Air  :  Vos  mari»  en  Palestine. 

«  OÙ  donc  allez  -vous  ,  bergère  ? 

»  —  Je  me  rends  aux  champs,  berger. 

»  —  Vous  me  permettrez  ,  j'espère  , 

))  Avec  vous  de  voyager. 

»  —  A  votre  désir  j'adhère, 

»  Si  ça  peut  vous  obliger.  » 

Et  là-dessus ,  la  bergère 

A  pris  le  bras  du  berger. 

«  Je  crois  qu'il  tonne  ,  bergère. 
»  —  Je  le  crois  aussi ,  berger  j 
»  Je  suis  mise  à  la  légère. 
»  —  Je  n'ai  pas  de  quoi  changer  ; 
»  Mais  cette  grotte,  ma  chère  , 
»  Peut  fort  bi<'n  nous  ])rr)t(''{jrr. 
»  —  Entrons-y,  »  dit  la  bcrgèrr. 
«  —  Entrons-y  ,  »  dit  le  berger. 


-192  LA    BULLE    DE    SATON. 

«  —  Je  VOUS  adore ,  bergère. 

»  —  Je  vous  aime  aussi ,  berger. 

»  —  Entendez- vous  le  tonnerre  , 

»  Ce  temps  va  se  prolonger  ! 

M  Mais  ici  sur  la  fougère, 

»  Nous  braverons  le  danger. 

>i  —  xili  !  quel  coup!  »  dit  la  bergère. 

»  —  Ah  !  quel  coup  !  »  dit  le  berger. 

«  L'orage  est  passé ,  bergère. 

»  — Quoi!  déjà  passé,  berger? 

»  — Retournons  chez  votre  mère. 

»  —  Non,  c'est  trop  tôt  y  songer. 

»  Tenez,  voyez,  l'atmosphère 

»  Nous  dit  de  ne  pas  bouger. 

»  —  Il  fait  superbe ,  bergère. 

»  —  Je  vous  dis  qu'il  pleut ,  berger.  >» 

Alors  on  vit  la  bergère 
Courant  après  son  berger , 
Du  ton  d'une  harengère 
Vouloir  le  dévisager. 
Vous  qui  croyez  aux  Glycères , 
Aux  Corydons  mensongers , 
Dieu  vous  garde  des  bergères , 
Dieu  vous  garde  des  bergers. 


LA    BLLLK    DE    SAVON.  "19."^ 


TL  IN'EST   PLUS  LA. 


Air  :  .le  pars  rlomain  (  il<^  Marie  '. 

Il  n'est  plus  là  ,  celui  que  deux  années 
Auprès  de  moi  le  plaisir  rappela  ; 
Adieu  sermeus  d'unir  nos  destinées  ! 
A<lieu  beaux  jours  1  époques  fortunéejs  1 
Il  n'est  plus  là. 

Il  n'est  plus  là  ;  pourtant  dans  la  souFfrance 
Plus  d'une  fois  ma  voix  le  consola  ! 
Lui  qui  n'était  heureuiî  qu'en  ma  pré.senre  , 
Oui  maudi-ssait  les  heures  d^  l'nbsenre.  .. 
Il  n'est  plus  là. 

Il  n'est  plus  là...  l'amour  ailleurs  l'engage. 
L'amour  !...  son  rctuir  ne  (!onnaît  pas  cela  ! 
Vous  qui  charmez  maintenant  le  volage  , 
\  Il  jour  aussi  vous  direz,  je  le  gage  , 
Il  n'est  plus  là. 


ii 


i<U  LA    BULLE    D?:    SAVON. 


LE  SAGE  COMME  IL  Y  E>  A  TAINT. 


Air  de  Lantara. 

Comme  je  fais  vœu  d'être  saj^e 

Sitôt  que  je  n'ai  pas  d'argeni  '. 

Des  plaisirs  repoussant  l'image , 

Le  monde  me  semble  affligeant  ; 
Mais  aussitôt  que  je  sens  dans  mes  poches 

Sonner  les  fonds  que  j'ai  reçus  , 
Je  ne  puis  plus  songer  qu'à  des  bamboches , 

Et  je  fais  rouler  mes  ëcus. 

Lorsque  je  suis  à  court  d'espèces, 

Je  me  dis  :  Fuyons  la  beauté! 

C'est  par  de  trompeuses  caresses 

Que  jadis  l'homme  fut  tenté. 
Mais  aussitôt  que  la  fortune  arrive , 

D'un  bel  œil  admirant  Fémail  !... 
Chaque  minois  me  séduit,  me  captive  ! 

Je  voudrais  avoir  un  sérail  ! 

Le  jeu  n'est  qu'une  frénésie  ! 
Me  dis-je,  quand  j'ai  tout  perdu. 
L'homme  atteint  de  cette  folie 
Mériterait  d'être  pendu  ! 
Mais  quand  je  vois  de  l'or  dans  ma  cassette, 
Je  mets  des  cartes  de  côté  , 


LA    BULLE    DE    SAVON.  ^95 

Et  si  je  quitte  un  moment  la  roulette, 
C'est  pour  jouer  à  l'ëcarté. 

Quel  ennui  de  manger  ,  de  boire , 

Me  dis-je  quand  je  n'ai  plus  rien  ; 

Ln  ivrogne  perd  la  mémoire, 

Un  gourmand  dépense  son  bien  ! 
Mais  quand  Plutus  me  devient  favorable  , 

Bien  dîner  me  paraissant  doux, 
Chez  un  traiteur  je  vais  me  mettre  à  table. 

Et  je  passe  )a  nuit  dessous. 


LES  SOUVE?^IRS. 


Air  des  Créoles. 

Désirant  voir  naître  l'aurore. 
J'allais  auxclianips  de  grand  matin  ; 
•Nous  nous  trouvâmes  en  chemin. 
De  ce  beau  jour  te  souvient-il  encore? 

Ton  regard  disait  :  «  Je  t'adore.  » 
Pendant  long-temps,  pour  nous  revoir. 
Nous  nous  retrouvions  chaque  soir. 
De  ce  temps-là  te  souvient-il  encore? 

Lorsqu'un  feu  brûlant  nous  dévore  , 
Ou  jtire  d'aimor  constanmient  : 
Tous  (hux  nous  cri  fîmes  serment; 
D<'  ce  .serment  te  .souvient-il  encore  ? 


■\^Uj  l,A     liLLLC     DR    SAVON, 

Bientôt  ton  retour  que  j'iuipîoi'f' 
Doit  à  jamais  nous  réunir  ; 
Hâte-toi  donc  de  revenir  ;, 
Si  de  m'ai  mer  ta  te  souviens  encore. 


LES  JEUX  INNOCENS. 


Chansonnette  qu'il  ne  faut  chanter  que  lorsqu'on  roiinaît  tous 
1rs  noms  despetits-jeux. 

Air  du  Code  et  l'.iinour. 

Chez  maman  tous  les  soirs  on  joue 

ni fi'érens  jeux  tort  amusans  ; 

Mais  ,  moi ,  j'aime  mieux,  je  l'avoue  , 

Me  mêler  aux  jeux  innocens  ; 

On  s'y  presse,  on  badine,  on  cause  , 

On  peut  parfois  se  parler  bas  ; 

Enfin  ,  on  se  dit  mainte  chose 

Oue  les  mamans  n'entendent  pas. 

Quand  je  vois  un  jeune  homme  aimnl)Ie 
Faire  le  portier  du  couvent. 
Je  me  donne  un  air  agréable, 
Pour  qu'on  m'appelle  plus  souvent  ; 
Quoique  je  ne  sois  pas  coquette  , 
Plus  d'un  monsieur,  au  rej^jaid  doux, 
Ma  pour  ma  boîte  dainourrttc 
Oli'ert  de  fort  jolis  bijoux. 


LA    BULLE    DE    SAVON.  ^97 

J'aime  beaucoup  que  l'on  me  fasse 
Quelque  coLupliiiient  i?n/j/oniplu; 
Mais  ce  dont  je  suis  bientôt  lasse , 
C'est  du  propos  nttciroiupu. 
Qu'un  jeune  homme  de  bonne  mine , 
En  secret  de  moi  soit  épris  , 
Savez-vous  quand  je  le  devine? 
(Vest  au  Colin-tti  a  illard  assis. 

Avec  mou  cousin  Tiiéodore 
J'ai  long-temps  boudé  l'autre  jour  ; 
Avec  lui  jaime  bien  encore 
Faire  souvent  \*t  poul  d  amour. 
Quand  nous  sommes  en  tète  à  téte^ 
Nous  jouons  à  mon  corbillon , 
Et  sa  réponse  est  toujours  prête 
Dès  que  je  lui  dis  :  (ju'y  luet-oii? 

Pourtant  je  suis  tort  en  colère , 
Ali  !  mou  cousin,  ça  me  déplaît, 
Et  je  prétends  dire  à  ma  mère 
Ce  qu'hier  au  soir  vous  avez  fait  ; 
Oui ,  j'ai  bien  vu  ,  quoi  qu'il  en  dise  , 
Que  ce  monsieur  ,  d'un  air  malin  , 
Quand  près  de  lui  j'étais  assise  , 
Mettait  dans  \c  trou  du  roisiji. 

Ace»  petits  jeux  ,  dit  ma  mère  , 
On  trouve  souv<Mil  nu  épcuix  ; 
Moi,  si  l'on  in'rn  flonfu"  un  .  j  r>|)(i( 
QiTil  srra  tivs-habil<*  à  tous, 


^98  LA    BULLE    DE    SAVON. 

Dans  mon  cœur  pour  qu'il  trouve  place , 

D'avance ,  je  le  dis  tout  net , 

Il  faudra  que  mon  mari  fasse 

Un  ,  deux  ,  trois  ,  (lualre  ,  ciiuj  ,  six ,  sept. 


IL  NE  FAUT  PAS  REVER  TOUJOURS. 


A  une  dame  qui  me  disait  que  sou  plus  grand  bonheur  était 
de  dormir, 

Ain  :  A  deux  époques  de  la  vic.^ 

Quoi  !  dans  l'âge  de  la  tendresse , 
Dormir  a  pour  vous  tant  d'appas  ! 
Mais  ,  si  vous  sommeillez  sans  cesse, 
Auprès  de  vous  on  ne  dort  pas. 
Vous  prétendez  dans  chaque  rêve 
Voir  commencer  d'autres  amours; 
Permettez  que  je  les  acbève... 
Il  ne  faut  pas  rêver  toujours. 

On  chérit  votre  caractère, 
On  admire  votre  beauté , 
D'une  séduisante  chimère 
Vous  êtes  la  réalité  ; 
Les  rêves  à  femme  jolie 
Sont  d'un  inutile  secours  ; 
Au  temps  heureux  de  la  folie, 
Il  ne  faut  pas  rêver  toujoursi 


LA    BULLE    DE    SAVON.  i99 

Laissez  rêver  le  pauvre  hère , 
Qui  fait  en  songe  un  bon  repas  ; 
Laissez  rêver  la  bonne  mère, 
Qui  croit  voir  son  fils  dans  ses  bras  ; 
Au  malheur  le  sommeil  fait  trêve, 
Il  change  les  nuits  eu  beaux  jours  ; 
Mais,  vous,  à  qui  toujours  on  rêve. 
Il  ne  faut  pas  rêver  toujours. 


LES  SYNONYMES  FRANÇAIS. 


Air  du  vaudeville  de  l'Amant  sumiiaiiibulc. 

Souvent  l'amour  dans  son  langage 
Aime  à  changer  le  sens  des  mots  ; 
II  faut  en  connaître  l'usage. 
Pour  les  employer  à  propos. 
Vou>i  fjui  languissez  près  des  beJle», 
Pour  devenir  plus  vite  heureux. 
Jeunes  amans,  croyez  prèsdJ'eHe». 
Bien  moins  leur  bouche  que  leurs  yeux. 

IjC  synonyme  ch.ez  les  femmes 
Est  d'im  usage  très-commun  ; 
Pour  r«'ussir  près  de  ces  dames, 
On  doit  n'en  oublier  aucun  ; 
Dan.s  un  amoureux  tête-à-tête, 
En  tn'inblantsi  vous  agissez, 
Il  Pniit  bru.squcr  votre  conquête 
Oiian«l  on  vous  dira  :  Jinisscz. 


200  L,A    BULLE    Dt    bAVOPf. 

Amour  constant^  soumis,  fidèle, 
Cela  se  voyait  autrelois  ; 
Mais  aujourd'hui  ^flamme  éternelle 
Dure  à  peu  près  deux  ou  trois  mois. 
Qui  promet  amour  pour  la  vie , 
Yeut  dire,  en  engageant  sa  foi  : 
«  Passe-moi  maiutejaiitaisie , 
»  Je  reviendrai  toujours  à  toi.  » 

Des  mots  de  :  perfide  ,  volage  , 
!Se  soyez  jamais  alarmé  j 
Quanti  femme  vous  tient  ce  langage , 
Yous  avez  l'espoir  d'être  aimé  ; 
Du  cœur  quand  vous  serez  le  maître  , 
C'est  méchant  qu'on  vous  nommera  ; 
Et  si  l'on  vous  appelle  traître  , 
(i'est  que  l'on  vous  adorera. 


LE  MANQUE  DE  iMEMOIRE. 


Air  du  Château  de  mon  oncle. 

Pourquoi  gronder  ,  6  mon  ancienne  amie 
Si  ma  mémoire  a  suivi  mes  amours  ? 
J'avais,  dis-tu,  d'un  air  de  bonhomie. 
Fait  le  serment  de  t'adorer  toujours? 
Employant  tout  pour  te  rendre  sensible  , 
Je  te  iionnn;us  et  Ninon  (.t  Néiiu*;! 


LA    BULLt;    DE    SAVON.  ^01 

J'ai  dit  cela,  ina  chère,  c'est  possible; 
Mais  aujourd'hui  je  ne  m'en  souviens  plus. 

Dans  les  transports  de  ma  flamme  amoureuse, 
Pour  te  prouver  ma  sincère  amitié , 
J'ai ,  me  dis-tu  ,  vouki  te  voir  heureuse 
En  te  donnant  de  mes  biens  la  moitié  ; 
Et  par  ce  don,  sur-le-champ  exigible, 
Je  t'assurais  tous  les  mois  mille  écus  ? 
J'ai  dit  cela  ,  ma  chère  ,  c'est  possible; 
Mais  aujourd'hui  je  ne  m^en  souviens  plus. 

\oulant  encor ,  contre  m(»n  inconstance, 
Te  rassurer  par  un  nœud  éternel , 
Perdant  pour  toi  ma  douce  indépendance. 
J'ai  désiré  te  conduire  à  l'autel  j 
Me  marier  ne  m'était  point  pénible  ; 
Je  te  trouvais  des  grâces,  des  vertus... 
J'ai  dit  cola  ,  ma  clière,  c'est  po.ssible  ; 
Mais  aujourd'hui  je  ne  m'en  souviens  phis. 

Brel',  tu  prétends  ,  et  je  veux  bien  le  croire  , 
Que  je  t'ai  dit  :  «  Si  je  deviens  trompeur, 
)  Pour  me  punir  d'une  action  si  noire  , 
»  Je  te  permets  de  jne  percer  le  cœur.  » 
Ah!  ne  va  pas,  dans  un  transport  terrible, 
Te  préparer  des  regrets  superflus  I 
On  dit  cela  ,  ma  chère  ,  c'est  possible  ; 
Le  lendemain  on  ne  s'en  souvient  plus. 


202  LA    LULLE    DE    SAVON. 

DAME  ISABELLE  , 
ET  LES  TROIS  CHEVALIERS. 


RONDE  OU  BALLADE  QUI  N  EN  FINIT  PAS. 
Air  :  Espérance ,  patience  (  de  Fiorella  ). 

«  Ma  douce  Isabelle 

»  Toujours  aimerai  ; 

»  Elle  est  la  plus  belle, 

»  Je  le  prouverai  ; 

»  Pour  rompre  une  lance 

»  Vais  aux  champs  des  preux  ; 

»  Ayez  souvenance 

»  De  nos  tendres  feux.  » 

Cette  histoire 

Est  notoire  j 
C'était  encor 
Dans  l'âge  d'or. 

«  Point  n'ayez  de  crainte, 

»  Aimable  Adrien , 

»  Mon  cœur  est  sans  leinte, 

»  Je  suis  votre  bien , 

»  De  votre  Isabelle 

»  Portez  les  couleurs  ; 

M  Je  serai  fidèle , 


LA    BULLE    DE    SAVON. 

»  Vous  voyez  mes  pleurs.  » 
Cette  histoire,  etc. 

Sûr  de  son  amie , 

Le  jeune  guerrier 

Part,  et  se  confie 

A  son  destrier. 

Pendant  que  pour  elle 

Il  vole  au  tournois, 
La  tendre  Isabelle 
D'un  autre  a  fait  choix. 
Cette  histoire  ,  elc. 

Brûlant  pour  la  dame, 
Beau  ,  vaillant  et  blond  , 
Aymard  peint  sa  flamme, 
La  belle  y  répond; 
Mais  quand  sa  tendresse 
Obtient  doux  retour. 
Quittant  sa  maîtresse, 
Il  part  a  son  tour. 
Cette  histoiie,  etc. 

La  tant  douce  amante. 
Étant  veuve  encor  , 
Gémit ,  se  lamente  , 
Appelle  la  mort. 
Sensible  à  ses  charmes. 
Le  beau  brun  Roger 
De  sécher  ses  larmes 
Prétend  se  charger. 
Cette  histoire ,  etA;. 


203 


S0>4  LA    BULLE    Dt    SAVON. 

Mais  quand  de  la  belle 
Il  obtient  merci , 
Laissant  la  pucelle , 
Roger  part  aussi. 
A  peine  il  la  quitte, 
Qu'un  vieux  chât<'lain 
Vient  à  la  petite 
Proposer  sa  main. 
(Cette  histoire,  etc. 

Sortant  de  l'arène 
Couverts  de  lauriers , 
Doux  espoir  ramène 
Nos  trois  chevaliers. 
Chacun  d'Isabelle 
Se  dit  :  j'ai  sa  foi, 
Et  sur  sa  tourelle, 
Elle  pense  à  moi. 
Cette  histoire ,  etc. 

Mais,  ô  perfidie  ! 
Les  pauvres  vainqueurs 
De  la  même  amie 
Portent  les  couleurs  ; 
Et  la  noble  dame , 
Au  cœur  très-humain  , 
Est  maintenant  fennne 
D'un  vieux  châtelain. 
Cette  histoire ,  etc. 

«  Las,  »  dit  Isabelle  . 
'>  Accusez  le  sort  , 


LA     ULLLK     I)K    SAVOX.  505 

»  Point  n'étaiscruelle, 

»  Les  absens  ont  tort  ; 

»  Mais  quand  dans  la  plaine 

»  Ira  mou  ëpoux  , 

»  Chez  la  châtelaine 

»)  Venez  sans  courroux.  » 

Cette  historié 

Est  notoire; 
C'était  encor 
Dans  l'âge  d'or. 


LA  RKLMON  DM^K. 


CHANSON   DE    TABI.K. 


Ain  ;  Tl  me  faudra  qnillf^r  IVtnpirc. 


Amis,  voici  l'époque  fortunée 
Oîi  je  viens  rire  et  chanter  avec  vous  ; 
Mais  aujourd'hui  d'une  belle  journée 
L'aiMi:ib!e  aspect  rend  cebanrjuet  plus  doux  ; 
Pendant  l'hiver  si  ma  voix  ,  peu  sonore  , 
De  vous  distraire  eut  parfois  le  désir  , 
Sous  un  beau  ciel  on  doit  bien  mieux  encore 
Boire  ,  chanter  ,  se  livrer  au  plaisir. 

Si  nous  voyons  ensemble  la  froidure  , 
Ltde  janvier  la  neige  et  les  ruisseaux  , 
Enscnd)leau  moius  admirons  la  jiature, 
Charmant  los  yrux  par  do  ijnns  labhaux. 


206  LA    BULLE    DE    SAVOn. 

Sachons,  l'été,  jouir  des  dons  de  Flore , 
C'est  pour  l'hiver  un  joyeux  souvenir; 
Sous  un  beau  ciel  on  doit  bien  mieux  encore 
Boire,  chanter,  se  livrer  au  plaisir. 

Toujours  Paris  nous  rassemblait  naguère  ; 

Mais  aujourd'hui ,  dans  notre  doux  émoi , 

Quittant  ses  murs  nous  passons  la  barrière, 

Et  nous  laissons  les  ennuis  à  l'octroi  ; 

Près  d'un  bon  feu,  quand  Cornus  nous  restaure. 

Si  nous  savons  charmer  notre  loisir, 

Sous  un  beau  ciel  on  doit  bien  mieux  encore 

Boire,  chanter,  se  livrer  au  plaisir. 

Enfans  des  arts ,  pour  devise  chérie , 
Prenons  toujours  »  Franchise  et  liberté  »  ; 
La  moindre  entrave  arrête  le  génie , 
Mais  le  grand  air  inspire  la  gaîté. 
Dans  cet  hôtel  que  le  luxe  décore , 
A  s'amuser  nul  ne  peut  réussir  ! 
Sous  un  beau  ciel  il  vaut  bien  mieux  encore 
Boire,  chanter,  se  livrer  au  plaisir. 

Chacun  de  nous,  regardant  en  arrière  , 
En  soupirant,  peut  se  dire  tout  bas  : 
De  mon  printemps  j'ai  passé  la  carrière. 
Pour  nous,  hélas  !  il  ne  renaîtra  pas  ! 
Mais  le  passé  dans  l'ombre  s'évapore. 
C'est  le  présent  qu'il  faut  savoir  saisir  ! 
Sous  un  beau  ciel  heureux  qui  peut  encore 
Boire,  chanter,  se  livrer  au  plaisir. 


LA    rULLE    DE    SAYON.  207 


RENDEZ-MOI  MON  AKGENT. 


Am  :  Le  cordon,  s'il  vous  plaîi. 

C'est  le  plaisir 

Qu'on  veut  saisir  ; 

Chacun  Kenvie  ; 
On  croit  contenter  son  désir. 
A  tous  les  instans  de  la  vie , 
Bercés  par  un  espoir  tronipetit, 
Nous  payons  bien  cher  le  bonheur  ! 
Et  tel  prodigue  sa  richesse 
Pour  avoir  fidèle  tïiliîtressè  , 
Pourrait  dire ,  eti  se  dégageant , 

Rendez-moi  mon  argent.  (6  fois.) 

Est-on  garçon  , 

Il  faut ,  dit-on  , 

Prendre  une  femme 
Afin  de  monter  sa  maison; 
Puis,avecla  dot  de  madame, 
On  a  des  chevaux,  des  valets, 
On  donne  concerts  et  banquets  ; 
Mai.s  oubliant  qu'hvmen  nous  lie  , 
On  néglige  femme  jolie, 
Qui  dit  tout  bas  ,  en  enrageant , 
Rende/.-moimon  argent. 


208  l.A  BULLE  UF.  SAVON. 

0)1  nie  promet 

Succè<<  complet; 

Vite  au  tliéâtro 
Je  cours  et  me  place  au  parquet  ; 
De  la  comédie  idoliUre, 
J'écoute,  au  milieu  des  amis  , 
Le  chef-d'œuvre  qu'on  m'a  promis. 
Hélas!  plan,  scène,  personnaj^e, 
Tout  est  mauvais  dans  cet  ouvrajfe  ; 
Et  chacun  dit  en  délogeant, 
I\endez-moi  mon  argent. 

A  l'écarté 

Avec  gaîté , 

Folle  jeunesse  , 
Tu  viens  chercher  le  bon  côté; 
Pour  le  jeu  quittant  sa  maîtresse  , 
Au  bal  on  néglige  l'amour , 
Qui  peut  s'en  venger  à  son  tour  ; 
Ou  perd,  on  emprunte,  on  s'entête  : 
Plus  d'un  qui  brille  à  cette  fête  , 
Dira  demain,  presque  indigent, 
l^eudez-moi  mon  argent. 

Il  faut  souffrir. 

Il  fout  mourir  , 

Et  dans  la  vie 
Souvent  on  n'a  point  de  plaisir; 
Notre  carrière  est  remplie; 
Parfois  les  .^oucis  ,  le  chagrin  , 
Avec  nous  ont  fait  le  chemin  ; 


LA   BULLE  dp:  sayon.  209 


Quand  on  fit.  un  triste  vova^^^e, 
On  pourrait  en  pliant  bagage 
Dire ,  sans  paraître  exigeant , 
Rendez-moi  mon  argent. 


IL  FAIT  AliMEH 


Air  (le  madpraoisello  Caroline  Moudriix  ,  ou  Air  dWriiiipe. 

Il  faut  aimer  ,  c'est  le  besoin  do  Tame  ; 
Qui  n'aime  pas  ne  peut  se  dire  heureux  ; 
Il  faut  cédera  cette  douce  flamme 
Qu'en  notre  cœur  allument  deux  beaux  veux. 
Dan.s  les  palais,  dan.s  la  chaumière  obscure  , 
C'est  l'amour  seul  qui  sait  tout  animer. 
Nous  entendons  la  voix  de  la  nature... 
Tl  faut  aimer. 

Il  faut  aimer  pour  «Hre  humain,  sensible  , 
Des  malheureux  pour  adoucir  le  sort; 
L'amour  .s'éveille  à  la  peine  accessible  , 
L'indifférence  avec  calme  s'endort. 
Il  laui  aimer  pour  aller  à  la  gloire  ; 
Pour  son  amie  il  est  beau  de  s'armer; 
pour  parvenir  au  temple  (\o  mémoire, 
Il  faut  aimer. 

Il  faut  ainuT  ,  dans  le  printemps  de  l'âge, 
La  tendre  mire  à  qui  Von  doit  \o  jour; 

M 


?fO  LA    BULLE    DE    SAYON. 

Quand  la  raison  devient  notre  partage, 
Pour  l'égayer  unissons-lui  l'amour  ; 
Et  lorsqu'enfin  la  tremblante  vieillesse 
Nous  dit  qu'il  faut  renoncer  h  charmer  , 
Pour  que  le  cœur  conserve  sa  jeunesse, 
Il  faut  aimer. 


LA  PLLME. 


Air  <lii  vaiidrvillr  de  rKliulf . 

A  la  plume  rendons  hommage, 
jNous  envions  tous  ses  faveurs  ; 
Heureux  qui  sait  en  faire  usage 
Sans  en  éprouver  les  rigueurs  ! 
On  souffre  quand  un  sot  la  guide, 
Mais  le  ciel  forme  peu  d'élus  ; 
Plumes  de  Racine  et  d'Ovide, 
Hélas!  on  ne  vous  taille  plus. 

(Changeant  de  t<m  comme  de  maître, 
Servant  et  l'intrigue  et  l'amour, 
Combien  d'écrits  elle  a  fait  naître 
Qui  n'ont  pas  duré  plus  d'un  jour  ! 
Elle  a  tracé  mainte  bévue  , 
Fruit  du  despotisme  irrité  ; 
Mais  trop  rarement  on  l'a  vue 
Conduite  parla  Vérité. 


LA    BULLE    DE  SAVON.  ^H 

Honneur  à  la  plume  fidèle , 

Qui  du  peuple  défend  les  droits, 

Et  dans  une  pa^e  immortelle    ' 

Pour  le  pauvre  élève  la  voix. 

Honte  à  celle  qui  se  partage  , 

Qui  pour  de  Torse  vend  soudain  , 

Et  qu'on  voit  changer  de  langage     J?  .,^^  fyr^  yuf // 

Sans  pour  cela  changer  de  main.     J-^Afil  rtJ^iJ^94' J  *■ 

Sur  la  beauté  qu'elle  caresse 
Souvent  la  plume  nous  séduit  ; 
Pour  exprimer  notre  tendres.«!e, 
La  plume  aisément  se  conduit. 
Cédant  aux  désirs  qu'elle  allume, 
Si  l'on  couronne  notre  ardeur, 
Parfois  c'est  encor  sur  la  plume 
Que  nous  connaissons  le  bonheur. 

Puisse  quelque  plume  nous  rendre 
Molière,  Voltaire,  Rousseau; 
Puisse-t-elle  à  l'instant  se  fendre 
Pour  qui  dénigre  son  berceau  ; 
Et  vous,  auteurs  de  cent  volumes, 
Ecrits  pour  engourdir  nos  sens  , 
De  grâce,  ne  taillez  vos  plumes 
Que  pour  faire  dfs  cure-dents. 


212  LA    HL'M.E    DE    SAVON. 


A   MON  AINCIEMNE  AMIE. 


AiB  :  Oui ,  des  beaux  artsjc  suis  admirateur  (  de  Garriok  ]. 
\ 

'  p».  *y ,.  ,^  x-  ,\LoilÊPfouze  ans ,  Lise  ,  que  j'ai  ton  cœur, 
\.       '  ^  '  *      'Béjà  douze  ans  !  époque  fortunée! 

Loin  que  le  temps  altère  mon  bonheur , 
Je  crois  t'aiiner  encor  plus  chaque  année. 

Maîtresse  nouvelle  et  vins  vieux 
Font ,  nous  dit-on  ,  le  charme  de  la  vie  : 
Je  change  ce  refrain  joyeux  , 
Et  trouve  qu'à  table  on  est  mieux 
Auprès  de  son  ancienne  amie. 

Douze  ans  sont  longs  quand  pardetrisles  nœuds 

L'indifférence  avec  Taniour  s'engage  ; 

Ce  temps  fut  court .  ma  chère,  pour  nou.s  deux  ; 

Carde  nos  feux  nous  avons  plus  d'mi  g:'g^. 
Si  dans  de  nouvelles  amours 

On  met  parfois  plus  de  galanterie  , 
Qu'est-il  besoin  de  son  secours 
Pour  compter  tous  les  heureux  jours 
Passés  près  d'une  ancienne  amie? 

Eprouve-t-on  pour  un  objet  iiouvcau 
Ce  vif  désir  qui  fait  croire  qu'on  aime , 
Alors  pour  nous  le  présent  .vcul  est  benu  : 
Lo  lendemain  souvent  n'est  plus  le  même. 


LA    BULLE    DE     SAVO>.  215 

Mais  bien  loin  de  nous  désunir 
Quand  le  temps  voit  notre  ardeur  affermie  , 
On  est  riche  de  souvenir 
Et  rassuré  sur  l'avenir 
Auprès  de  son  ancienne  amie. 

Dus  plaisirs  même  être  enfin  ennuyé , 
C'est  en  changeant  ce  que  bientôt  on  trouve  ; 
Mais  à  l'amour  joindre  de  l'amitié, 
En  se  fixant ,  c'est  ce  que  l'on  éprouve. 

Du  sort  ressent-on  le  courroux , 
Par  le  malheur  doublement  on  se  lie  , 

Et  ce  souvenir  a  pour  nous 

Encor  je  ne  sais  quoi  de  doux 

Auprès  de  notre  ancienne  amie. 

Si  je  te  dis  que  je  te  trouve  encor 
Mêmes  attraits,  même  grâce,  ma  chère, 
Tu  me  croiras  ,  je  pense  ,  sans  effort  : 
Après  douze  ans  on  doit  être  sincère; 

Pour  toi  le  temps  semble  arrêté; 
Mais  si  sa  main  cessait  d'être  endormie  , 

N'en  conçois  nulle  anxiété  : 

Ce  n'est  pas  que  jKuir  sa  beauté 

Que  l'on  aime  une  ancienne  ami<". 


214  LA    BULLE    DE    SAVON. 


VOUS  FACHERIEZ-VOLS 


Air  ;  Voilà  quatre  ans  ([u'cn  ce  village  (  de  Léocadîe.) 

Si  je  vous  disais,  mon  amie, 
Pourquoi  je  soupire  en  secret  ; 
Si  je  vous  disais  :  Pour  la  vie 
Je  puis  être  heureux  et  discret; 
Si ,  cédant  à  l'ardeur  extrême 
Que  fait  naître  un  regard  si  doux , 
Je  vous  disais  enfin. .  je  t'aime  : 
Ah  !  Rose,  vous  fâcheriez-vous  ? 

Vous  savez  que  je  vous  adore, 
Pourtant  vous  ne  vous  fâchez  pas; 
Mais  ,  hélas  !  je  soupire  encore 
Lorsque  j'admire  vos  appas; 
Je  désire  un  baiser  bien  tendre... 
Mais  je  crains  trop  votre  courroux  , 
Si  malgré  toi  j'osais  le  prendre... 
Ah  !  Rose  ,  vous  fâcheriez-vous  ? 

Vous  pardonnez  à  mon  déHre  ; 

Mais  pour  apaiser  mes  amours  , 

Ce  baiser  ne  saurait  suffire. 

Hélas  !  je  soupire  toujours  ! 

De  mon  amour  n'étant  plus  maitre  , 

Si  je  tombais  à  tes  genoux... 

Mais  j'y  suis j'y  veux  toujours  être. . . 

Ah  !  Rose  ,  vous  fàcherez-vous  ? 


LA    BULLE    DE    SAVON.  2^5 


LA  VIE  D'UN    PARTICULIKH. 


Romance  KUMAMiytE, 
Avec  dix  ans  d'intervalle  entre  «haquc  couplet. 
Ajk  ;  De  ma  Cétinc  amant  moilcstc. 

l'HEJUlEK    COLPLEl. 

(  Le  particulier  à  dix  ans.) 

Que  les  pareils  sont  ridicules 
Avec  leur  latin  et  leur  grec  ! 
Combien  je  suis  las  de  férules  , 
Et  de  pensum  et  de  pain  sec  1 
Ah  !  de  grandir  j'ai  bonne  envie  ! 
Alors,  loin  d'être  nonchalant  , 
Je  veux,  tous  les  jours  de  ma  vie, 
Faire  enlever  un  cerf-volant. 

irEUXIÈME   tOLI'LET. 

I  Le  iiarlicuîier  à  vingt  ans.  ) 

Ah  !  que  ma  cousine  est  jolie  ! 
Les  beaux  yeux  !  quel  air  de  douceur  ! 
Déjà  je  l'aime  à  la  folie; 
L'épouser  ferait  mon  bonheur. 
On  m'of)jecte  encore  mon  ftpe  ; 
Vin{;t  ans,  c'est  trop  jeune  ,  dit-on. 
J'en  voudrais  avoir  (iavnntajM; 
Afin  d«'  n'être  plus  garron  ! 


516  LA    BULLK    UE    SAVON. 

JROJSlE.Mt    (.«JLJ'LEl, 

(  Le  pai'liculer  a  irenie  ans.  ) 

Vraiment,  ma  femme  est  ennuyeuse, 

Elle  veut  me  tyranniser  ; 

De  mon  temps,  pour  la  rendre  heureuse, 

Je  ne  puis  jamais  disposer. 

Après  six  ans  d'hymen ,  j'espère 

Qu'on  doit  être  plus  tolérant. 

Quand  donc,  pour  promener  sa  mère. 

Mon  fils  sera-t-il  assez  {^rand  ! 

QUATRIÈME  COUPLET. 

(  1.6  pariictilier  à  (juarante  ans.  ) 

Mon  His  a  quinze  ans  ,  et  le  drôle 
[ra  loin,  si  je  m'y  connais  ! 
Pour  ma  fille  ,  sur  ma  parole  , 
On  admirera  ses  attraits  ; 
Je  veux  qu'elle  épouse  une  altesse  ! 
Et  que  mon  fils  soit  général  j 
A  leur  noce  quelle  allégresse  ! . . . 
Quand  donc  en  verrai-je  le  bal  î 

CINQUIÈME  COUPLET. 

(  Le  particuliei'  à  oiiujuaiile  ans.  ) 

Au  diable  soit  de  la  lamille  I 
Mon  vaurien  a  tout  engagé  ! . . . 
Et  l'argent  <|u'a  reçu  ma  fille, 
Déjà  par  mon  gendre  est  maiige. 


LA    BULLE    DE    SAVON.  217 

Partons,  car  si  je  n'y  prends  garde, 
Mon  bien  n'y  suffira  jamais. 
Ah  !  d'être  loin  d'eux  qu'il  me  tarde, 
Afin  de  pouvoir  vivre  en  paix. 

SIXIÈME    COUPLET. 

(  Le  particuliei'  à  soixante  ans.  ) 

En  me  rappelant  ma  jeunesse, 
Maintenant  que  j'ai  soixante  ans, 
Je  vois  que  par  ses  vœux  sans  cesse 
On  presse  la  marcjie  du  temps  ; 
C'est  à  vieillir  que  l'on  aspire, 
Puisque,  même  sur  mon  déclin  , 
Il  m'arrive  encore  de  dire  : 
«  Je  voudrais  bien  être  à  demain.  » 


L'HABITUDE. 


Ain  ;  Lc'<  |)oiit<  \alciit  bien  \rs  j^iand». 

Le  bonheur  se  iorme,  dit-on. 
Des  liabitudes  delà  vie. 
Le  sage  l'a  dans  sa  maison  , 
L'amant  auprès  de  son  amie. 
A  tout  on  peut  s'acrontumer. 
Ma  Clara  ,  laisons-en  l'étude  ; 
Si  tu  le  veux,  de  nous  aimer 
Nous  cillfui»  [uendie  l'habitude 


2^8  LA    BULLE    DE    SAVON. 

A  touj  ours  être  auprès  de  toi 
Je  m'accoutumerai  bien  vite  : 
Déjà  tes  désirs  font  ma  loi^ 
C'est  à  rejjret  que  je  te  quitte  ; 
T'aimer  doit  être  le  bonheur, 
J'en  ai  la  douce  certitude  ; 
'    Je  sens  au  trouble  de  mon  cœur 
Qu'il  en  prend  déjà  l'habitude. 

Mais  il  laut  aussi  m'exprimer 
Que  tu  partages  mon  ivresse  ; 
Songe  qu'il  faut  t'accoutumer 
A  me  permettre  une  caresse  ; 
Lève  les  yeux  sur  ton  amant , 
Ma  Clara,  ne  fais  point  la  prude; 
De  peindre  un  tendre  sentiment 
Donne-leur  vite  l'habitude. 

Grâce  à  ce  projet ,  tout  me  dit 

Que  nous  serons  heureux  ,  ma  chère: 

En  s'aimant  petit  à  petit, 

On  connaît  mieux  son  caractère  ; 

Défions-nous  de  ces  amours 

Que  l'on  forme  avec  promptitude  ; 

Ceux  que  l'on  voit  durer  toujours 

Sont  souvent  nés  de  l'habitude. 


LA    BULLE    DE    SAVON.  219 


JE  INE  SUIS  PAS  E>COR  GUERI. 


Air  :  Les  petis  Talent  bien  les  (p-ands. 

D'un  sexe  perfide  et  volage 
Je  prétends  braver  les  attraits  ; 
L'aimer  encor  serait  peu  sage, 
J'en  suis  bien  guéri  désormais. 
Oui,  c'en  est  fait ,  je  fuis  les  belles, 
Et  pourtant  mon  cœur  attendri 
Palpite  toujours  auprès  d'elles... 
Je  ne  suis  pas  encor  guéri. 

Cent  fois  trompé  par  des  coquettes, 
Irai-je  encor  faire  ma  cour  ? 
ISon,  mesdames,  dans  vos  conquêtes 
Ne  me  comptez  plus  dès  cejour. 
Mais  Adèle  vient  de  m'écrire , 
C'esf  demain  que  part  son  mari  ; 
Et  d'être  a  demain  je  soupire... 
Je  ne  suis  pas  encor  guéri. 

Que  di.s-je!  non,  plus  de  maître.'?scs. 
Je  ne  veux  plus,  pour  deux  beaux  yeux , 
Croire  à  de  trompeuses  promesses  ; 
Ne  plus  aimer  vaut  beaucoup  mieux. 
Mais  quelle  est  cette  jeune  fille, 
Au  pied  jnignon  ,  au  teint  fleuri  ? 
Dlionneur!  on  n'est  pas  plus  gentille... 
Je  «e  suis  pas  eucor  guéri. 


â20  LA    JJULLK    DE    SAVON. 

N'allons  pas  faire  de  folie  1 
Et  que  m'importe  ce  minois  !... 
Mais  cette  femme  est  bien  jolie  .. 
Kille  me  remarque,  je  crois. 
Oui ,  j'en  suis  certain  ,  ia  petite  , 
En  me  regardant  a  soui  i. . . 
Pour  la  rejoindre  allons  plus  vite... 
Je  ne  suis  pas  encor  guéri. 


LA  CHAUMIERE. 


Air  de  M.  Et.  Voisel ,  ou  Air  du  \audcvillc  de  l'Actrice. 

Séjour  de  mon  heureuse  enfance  , 
Qu'il  me  fallut  top  tôt  quitter , 
Vers  toi ,  franchissant  la  distance  , 
Ma  pensée  aime  à  se  porter. 
Je  vois  ces  murs  couverts  de  lierre  , 
Ce  foyer,  ce  toit  protecteur; 
Et  je  regrette  ma  chaumière  , 
Où  je  connaissais  le  bonheur. 

Forcé  de  vivre  au  sein  des  villes, 
J'ai  connu  leurs  bruyans  plaisirs  ; 
Là  les  hommes  ne  sont  habiles 
Qu'à  se  créer  de  vains  désirs  ; 
Chacun  d'eux  use  sa  carrière  , 
En  rêvant  fortune  et  grandeur  !... 
Moi ,  je  regrette  ma  chaujuière 
Où  je  connaissais  le  bonheur. 


LA     BULLE    DE    SAVON.  ^âi 

Quand  de  l'amour  goiUant  l'ivresse , 

Je  crois  à  la  félicité  , 

Je  suis  trahi  par  ma  maîtresse. 

Qui  rit  de  mafidélilé. 

Du  erand  monde  c'est  la  manière  : 

La  constance  n'est  qu'une  erreur  ! .. . 

Moi ^  je  regrette  ma  cliaumir^re. 

Ou  je  connaissais  le  bonheur. 

Le  désir  ardent  de  la  gloire 
M'a  fait  affronter  les  combats  ; 
Alors  je  voyais  la  victoire 
Suivre  les  pas  de  nos  s;,ldats  : 
Mais  du  temps  la  faux  meurtrière 
Moissonne  à  son  tour  le  vainqueur!... 
Ah  !  retournons  dans  ma  chaumière 
Où  je  connaissais  le  bonheur. 


LE  ]\KZ. 


Ain  :  (jVsJ  parles  yciix  ,  o(r. 

(l'egt  par  le  ne/  (juc  tout  sellairc, 
Kl ,  premier  organe  des  sens, 
L«'  nez  noiLs  guide  et  nous  éclaire 
Dans  nos  désirs  les  [)lus  pressans. 
]/.\  Providence,  touj<HU"s  sage, 
En  Cl  éant  le  nez,  eut  grand  .soin 


âââ  LA    BULLE    DE    SAVO». 

Qu'il  fût  au  milieu  du  visa^je, 
Afin  qu'on  le  vît  de  plus  loin. 

Chacun  cite  de  sa  maîtresse 
Les  dents ,  les  yeux  ou  les  contours, 
Mais  bien  rarement  on  adresse 
A  son  nez  de  tendres  discours  : 
Eh  !  messieurs ;,  faites  qu'il  partage 
Les  éloffes  que  vous  donnez  : 
Que  serait  le  plus  beau  visage 
Si  l'on  n'y  voyait  pas  de  nez  ? 

Voyez  ce  gourmand  ,  il  devins 
Quand  vous  donnez  de  bons  dînes  : 
Chez  vous  alors  il  s'achemine; 
Les  gourmands  ont  toujours  bon  nez. 
Voyez  encor  cet  homme  en  place , 
D'opinions  changeant  souvent; 
Veut- il  obtenir  quelque  grâce  , 
Il  a  toujours  le  nez  au  vent. 

J'aime  un  nez  à  la  Roxelane, 
Il  donne  aux  belles  l'air  mutin  ; 
Sur  une  jeune  courtisane 
Ln  nez  à  la  grecque  est  divin  ; 
Chez  une  noble  et  grande  dame 
Je  recherche  un  nez  aquilin  ; 
Mais  si  je  prenais  une  femme , 
Je  voudrais  qu'elle  eut  le  nez  fin. 

Le  nez  est  le  miroir  de  l'ame  . 
Sur  lui  tout sf' peint  ,  tout  agit: 


LA    BULLE    DE    SAVON.  225 

Avons-nous  la  fièvre,  il  s'enflamme, 
Quand  nous  buvons  trop  ,  il  rouj^it  : 
Enfin ,  si  dans  un  tête-à-téte , 
Nos  vœux  ne  sont  pas  couronnés , 
Au  lieu  de  notre  air  de  conquête , 
Cela  nous  donne  un  pied  de  nez. 


LA  COI  Tl  RIÈRE. 


Air  :  Eh  !  \p  cœur  à  la  danse .  eir. 

l'ne  fillette  de  vingt  ans, 
Sensible  et  couturière , 
Disait  :  «  Ça  dure  bien  long-temps 
»  Lne  semaine  entière  ! . . . 
»  Mais  elle  s'achèvera , 
))  Et  dimanche  arrivera... 
»  l'Lnfilons  mon  aiguille, 

»  Causons  (lerj  toujours  , 
»  Je  suis  jeune  et  gentille  , 
»  Pensons  à  mes  amours. 

>   iJinianclie  !  ah!  pour  moi  quel  plaisir  ! 

»  Comme  alors  je  m'en  donne! 
)»  Je  n'ai  qu'à  former  un  dé.sir, 
)»  Et  vite  on  le  couronne, 
;)  Les  mes.sieurs  que  je  connais, 
»  Sont  .si  galans,  .si  bien  laits... 
t)  Enfilons  mon  aiguille,  etc. 


2â4-  I-A    RULl.K    DK    SAVON. 

»  Monsieur  Au^juste  a  soin  d'avoir 
»  Des  bonbons  dans  ses  poches  : 
»  Monsieur  Jules,  matin  et  soir  , 
)•>  Me  bourre  de  brioclies  î 
»  Si  Paul  ne  nie  donne  rien  , 
»  Il  me  fait  danser  fort  bien  î 
»  Enfilons  mon  aiguille,  etc. 

»  Comme  monsieur  Jules  est  poli , 
»  Comme  il  valse  avec  grâces  ! 
>i  11  m'a  menée  à  Tivoli , 

»  INous  avons  pris  des  glaces  : 
»  PuiSj  le  soir  ,  dans  mon  corset 
»  Il  m'a  mis  un  gros  bouquet... 
»  Eulilons  mon  aiguille,  etc. 

»  Pour  Auguste  ,  au  Pied  de  Mnulon  , 

»  Je  me  suis  enflammée  , 
»  J'étais  en  loge  du  grand  ton  , 
»  La  grille  était  fermée  , 
»  J'ignore  ce  qu'on  disait , 
)»  Mais  comme  ça  m'amusait  ! 
»  Enfilons  mon  aiguille  ,  eir. 

»  Avec  Paul  je  dine  en  secret , 
»  Et  de  peur  de  scandale  , 
>)  C'est  toujours  dans  un  cabinet  : 
»  Mais  comme  il  me  régale  ! 
»  Je  dis  en  vain  :  finisse/., 
»  ÏNousen  avons  bien  estez... 
»  Enfilons^mon  aiguille,  etc. 


LA    BULLE    DE    SAYOX.  2â-;j 

»  Jp  n'eronterais  qu'un  amant , 

»  Si  j'avais  ma  semaine: 
»  Mais  rien  qu'un  jour  au  sentiment  ! 

»  Ça  me  suffit  à  peine  : 
))  Pour  mes  dimanches  ,  je  veux 
»  Garder  mes  trois  anîoureux  ; 
»  Enfilons  mon  aiguille, 

»  Cousons  (tei^  toujours  : 
»  Je  suis  jeune  et  gentille, 
»  Pensons  à  mes  amours.  » 


LES   VIELX  PÈCHES. 


Air  :  Je  vous  comprendrai  toujours  bien  (ilo  l'Opt'ra-Coniique.  ) 

Malgré  notre  sagesse  à  tous  , 
Malgré  notre  amour  de  bien  foire  , 
Ce  qu'on  nous  défend  a  pour  nous, 
Certain  attrait  involontaire, 
Soyons  indulgens  ,  car,  hélas! 
Dans  ce  siècle  d'ingratitude 
Eh  !  quel  est  celui  qui  n'a  pas 
Quelques  vieux  péchés  (<r'/') d'habitude? 

llortense  a  de  la  gravil»'-  , 

L'd  il  baissé  ,  le  maintien  sévère, 

Elle  fuit  la  société 

De  toiife  femme  un  peu  légère  ; 

i5 


âî6  LA    BULLE    DE    SAVON. 

En  secret  elle  a  des  amans , 

Dans  le  monde  elle  fait  la  prude; 

Dissimuler  ses  sentimens, 

C'est  son  vieux  yxîchèÇier)  d'iiabitude. 

D'un  sexe  qui  règne  sur  nous 

Excusons  la  coquetterie , 

Jamais  de  ce  péehë  si  doux 

ISe  guérira  femme  jolie. 

La  plus  fidèle  à  son  amant 

De  plaire  à  chacun  fait  étude; 

Ah  !  laissons-leur  cet  art  charmant, 

C'est  un  vieux  péché  (;<:'/■)  d'habitude. 

S'il  faut  défendre  son  pays , 
Partir  sans  que  rien  ne  l'arrête , 
Et  sous  le  feu  des  ennemis 
Chanter  encor  la  chansonnette  ; 
Aimer  sa  patrie  à  l'excès, 
Mais  détester  la  servitude , 
En  tous  les  temps,  chez  les  Fiançais, 
C'est  un  vieux  péché  (^p/)  d'habitude. 

Si  les  Normands  sont  cauteleux , 
Si  les  Gascons  par  trop  se  vantent , 
Si  les  riches  sont  orgueilleux, 
Si  les  journalistes  nous  mentent, 
Si  les  amans  sont  attrapés  , 
Si  les  marins  ont  le  ton  rude. 
Et  si  les  maris  sont  trompés  , 
Ce  sont  des  péchés (/er)  d'habitude. 


LA    BULLE    DE    SAVON.  227 


LE  DÈSm  ET  L'ESPERAiNCE. 


Air  do  l"'An<;olus. 

On  a  quelquefois  conlondu 
Deux  sentimens  qui,  dès  l'enfance, 
Par  leurs  charmes  ont  suspendu 
Les  ennuis  de  notre  existence  : 
L'un  est  précurseur  du  plaisir, 
Et  l'autre  naît  de  la  souffrance; 
Le  premier  fut  nomme  désir  , 
Et  le  second  est  l'espérance. 

Pour  le  pauvre  dans  son  réduit 
Ces  deux  sentimens' ont  des  charmes; 
Le  désir  parfois  le  séduit, 
L'espérance  sèche  ses  larmes: 
En  amour  l'un  fait  réussir. 
Vers  l'amitié  l'autre  s'élance  ; 
Le  plus  heureux  c'est  le  dtîsir, 
Mais  le  plus  doux  c'est  l'espérance. 

Au  dernier  jour,  lorsque  le  Temps 

Guidera  la  Parque  cruelle, 

De  CHS  aimables  sentimens 

I  u  seul  nous  restera  fidèle  : 

Dès  que  la  mort  vient  nous  saisir. 

Adieu  ,  grandeurs,  beauU; ,  puissance  , 

]Nou8  perdons  aussi  le  désir, 

Mais  nous  emportons  l'espérance. 


âi8  I^A    JilJl.T.E    nn    SAVON, 


LA  BROLîETÏE  DE  JEÂiWETTE. 


AîR  :  Eli  !  vof;uc  ma  naccllo  (  do  Marie  ). 

Jeannette  est  une  brune 
Qui  demeure  à  Pantin  , 
Où  toute  sa  fortune 
Est  un  petit  jardin; 
Sans  cesse  elle  répète, 
En  narguant  les  soucis  : 
Eh  !  roule  ma  brouette 
Qui  porte  mes  radis. 

Jeannette  eut  au  village 
Plus  d'une  passion, 
Fut-elle  toujours  sage  ? 
C'est  une  question. 
Chaque  jour  la  fillette 
Dit  :  Allons  à  Paris  1 
Eh  !  roule  ma  brouette 
Qui  porte  mes  radis. 

D'abord  un  militaire 
Pour  la  belle  brûla  ; 
Aisément  il  sut  plaire  , 
Mais  il  la  planta  là. 
Ça  Ht  pleurer  Jeannette 
Qui  bientôt  a  repris  : 


f 

LA    BULLE    DE    SAVON.  229 

Eh  !  roule  ma  brouette 
Qui  porte  mes  radis. 

Un  fermier  pour  la  belle 
Eut  aussi  (Je  Tamour  j 
Cette  fois  ce  fut  elle 
Qui  ne  l'aima  qu'un  jour  : 
Il  poursuit  la  coquette. 
Qui  lui  répond  :  tant  pis  ! 
Elî!  roule  ma  brouette 
Qui  porte  mes  radis. 

Se  montrant  acce.ssible 
Pour  un  joli  garçon , 
Jeannette  est  insensible 
Aux  offres  d'un  baibon  ; 
Elle  dit  ma  couchette 
A  peur  des  cheveux  gris  ! 
Eh  !  roule  ma  brouette 
Qui  porte  mes  radis. 

Méprisant  la  richesse, 
Jeannette  dit  encor  : 
Je  donne  ma  tendresse  , 
(]e  n'est  pas  pour  de  l'or  : 
I^  plaisir  qu'on  achette 
Vaut-il  l'amour  gratis  ? 
Eh  !  roule  ma  brouette 
Qui  porte  mes  radis. 


^50  LA    BULLE    DE    SAVON. 


POUR   LA  FETE  D  L N  LOUIS. 


Ain  :  Au  coin  du  l'eu. 

A  chanter  je  m'apprête  ; 

Il  s'agit  d'une  fête 

Qui  vaut  son  prix  ; 
Or  je  sens  qu'il  me  tente, 
Car  je  sais  que  je  chante 

Pour  un  Louis  (/e/). 

L'épouse  de  notre  hôte , 
Bien  qu'à  compter  sans  faute 

Elle  ait  appris , 
Donnerait ,  je  parie  , 
Lne  somme  infinie 

Pour  son  Louis. 

Louis,  en  Terre-Sainte , 
Disait  :  «  Allons  sans  crainte!.. 

Il  fut  occis. 
Moi ,  vous  pouvez  m'en  croire  , 
Ici  ,  j'aime  mieux  boire 
Pour  mon  Louis. 

Quand  on  a  quelque  pièce 
D'une  mauvaise  espèce , 

On  est  repris  ; 
Chez  nous  point  d'alliage  : 


LA    BULLE    DE    SAVON.  25^ 

Nous  avons  en  partage 
Ln  bon  Louis. 

L'un  veut  une  couronne  ; 
Celui-ci  sur  le  trône , 

A  des  soucis. 
Pour  nous  fête  complette, 
ÎNous  sommes  en  goguette 

Pour  un  Louis. 

Autreibis  trois  déesses 
Découvrirent  leurs...  jambes 

Au  beau  Paris. 
On  dit,  moi  je  l'ignore, 
Que  Ton  en  montre  encore 

Pour  un  Louis. 


LES   MACHirSES. 


Air.  ;  Femmes ,  voulez-vous  dprouvcr. 

Tout  n'est  que  machine  ici-bas, 
Disaif  un  jour  un  pessimiste; 
L'homme  qui  fait  tant  d'embarras, 
Ne  remplit  qu'un  rôle  fort  triste; 
Malgré  lui  forcé  d'arriver 
Au  but  (jtie  le  .sort  kii  destine  , 
L  homme,  je  vais  vous  If  prouver, 
N'e«t  lui-même  qu'une  machine. 


232  LA    LllLLE    DE    SAVON. 

On  se  lèvej  il  faut  se  couvrir; 

Puis,  que  ion  soit  laquais  ou  comte , 

Il  faut  songer  à  se  nourrir  : 

C'est  la  machine  que  l'on  monte. 

Bientôt  on  va  la  promener, 

Mais  ,  n'importe  où  l'on  s'achemine  , 

L'estomac  crie,  il  i'aut  dîner, 

Ou  bien  ,  au  diable  la  machine. 

Vous  me  direz  on  peut  causer  j 
Près  des  belles  on  plaît,  on  brille, 
Parfois  même  l'on  peut  baiser 
La  main  d'une  femme  gentille  ; 
Oui ,  si  l'on  prolongeait  cela , 
(le  serait  charmant,  j'imagine! 
Mais  bientôt  on  bâille,  et  voilà 
Qu'il  fout  coucher  notre  machine. 

Foin  du  pessimiste  maudit 
Qui  met  l'homme  au  niveau  de  Fàne^ 
En  nous  il  n'a  point  vu  d'esprit. 
Il  mérite  qu'on  le  condamne  ; 
Mais  si  nous  perdions,  par  hasard. 
Ce  feu  divin  qui  nous  domine, 
La  beauté,  par  un  seul  regard. 
Remonterait  noire  machine. 


LA    BULLE    DE    SAVON.  255 


LA  DEMOISELLE  DE  QLI^SZE  ANS. 


AïK  :  Amis,  voici  la  riante  semaine. 

Je  touche  enfin  l'époque  fortunée 
Qui  fut  long-temps  le  but  de  mes  désirs  ! 
Je  ne  suis  plus  d'enfans  environnée , 
Avec  quinze  ans  on  a  d'autres  plaisirs. 
Moi ,  qu'on  vovait  toujours  chanter  et  rire , 
Je  suis  déjà  tout  autre ,  je  le  sens. . . 
J'ai  des  vapeurs,  je  rougis,  je  soupire  ; 
Ah!  que  c'est  donc  joH  d'avoir  quinze  ans! 

Pour  raisonner  je  me  sens  plus  d'audace , 
J'ai  le  plaisir  de  m'entendre  louer  ; 
Quand  un  vieillard  auprès  de  moi  se  place, 
Je  n'ose  plus  le  quitter  pour  jouer. 
Si  par  hasard  encor  mon  a-il  convoite 
Ceux  que  je  vois  courir  dans  tous  les  sens , 
Je  reste  assise ,  et  je  me  tiens  bien  droite. . . 
Ah  !  que  c'est  donc  joli  d'avoir  quinze  ans! 

Je  ne  suis  plus  traitée  en  écolière , 
Lorsque  je  vais  le  soir  dans  un  salon  , 
D'un  vieux  marquis  et  d'une  douairière 
Je  lais  souvent  la  partie  au  boston. 
Quand  près  de  nous  les  enfans  qu'on  tr>l«Te, 
Font  les  ceiit  coups  à  leurs  jeux  imiocent», 


â5i  LA    BULLB    DE    SAVON. 

Moi ,  je  demande  une  grande  niisère  ! 

Ah  !  que  c'est  donc  joli  d'avoir  quinze  ans  ! 

Lorsque  j'allais  jadis  dans  la  campagne , 

Tout  me  semblait  propre  à  me  divertir , 

Cueillir  des  fleurs,  gravir  une  montagne  , 

Me  suffisait  pour  aimer  à  sortir. 

Mais  maintenant  les  bois  ont  d'autres  charmes. 

Du  rossignol  j'écoute  les  accens , 

Et  puis  mes  yeux  se  remplissent  de  larmes. 

Ah  !  que  c'est  donc  joli  d'avoir  quinze  ans  ! 

D'avoir  quinze  ans,  oui,  je  suis  bien  heureuse, 
Je  ne  sais  quoi  pourtant  trouble  mon  cœur; 
Etre  souvent  inquiète,  rêveuse , 
Est-ce  bien  là  ce  qu'on  nomme  bonheur  ? 
Vagues  désirs,  dont  j'ignore  la  cause. 
Vous  tourmentez,  vous  agitez  mes  sens  : 
Ah  !  c'est,  je  crois ,  encor  pour  autre  chose 
Que  c'est,  dit-on,  joli  d'avoir  quinze  ans. 


LES   CIMETIÈRES. 

ROXDE    A    DANSER. 
Air  de  la  ronde  des  grenadiers. 

Mes  cliers  amis,  vivent  les  cimetières  ! 

ÎSe  plaignons  pas  le  sort  des  moribonds  ; 

Si  les  vivans  repoussent  nos  prières. 

Dès  qu'ils  sont  morts  tous  les  hommes  sont  bons. 


LA    BULLE    DE    SAVON.  255 

Quand  dans  le  monde  on  rencontre  avec  peine 
Amour  constant,  véritable  amitié, 
Au  cimetière  on  trouve  par  centaine 
Ami  sincère  et  fidèle  moitié. 
Mes  chers  amis  ,  vivent,  etc. 

Vous  trouvez  là  des  modistes  austères , 
Des  brocanteurs  qui  ne  surfaisaient  pas , 
Des  poètes  chéris  de  leurs  confrères , 
Et  des  tailleurs  qui  donnaient  de  bons  draps. 
Mes  chers  amis ,  etc. 

J'v  vois  encor  des  bouchers  philanthropes, 
Des  boulangers,  philosophes  profonds. 
Sur  leurs  tombeaux,  grâce  à  leurs  Pénélopes, 
Je  trouve  aussi  l'adresse  de  leurs  fonds. 
Mes  chers  amis,  etc- 

Pauvres  auteurs ,  victimes  de  l'envie , 
Qui  ne  trouvez  que  censeurs  insolens , 
Vous  vous  plaignez  î...  demain  quittez  la  vie. 
Et  l'on  rendra  justice  à  vos  talens. 
Mes  chers  amis,  etc. 

De  son  vivant ,  Kaimond  avec  sa  femme 
Avait  toujours  des  querelles,  des  cris  : 
Sur  son  tombeau ,  par  ordre  de  madame , 
On  met  :  Au  plus  adoré  des  maris. 
Mes  chers  amis,  etc. 

Chez  les  époux,  chez  les  fils,  chez  les  gendres, 
Que  de  vertus!  En  lisaut  tout  cela, 


256  LA    liULLE    DE    SAVON. 

Chacun  se  dit  :  Pour  avoir  de  leurs  cendres 
On  aurait  dii  brûler  tous  ces  gens-là  !... 
Mes  chers  amis,  etc. 

Les  qualités,  les  (alens,  le  génie^ 
Sont,  je  le  vois  ,  en  foule  aux  sombres  bords; 
Ah!  pour  l'honneur  de  ma  belle  patrie, 
Que  ne  peut-on  ressusciter  les  morts! 
Mes  chers  amis,  etc. 

Du  cimetière  en  quittant  la  demeure, 

Où  je  serais  resté  très-volontiers , 

Je  me  disais  :  Que  de  gens  que  l'on  pleure  ! . . . 

Je  vis  plus  loin  danser  leurs  héritiers. 

Mes  chers  amis,  vivent  les  cimetières! 

INe  plaignons  point  le  sort  des  moribonds  ; 

Si  les  vivans  sont  sourds  à  nos  prières,  ^ 

Dès  qu'ils  sont  morts  tous  les  hommes  sont  bons.  '^ 


LE  CHAINÏ  D'UN   PREUX. 

Air  à  faire. 
RÉCITATIF. 

Que  ce  séjour  plaît  à  mon  âme! 
Sur  ce  vieux  chêne  j'ai  gravé 
Des  vers  en  l'honneur  de  ma  dame . 
Souvenir  de  l'amour  qu'en  ces  lieux  j'ai  rêvé! 


).A    RIILLE    DE    SAVON.  257 

Mais  il  m'anime  encor...  plein  de  sa  douce  imap^e, 
Traçons  ici  mes  secrets  senti  mens  ; 
Qu'un  jour  au  moins  sous  cet  épais  feuillage 
Elle  retrouve  mes  sermens... 

STANCES. 

Amour  de  ma  patrie 
Fait  palpiter  mon  cœur, 
Amour  de  mon  amie 
Me  donne  le  bonheur. 
(]e  ccpur  qui  les  rassemble 
N'en  veut  jamais  j^fuérir  : 
Quand  on  doit  vivre  ensemble, 
Ensemble  il  faut  mourir. 

Si  la  gloire  m'appelle, 
Je  combats  sans  effroi  j 
Quand  je  revois  ma  belle  , 
Je  sens  un  doux  émoi  j 
Ma  dame ,  ma  patrie  , 
Veux  toujours  vous  chérir  ; 
Sans  hoimeur.  sans  aniir. , 
On  n'a  phis  qu'à  mourir. 


S'il  mordait  la  poussière. 
Ne  pleurez  pas  le  preux  ; 
Lnc  noble  carrière 
Fut  l'objet  de  ses  vo'ux. 
Pour  sa  fidèle  amie 
Irouvait  doux  de  soudrir, 
Pour  sa  bclli;  paîric 
Trouva  doux  de  mourir. 


258  LA    BULLE    DE    SAVON. 


LE  CAPORAL  ET  LE  CONSCRIT. 


Air  (le  la  Catacoua. 

«  Caporal ,  c'est  moi  que  j'invite, 

))  Faites-moi  celui  d'accepter  ; 

»  Je  suis  amoureux  de  c'te  p'tite, 

»  A  qui  je  voudrais  en  conter  ; 

»  Mais  pour  lui  décliner  la  chose, 

»  Faudrait  qu'un  malin,  conmie  vous, 

»  Vînt  avec  nous , 

»  Et  m'  dise  en  d'sous , 

»  Ce  qu'on  s'  permet 
»  Auprès  de  son  objet  j 
»  Ça  me  formerait,  que  j'  suppo.se; 
»  Caporal, 

»  Je  paie  un  régal. 

»  — Allons,  Jean-Jean,  si  ça  t'  contente, 

»  J'accepte  l'invitation. 

»  C'est  ça  ta  p'tite.^  elle  est  tentante, 

»  Je  conçois  l'inclination; 

»  Donnez-moi  votre  bras ,  la  belle  : 

»  Toi,  Jean-Jean,  mardi'  derrière  an  pas, 

»  Surtout  \\  va  pas, 

»  En  aucun  cas, 

»  Faire  un  mouv'ment 
»  Sans  mon  commandement. 


LA    BULLE    DE    SAVON,  259 

»  Prends  ma  tournure  pour  modèle. 
»  —  Caporal, 
»  C'est  r  point  capital. 

»  —  Il  faut  entrer  dans  c'te  guinguette, 
»  ^'ous  ralraîcliir  me  semble  urgent; 
»  Faut  êtr'  galant  près  d'un'  fillette  : 
»  Garçon,  du  vin!...  Verse,  Jean-Jean  : 
»  Vois  comme  ta  belle  a  l'air  tendre  j 
»  Tiens,  v'ià  comme  on  prend  un  baiser; 

»)  Pour  t'amuser, 

»  Faut  supposer 

»  Qu'  c'est  toi ,  Jean-Jean , 
»  Qui  l'embrasse  à  présent; 
»  Admire  comm'  je  sais  m'y  prendre. 
»  —  Caporal , 

»  C'est  original. 

'>  —  Mais  je  crois  qu'  j'entends  d'  la  musique, 
»  Belle  enl'ant,  nous  allons  valser; 
»  Au  bal  je  suis  bon  là,  j'  m'en  pique; 
»  Jean- Jean,  tu  nous  verras  passer; 
»»  Pendant  qu'à  ta  particulière 
»  Jf  vais  montrer  mon  abandon, 

>i  IVends  un  leçon  , 

»  Comme  un  tonton 

•>  Tourne  tout  seul 
»  Autour  de  ce  tillenl  ; 
>»  Moi ,  i    vais  fair'  tourner  c  to  p'fit   mère. 
»  —  Caporal  , 

»)  !Ne  vous  fait's  pas  d   m;il.  » 


240  l^A    TîULl-F.    DR    SAVON. 

Jean-Jean  ;,  avec  obéissanee, 

Sans  s'arrêter  tourne  toujours, 

Apres  une  assez  longue  absence 

On  lui  ramène  ses  amours  : 

«  Tiens ,  Jean-Jean  ,  pour  le  badinage 

»  Y'Ià  ton  objet  bien  disposé, 

))  J  ai  tant  pressé, 

»  Tant  courtisé, 

»  Qu'à  c't'  heur'  mon  p'iit, 
n  En  avant...  Et  suffit! 
»  Pour  toi  ;,  je  me  suis  mis  en  nage. 
»  —  Caporal, 

«  Yous  êt's  sans  égal.  » 


LA  BONNE  MÈRE. 


Air  :  Tournez ,  fuseaux  légers  (de  !a  Daine  Bhniche). 

Un  soir  une  jeune  mère 

Disait,  près  de  deux  berceaux  : 

((  Mes  chers  enfans  ,  sur  la  terre 

))  Je  crains  pour  vous  bien  des  maux  ! 

»  Votre  co^ur  exempt  d'envie 

»  Aux  passions  de  la  vie 

))  Un  jour,  hélas!  s'ouvrira... 

»  Mais  tandis  qu'il  les  ignore  , 

»  Enlans  chéris,  dormez  encore, 

»  Dormez  encore  jusque  la. 


LA    BULLE    DE    SAVON.  2^>| 

))  En  débutant  dans  le  monde 


> 


))  Tout  y  cliarmera  vos  yeux , 

»  Vous  ne  verrez  5  la  ronde 

»  Que  des  ^jens  officieux  ; 

»  On  nous  fait,  dans  la  jeunesse , 

»)  Bon  accueil,  tendre  caresse  j 

»  Jadis  cela  m'aveugla  ! 

»  Mais  le  charme  s'évapore... 
»  Enfans  chéris ,  dormez  encore , 
»  Dormez  encore  jusque-là. 

*)  Toi ,  ma  fille,  quoique  sage, 

»  Tu  te  laisseras  charmer  ; 

»  Toi,  mon  fils,  dans  ton  jeune  âge, 

))  Tu  trouveras  doux  d'aimer  : 

M  Temps  heureux  de  l'innocence 

»  Où  l'on  croit  à  la  constance  ! 

»  Mais  on  est,  malgré  cela , 

»  Trahi  par  ce  qu'on  adore... 

))  Enfans  chéris  ,  dormez  encore , 

»  Dormez  encore  jusque-là. 

»  Vous  verrez  que  Je  mérite 
»  Sait  rarement  parvenir, 
>»  Que  l'intrigue  va  plus  vite, 
»  Que  l'or  fait  tout  obtenir  ; 
»  Vous  verrez  la  jalousie* 
»  Au  talent  porter  envie, 
»  Et  puis  <ui  rnreu.sera 
»  In  sot  qu'un  litr<*  décore... 


â4â  I-A    ÇULLE    DE    SAVON. 

»  Enfans  chéris ,  dormez  encore , 
»  Dormez  encore  jusque-là. 

»  Mais  non,  j'en  ai  l'espérance, 
»  Les  hommes  deviendront  bons  ; 
»  De  vertus ,  de  tolérance , 
))  Ils  donneront  des  leçons  ; 
»  On  trouvera  sur  la  terre 
))  Amitié  pure  et  sincère  : 
»  La  justice  en  chassera 
»  Tous  les  maux  que  fit  Pandore, . . 
))  Enfans  chéris,  dormez  encore, 
»  Dormez  encore  jusque-là.  »> 


L'AMANTE  INCONNUE. 


Air  :  De  ma  Céline,  amant  modeste. 

Mes  chers  amis ,  vous  allez  rire , 
Vous  allez  vous  moquer  de  moi; 
Je  suis  amoureux,  je  soupire. 
J'ai  de  nouveau  donné  ma  foi  ; 
Cependant  de  celle  que  j'aime 
Je  n'ai  jamais  suivi  les  pas, 
Et  s'il  faut  vous  l'avouer  même, 
C'est  que  je  ne  la  connais  pas. 

Ne  croyez  pas  que  je  plaisante, 
Sa  plume  a  fait  naître  mes  feux, 


LA    BULLE    DE    SAVON.  2-43 

Dans  ses  lettres  elle  est  charmante , 
Son  style  me  rend  amoureux  ; 
Au  sentiment,  à  la  finesse, 
Elle  doit  joindre  mille  appas; 
C'est  pourquoi  j'y  pense  sans  cesse 
Tout  en  ne  la  connaissant  pas. 

Je  me  la  figure  bien  faite, 
Brune  ou  blonde ,  ça  m'est  égal , 
De  fort  beaux  yeux ,  pas  trop  coquette , 
Un  nez  grec  ,  un  front  virginal  ; 
Lue  voix  douce,  un  air  aiïuable, 
Un  pied  petit,  un  joli  bras... 
Je  puis  bien  la  faire  adorable 
Puisque  je  ne  la  connais  pas. 

Pourtant  une  crainte  m'obsède 
Et  trouble  mes  rêves  d'amours , 
Elle  est  peut-être  vieille  et  laide , 
Celle  à  qui  je  pense  toujours  ; 
Alors,  illusion  chérie. 
Je  te  perdrais;  ah!  dans  ce  cas, 
Tâche  toujours,  ma  chère  amie, 
Que  je  ne  te  connaisse  pas. 


'^i  LA    BULLE    DE    SAVON. 


GRISONS-NOLS. 


RONDE  DE  TABLE. 

Air  :  Aux  soins  d'un  jour  incertain. 

Grisons-nous,  mes  chers  amis^ 
L'ivresse 
Vaut  la  richesse  ; 
Pour  moi,  dès  que  je  suis  gris , 
Je  possède  tout.  Paris. 

Le  vin  confond  tous  les  rangs 
Et  rapproche  tous  les  âges  ; 
Il  rend  les  hommes  plus  francs 
Et  les  femmes  moins  sauvages. 
Grisons-nous,  etc. 

Quand  on  boit  dès  le  matin. 
Le  soir  on  est  tout  de  flamme; 
Effet  merveilleux  du  vin. 
On  fait  la  cour  à  sa  femme. 
Grisons-nous,  etc. 

Le  chambertin  rend  joyeux. 
Le  nuits  rond  infatigable. 
Le  volnais  rend  amoureux  , 
Le  Champagne  rend  aimable! 
Grisons-nous,  etc. 


LA    BULLE    DE    SAVON.  âA5 

Si  l'amour  rit  d'un  barbon , 
Il  est  une  autre  victoire; 
Tel  est  vieux  près  d'un  tendron, 
Et  sera  jeune  pour  boire  î 
Grisons-nous ,  etc. 

Le  plus  timide  en  buvant 
Parle  de  tout  à  la  ronde , 
Au  dessert  le  moins  savant 
Saura  gouverner  le  monde. 
Grisons-nous,  etc. 

D'un  trop  fastueux  banquet 
La  gaité  fuit  l'étiquette!... 
Mais  elle  entre  au  cabaret , 
Elle  couche  à  la  guinguette. 
Grisons-nous,  etc. 

Sur  l'avenir  incertain 
Un  roi  portera  sa  vue , 
Sans  songer  au  lendemain , 
L'ivrogne  dort  dans  la  rue. 
Grisons-nous,  etc. 

De  bouchons  faisons  un  tas  , 
Et,  s'il  faut  avoir  la  goutte, 
Au  moins  rpie  ce  uo  soif  pas 
Pour  n'avoir  bu  qu'une  goutte. 
Grisons-nous,  etc. 

\'Ai  laisaut  lionneui  au  vin, 
De  INoé  montrons-nous  dignes, 


2>46  LA     HLLLK    DE    SAVON. 

S'il  a  planté  le  raisin , 

C'est  pour  qu'on  soit  dans  les  vignes. 

Grisons-nous,  mes  chers  amis, 
L'ivresse 
Vaut  la  richesse , 
Pour  moi ,  dès  que  je  suis  gris , 
Je  possède  tout  Paris. 


VOUS  ETES  TROP  BETE. 


Air  :  A  Tàgc  heureux  de  quatorze  ans. 

Fanian ,  je  vous  aimerais  bien  , 
CiOntre  vous  je  n'ai  nul  caprice; 
Vous  êtes  gentil,  j'en  convien, 
A  votre  cœur  je  rends  justice, 
Votre  sourire  est  gracieux  , 
Vous  avez  l'air  doux  et  honnête, 
Vous  avez  même  de  grands  yeux. 
Mais,  Fanian,  vous  êtes  trop  bête. 

Quand  vous  venez  auprès  de  moi, 
En  me  regardant  d'un  air  tendre. 
Je  dis  :  Il  veut  m'offrir  sa  foi, 
Voyons  comment  il  va  s*y  prendre  : 
Mais  vous  vous  dandinez  bientôt; 
Et,  pendant  tout  le  tête-à-tête, 
D'amour  vous  ne  soufflez  pas  mot.. 
Ah  !  Fanfan,  vous  êtes  trop  bête. 


î 


LA    BULLE    DE    SAVON.  2A7 

L'autre  dimanche^  aux  petits  jeux, 

On  a  joue  dans  le  bocage; 

Je  me  dis,  pour  le  rendre  heureux; 

Je  vais  l'appeler  sous  l'ombrage; 

Le  jeu  permettait  un  baiser, 

A  le  recevoir  je  m'apprête... 

Et  vous  n'osez  pas  m'ejubrasser, 

Ah  !  Fanlan,  vous  êtes  trop  bête. 

Le  soir,  je  vous  dis  d'un  air  doux  : 
Conduisez-inoi  chez  la  fermière; 
Et,  pour  faire  route  avec  nous, 
Vous  emmenez  le  petit  Pierre  ; 
Ah  !  ce  n'est  pas  ainsi ,  vraiment , 
Que  vous  ferez  une  conquête! 
Je  veux  bien  avoir  un  amant. 
Mais,  Fanfan,  vous  êtes  trop  bête. 


LE  CHARME  D'AMOUR. 

Air  de  Thcnkis. 

Dans  une  retraite  gothiqu»; 

I  II  vinix  soi'cier  vivait  jadis; 

II  «'tait  pour  son  art  magiqur 
Très-renommé  dans  le  pays  ; 
(Ihez  lui ,  de  fort  loin  h  la  ronde, 
La  IcMile  venait  cIinruK'  jour; 

Il  n'osait  pas  ensorceler  le  monde, 
Mais  il  vendait  chai  me  d'amoui . 


2>48  LA    iilLLK    Dli    SAVON. 

Il  recevait  la  noble  dame , 
La  bergère  et  le  châtelain, 
Il  procurait  tant  douce  flamme 
Au  grand  seigneur,  comme  au  vilain  ; 
Mais  il  fallait,  à  sa  magie, 
Que  l'acheteur  criait  sans  retour. 
L'illusion,  en  tout  temps,  dans  la  vie, 
Ajoute  au  charme  de  l'amour. 

Mais  quand  venait  gente  pucelîe. 
L'enchanteur  point  ne  lui  vendait; 
Aux  désirs  de  la  pastourelle 
Alors  le  sorcier  répondait  : 
«  Que  feriez-vous  de  ma  science  ? 
»  Quand  on  réunit  tour  à  tour 
»  Douceur,  vertu  ,  beauté,  simple  innocence, 
»  On  possède  charme  d'amour.  » 


JE  NE  SUIS  POI^T  AIME. 

Air  ;  Plaisirs  passés. 

Adieu  ,  plaisirs,  adieu  douce  espérance. 
Séjours  rians  dont  mon  cohu'  fut  charmé  j 
Ah  !  votre  vue  auguiente  ma  souffrance, 
Je  dois  vous  fuir,  je  ne  suis  point  aimé. 
Le  doux  printemps  embellit  la  nature. 
L'oiseau  redit  son  chant  accoutumé. 
Mais  d'un  œil  froid  je  revois  la  verdure, 
Tout  me  déplaît  !...  Je  ne  suis  point  aimé. 


LA    BULLE    DE    SAVOK.  ^49 

C'est  par  TamcHir  que  la  vie  est  plus  chère, 
C'est  par  l'amour  que  tout  est  animé. 
Ah!  si  du  moins  il  me  restait  ma  mère  !    . 
Dirais-je  encor  :  «  Je  ne  suis  point  aimé  !  »> 


LK  PETIT  SAVOYARD. 


Ain  :  Voilà  quatre  ans  quVn  ce  village  (  de  Léocadic). 

Adieu,  mes  petits  camarades, 
Je  ne  puis  partager  vos  jeux, 
Chez  nous  mes  parens  sont  malades, 
Ici,  tout  mon  temps  est  pour  eux. 
Pour  oublier  votre  misère, 
Vous  allez  vous  amuser  tous, 
Moi,  je  travaille  pour  mon  père... 
Je  suis  bien  plus  lieureux  que  vous... 

Le  matin  {ijaîment  je  ramone; 
Le  soir  je  montre  un  sapajou  ; 
Je  mcnafre  ce  qu'on  me  donne 
Et  mets  de  côté  sou  sur  sou. 
Grns  ri(lips,qne  l'on  considère, 
Votre  or  satisfait  tous  vos  ({oùts , 
Mais  moi ,  j'amasse  pour  mon  père  , 
Je  suis  bien  plus  heureux  que  vous. 

Dans  drs  dcnieurcs  m;i{;uiHqurs 
On  a  besoin  du  Savoyard  , 


250  LA    BULLE    DE    SAVON. 

J'y  vois  de  nonibroux  domestiques 

Me  toiser  d'un  air  goguenard  ; 

Ils  se  moquent  de  ma  poussière , 

Mais  de  leurs  galons  peu  jaloux  , 

Je  me  dis  :  u  Je  nourris  mon  père, 

»  Je  .suis  bien  plus  heureux  que  vous.  » 

Toi ,  Joseph ,  avec  ta  sellette , 

Tu  comptes  rester  à  Paris  ; 

Pour  se  marier  à  ?ianette,  • 

André  s'en  retourne  au  pays. 

Dans  l'avenir  chacun  espère  , 

Le  mien  m'annonce  un  sort  bien  doux  î 

Dans  un  an  je  verrai  mon  père , 

Je  serai  plus  heureux  que  vous. 


LE  PELNTRE  ET  S0:N  MODÈLE. 


Ain  :  El  les  (lc\oirs  do  la  clicvalcric. 

Arrivez  donc,  mou  aimable  modèle, 
J'ai  mon  .sujet,  et  je  vais  concourir; 
Comme  Vénus,  vous  êtes  jeune  et  belle, 
C'est  elle  ici  que  vous  allez  m'offrir. 
Aux  grands  talens  je  veux  qu'on  m'assimile, 
Par  un  chef-dVruvre ,  enfin  je  veux  briller  ! . 
Surtout,  Rosa,  vous  serez  bien  tranquille, 
Souvenez-vous  que  je  vais  travailler. 


LA    BULLE    DE    SAVON,  25^ 

Otez  ce  châle j  ôtez  cette  coiffure, 
Yénus,  ma  clière,  avait  moins  d'ornemens; 
Dans  mon  sujet  elle  perd  sa  ceinture  , 
Dépouillez-vous  de  tous  vos  vêtemens; 
Placez-vous  là  ,  sur  ce  trône  fraj^ile , 
Que  votre  bras  vous  serve  d'oreiller, 
Surtout,  Rosa,  tenez-vous  bien  tranquille, 
Souvenez-vous  que  je  veux  travailler. 

Vraiment ,  Rosa ,  vous  êtes  ravissante  ! 
Que  de  beautés,  quels  gracieux  contours! 
Le  pied  mignon,  la  jambe  séduisante  : 
Vous  êtes  bien  la  mère  des  amours. 
Souriez -moi ,  cela  vous  est  facile. 
Tous  vos  appas  je  dois  les  détailler... 
Surtout ,  Rosa  ,  tenez-vous  bien  tranquille, 
Souvenez-vous  que  je  veux  travailler. 

Mais  d'où  vient  donc  que  ma  main  est  tremblante, 
Que  je  ne  puis  diriger  mon  pinceau? 
Mon  co'ur  palpite  et  ma  tête  est  brûlante, 
Je  ne  saurais  commencer  mon  tableau  ; 
Pour  aujourd'hui  mon  génie  est  stérile; 
Kli  bien  !  Rosa  ,  pourquoi  te  rhabiller? 
Reste  donc  là...  Je  serai  })ien  tranquille. 
Figure-toi  que  je  vais  travailler. 


2io^  LA    BULLt    Dt    SAVON. 


RIEN  QU'UNE  FOIS. 


Air  :  Faut  l'oublier. 

Rien  qu'une  lois,  c'est  peu  de  chose 
En  amitié  comme  en  amour, 
Pourtant  d'un  malheur  sans  retour 
Rien  qu'une  fois  peut  être  cause. 
Mais  aussi  pour  fixer  son  choix  , 
Pour  rencontrer  fidèle  amie 
Et  jurer  de  suivre  ses  lois, 
II  ne  faut ,  souvent  dans  la  vie , 
Rien  qu'une  fois. 

Rien  qu'une  fois  fait  un  coupable, 
Rien  qu'une  fois  fait  un  heureux; 
Une  fois  peut  briser  des  nœuds 
Et  rendre  un  sentiment  durable; 
Vainement  un  jeune  minois 
En  amour  compte  sur  ses  charmes , 
Le  plaisir  est  court  quelquefois  !... 
Mais  on  ne  verse  pas  des  larmes 
Rien  qu'une  fois. 

Rien  qu'une  fois  peut  satisfaire 
C(ûi\\  qui  ne  veut  que  de  Tor  ; 
Qu'une  fois  il  trouve  un  trésor 
Il  n'aura  plus  de  vœux  à  faire. 


LA    BULLE    DE    SAVON.  ^55 

Mais  quand  l'amour,  en  tapinois , 
Rend  coupable  fille  jolie , 
On  en  trouverait  peu ,  je  crois , 
Qui,  de  l'être,  n'ait  eu  l'envie 
Rien  qu'une  fois. 

Rien  qu'une  fois  ne  peut  suffire 
Aux  désirs  qui  brûlent  mon  cœur; 
Quand  on  a  connu  le  bonheur , 
Après  le  bonheur  on  soupire. 
Quoi!  n'entendrai-je  plus  ta  voix, 
Toi ,  que  j'aime  ,  toi ,  que  j'adore , 
Je  fus  plus  heureux  autrefois... 
Permets  que  je  le  sois  encore 
Rifn  qu'une  fois. 


SOI  VEMRS  D'AUVERGNE. 


Air  ;  Liif  roho  I«!-;;<'tp  (de  Marie). 

Solitaires  campagnes , 
Séjour  de  la  candeur , 
Auvergne,  tes  montagnes 
Convenaient  à  mon  ccrur. 
Pour  la  })ruvante  ville  , 
Avec  regret  je  pars  ; 
Adieu  ,  séjour  tranfpiiile  , 
Adie»! ,  bons  ninntagnards. 


âoi  LA    BULLE    DE    SAVON. 

J'ai  VU  la  Roche-Blanche, 
Et  dans  Saint-Saturnin 
J'ai  dansé  le  dimanche 
Au  son  du  tambourin  ; 
Dans  de  belles  prairies 
J'ai  vu  d'heureux  vieillards, 
Et  des  filles  jolies 
Chez  les  bons  montagnards. 

Talende ,  où  la  nature 
Mit  de  si  frais  ruisseaux  , 
J'ai  vu  ta  source  pure 
Et  tes  rians  coteaux  ; 
Où  s'élève  un  village 
J'ai  vu  de  vieux  remparts  ! 
Du  passé  seule  image, 
Qui  reste  aux  montagnards  ! 

L'émule  de  Virgile 
N'était  qu'un  Auvergnat , 
J'ai  salué  Delille 
Au  bourg  de  Chanonat  ; 
J'ai,  sur  le  Puy-de-Dôme , 
Affronté  les  hasards , 
Et  dormi  sous  le  chaume 
De  ses  bons  montagnards. 

Adieu  ,  riche  Limagne , 
Rives  de  l'Allier; 
Adieu ,  belle  montagne. 
Et  toit  hospitalier. 


LA    BULLE    DE    SAVON.  S5)$ 

Franchissant  la  distance, 
Mon  cœur  et  mes  regards 
Souvent ,  en  souvenance , 
Verront  vos  montagnards. 


L'AGENDA 


Air  :  Vous  vieillirez,  6  ma  belle  maîtresse. 

Sous  ces  papiers,  c'est  toi  que  je  retrouve, 
Cher  agenda, que  j'avais  à  vingt  ans; 
Ah  !  je  le  sens ,  au  plaisir  que  j'éprouve , 
Je  vois  en  toi  Tami  de  mon  printemps. 
Sur  tes  feuillets  examinons  bien  vite 
Ce  qu'au  jeune  âge  en  riant  j'ai  tracé; 
En  ce  moment  mon  cœur  encor  palpite 
Au  souvenir  de  mon  l)onheur  passé. 

Fanny ,  Jidie  ,  Adèle  ,  Eléonore, 
Voilà  vos  noms  !  objets  jadis  chéris  ! 
En  les  lisant,  \(^  crois  vous  voir  encore, 
De  vingt  beautés  alors  j'étais  épris. 
Mais  de  Rosa  j'aperçois  l'éciiturc; 
C'est  un  serment...  il  est  presque  effacé!... 
Là  j'ai  noté  que  l'or  était  parjure  !... 
Doux  souvenir  de  mon  bonhom*  passé  ! 

Des  rendez-vous,  mainte  aimable  folie, 
C'était  alors  l'emploi  de  chaque  jour; 


256  LA    BULLE    DE    SAVON. 

De  mauvais  vers  cette  feuille  est  remplie, 
Pour  Elisa  j'y  chantais  mon  amour  ; 
Cette  chanson  me  valut  sa  conquête, 
Mon  pied  ,  bientôt ,  par  le  sien  fut  pressé  ; 
Je  lus  aimé  ,  je  me  crus  un  poète  ! ... 
Doux  souvenir  de  mon  bonheur  passé  ! 

De  Rosemonde ,  ici ,  je  vois  l'adresse  , 
Que  de  cadeaux  je  lui  fis  recevoir  ! 
J'avais  pour  elle  une  vive  tendresse , 
Elle  payait  mon  amour  en  espoir  ; 
Un  soir ,  pourtant ,  j'étais  reçu  peut-être  , 
Si  mon  rival  ne  m'avait  devancé  ! 
Mais  je  passai  la  nuit  sous  sa  fenêtre... 
Doux  souvenir  de  mon  bonheur  passé  ! 

Il  reste  encor  plus  d'une  feuille  blanclie , 

De  les  remplir  j'ai  la  tentation... 

]Non  ;  maintenant,  si  ma  plume  était  (Tanche 

Je  détruirais  plus  d'une  illusion  ! 

A  ces  écarts  de  ma  folle  jeunesse 

^e  mêlons  point  un  regret  déplacé, 

Et  conservons,  intact  à  ma  vieillesse. 

Le  souvenir  de  mon  bonheur  passé. 


LA    BULLE    DE    SAVON.  257 


LE  SOLDAT  E'S  GOGl  ETTE. 


Air  :  Trou  la  la  ,  nu  Air  :  J'ai  d'  i'rirjjrnt. 

J'siiis  en  fonds  (^'•^'  ) 

Chantons  ,  rions  et  bouffons  ; 

J'  suis  en  fonds ,  (bis  ) 

En  avant  les  carafons. 

Camarad's,  vous  saurez  donc 
Que  de  ma  tant'  c'est  un  don  , 
Dix  écus,  ni  moins,  ni  plus, 
Qu'elle  m'envoie  en  quibi/s  ! 
J' suis  en  fonds ,  etc. 

Sergent ,  caporal ,  et  vous  , 
Tambours ,  venez  avec  nous  , 
Je  voudrais  ,  dans  ce  moment , 
Répfaler  tout  1'  régiment. 
J'  suis  en  fonds,  etc. 

J'ai  reçu  ce  hoursicot 
Avec  un  gilet  d'  tricot; 
Pour  que  1'  régal  soit  complet  , 
^ous  mangerons  le  gilet. 
J'  suis  en  fonds  ,  etc. 

Si  ma  tant'  ne  m'  donn'  plus  rien  , 
J'ai  mon  oncle,  il  n  fin  bien!... 

i7 


^58  l-A  BULLE  DE  SAVON. 

Et  i'aim'  trop  les  restauians 
Pour  oublier  mes  parens. 
J'  suis  en  fonds,  etc. 

Garçon,  mettez,  sans  retard, 
Du  suc'  dans  l'om'lette  au  lard; 
Et  soignez  le  bain  de  pied 
Du  p'tit  verr'  de  l'amitié. 
J'  suis  en  fonds ,  etc. 

On  doit  se  battre  demain , 
Jurons,  le  verre  à  la  main, 
Pour  mieux  vexer  l'étranger , 
De  tout  boir'  et  d'  tout  manger. 
y  suis  en  fonds,  erc. 

En  guerr'  le  métier  d'  soldat 
Est  vraiment  un  bel  état  ; 
Vn  boulet  peut  nous  r'iancer! 
C  nest  pas  la  pein'  d'amasser. 
J'  suis  en  fonds,  etc. 

Si  r  canon  m'  sign'  mon  renvoi , 
Camarad's ,  promettez-moi 
A  ma  santé  d'  boire  encor, 
Même  après  que  je  s' rai  mort. 

J'  suis  en  fonds  ,  (bi.s.) 

(Chantons,  rions  et  bouffons, 

J'  suis  en  fonds,  (bis.) 

En  avant  les  carafons. 


LA    BULLE     DE    SAVON. 


S99 


JE  N'EN  SAIS  PAS  DAVANTAGE. 


Âir  de  Paris  et  le  village. 

Hier  ,  cueillant  du  réséda, 
J'aperçus  Colin  sur  l'iierbette; 
Rose  accourut,  il  l'aborda, 
Puis  l'emmena  sous  la  coudrette. 
Le  berger ,  d'un  air  satisfait  : 
Attirait  Rose  sous  l'ombrage; 
Ce  qu'ils  ont  dit ,  ce  qu'ils  ont  fait  ! . . . 
Ah  !  je  n'en  sais  pas  davantage. 

Lise  veut  un  jeune  mari; 

Mais  sa  mère,  malgré  ses  larmes, 

Fait  d'un  vieillard  tout  rabougri 

Le  possesseur  de  tant  de  charmes. 

La  pauvrette  se  chagrinant , 

Après  un  mois  de  mariage  , 

Dit  :  «  Je  suis  femme  maintenant... 

»  Mais  je  n'en  sais  pas  davantage.  » 

Biaise,  au  moment  d'être  l'époux 
De  la  grande  et  sotte  Colette , 
Lui  dit  :  «  Çà  ,  ma  belle,  entre  nou'g, 
))  Vous  aurait-on  conté  fleurette? 
»  — Ah  !  »  dit-elle,  en  bai.s.sant  les  veux, 
«  J'  crois  me  souvenir,  qu'au  village, 
»  J'avions  trois  petits  amoureux... 
»)  Mais  je  n'*n  sais  pas  davantage.  »> 


260  T. A    BULLE    DE    SAVON. 

Le  fils  de  certain  grand  seigneur 
Avait  une  tête  fort  dure , 
On  lui  donna  maint  précepteur, 
On  voulut  forcer  la  nature; 
Ses  maîtres  le  louaient  beaucoup, 
Et ,  quand  ce  fut  un  personnage , 
Le  jeune  homme  parlait  de  tout , 
Mais  n'en  savait  pas  davantage. 

On  nous  vante  des  bienheureux 
Les  jouissances  éternelles  ; 
On  nous  promet  d'aller  près  d'eux , 
Si  nous  sommes  sages,  fidelles  ; 
Mais,  ici-bas,  nous  ignorons 
Quel  est,  là-haut,  notre  partage  ; 
Et,  tant  que  nous  en  parlerons, 
Nous  n'en  saurons  pas  davantage. 


LA  PARTIE  DE  DOMINO. 


Air  :  En  revenant  de  Bàle  en  Suisse. 

Ma  chère  Suzon,  voici  l'heure 
Où  nous  pouvons  nous  mettre  au  jeu  ; 
Seul  avec  toi ,  dans  ma  demeure  , 
J'aime  à  jouer  au  coin  du  feu. 

Ce  soir,  je  m'en  vante  , 

Je  vais  à  gogOj 

Avec  ma  servante, 

Faire  domino. 


LA    BULLE    DE    SAVON.  26i 

Allons,  Suzon,  qu'on  se  dépêche , 
Place  la  lampe  près  de  nous; 
Mais  surtour  ménage  la  mèche, 
Un  demi-jour  est  bien  plus  doux. 
Ce  soir ,  etc. 

Suzon  ,  avec  tes  doigts  de  rose, 
Il  faut  remuer  tout  cela. 

—  Monsieur, je  vous  offre  la  pose. 

—  Cela  m'embarrasse  déjà. 
Ce  soir  ,  etc. 

—  Monsieur ,  c'est  du  blanc  que  j'avance  ; 
Bouder  ne  serait  pas  le  cas. 

—  Oui ,  mais  quand  je  m'ouvre  une  chance, 
Suzon,  ne  me  la  ferme  pas. 

Ce  soir,  etc. 

Vraiment ,  Suzon  ,  (|uoi  que  je  fasse  , 
.Jamais  mon  pauvre  as  ne  finit. 

—  Monsieur,  je  ne  crois  pas  qu'il  passe, 
Vous  avez  un  dez  trop  petit. 

Ce  soir,  etc. 

Allons,  j  attaque. —  El  moi ,  je  ferme. 

—  Ce  double  blanc  me  plait  beaucoup. 
— Surtout,  monsieur,  tenez-vous  ferme. 
Car  je  vous  prépare  un  grand  coup. 

Ce  •oir ,  etc. 

Du  êit ,  nionaif  ur.  —  Je  les  obhorre  | 
U  n'ai  jamBii  de  cei  gros'-làl 


26â  LA    BLLLE     DL    SAVON. 

—  Du  cinq,  au  moins.  —  Je  boude  encore. 

—  Vous  ne  faites  plus  que  cela! 
Ce  soir ,  etc. 

Quoi  !  vous  n'avez  ni  cinq  ,  ni  quatre , 
Allons,  monsieur,  cherchez  un  peu. 
— -Suzon  ,  je  suis  forcé  d'abattre... 

—  Ah!  que  vous  avez  vilain  jeu! 
Ce  soir,  etc. 

—  Suzon  ,  je  quitte  la  partie; 
Demain  je  serai  plus  en  train. 

—  Ça  s'ra  de  même  ,  je  parie , 
Vous  remettez  tout  à  demain  !... 

Demain,  je  m'en  vante. 
Je  veux  ,  subito , 
Avec  ma  servante 
Faire  domino. 


A-T-IL  MAL  FAIT? 


fi 


Air  :  Pourquoi  pleurer  (  du  Concert  à  la  Cour) . 

A-t-il  mal  fait?  (bis.) 

Ah  !  daignez  m'i'clairer,  mon  père, 
Colin  m'a  dit  qu'il  m'adorait, 
Que  toujours  je  lui  serais  chère. 

A-t-il  mal  fait?  (bis,) 


LA     BULLE    1>K    SAVON. 

A-t-il  mal  l^it  ? 
Il  dit  que  je  suis  la  plus  belle  , 
Que  ma  tournure  a  de  l'attrait. 
Qu'il  est  doux  de  m'étre  fidelle. 

A-t-il  mal  fait? 

A-t-il  mal  tait  ? 
Colin  ,  en  me  disant  je  t'aime , 
Avec  ardeur  me  regardait , 
Puis  me  pressait  contre  lui-même. 

A-t-il  mal  fait? 

A-t-il  mal  fait? 
Il  m'a  dit  :  Tu  seras  ma  femme  , 
Notre  bonheur  sera  parfait! 
D'avance  couronne  ma  flamme... 

A-t-il  mal  fait? 


A    MADAME 


*  ♦  ♦ 


AiB  ;  Simple  et  naïve  berjjerettc  j  du  (^hapemn). 

l'ourquoi  pleurer,  6  mon  amie, 
Quand  vou.s  avez  fait  mon  bonheur; 
O  qui  vient  d'embellir  ma  vie 
P«'uf-il  cau.sfîr  votre  douleur? 
Pour  un  péché  bien  ex<usable 
(l»".s.s«'7.  de  bai.s.ser  vos  beaux  veux... 
Ou  ne  saurait  éiic  <oup;ii)le 
Quaud  on  vient  de.  lain*  un  Ip-uh-uï 


26>4  LA    BULLE    Dt    bAVON. 

Verser  des  larmes  est  folie, 

D'aimer  peut-on  se  garantir  : 

Pour  une  laute  si  jolie 

Dieu  n'a  pas  foit  le  repentir  5 

Votre  faiblesse,  je  le  jure, 

Ne  pourra  qu'augmenter  mes  feux; 

Car  il  n'est  pas  dans  la  nature 

De  vouloir  cesser  d'être  heureux. 

On  créa  la  femme  pour  plaire; 
Son  cœur  ne  bat  que  pour  aimer; 
L'air  à  sa  vie  est  nécessaire 
Moins  que  le  besoin  de  charmer  ; 
Mais  afin  que  son  cœur  abrège 
Les  maux  que  font  naître  ses  yeux , 
Elle  a  le  plus  doux  privilège, 
(iclui  de  faire  des  heureux. 


L'ARABE  ET  SON  COURSIER. 


Air  (J'A;',iies  Sorcl. 

Sous  le  ciel  brûlant  d'Arabie, 

Loin  du  rivage  de  la  mer, 

Enlevant  maîtresse  chérie , 

Olcar  fuyait  dans  le  désert. 

Son  coureier,  à  sa  voix  fidèle , 

Pressé  par  lui,  double  le  pasi 

Pour  son  nialtre)  ardent^  plein  de  cèle^ 

>'lngt  Ifoin  il  bmva  le  trépas. 


LA    BULLt    DE    SAVON.  26^ 

Mais  sans  eau ,  dans  la  plaine  aride 
Bientôt  il  leur  faudra  mourir. 
Et  la  jeune  amante  à  son  guide 
Se  plaint  déjà  de  trop  souffrir. 
Olcar,  pour  adoucir  sa  peine. 
La  laisse  auprès  de  son  coursier, 
Va  vole  éperdu  dans  la  plaine 
Chercher  quelque  arbre  nourricier. 

Tandis  qu'en  la  plaine  brûlante 
L'Arabe  court  tout  affronter, 
Une  caravane  brillante 
Passe  aux  lieux  qu'il  vif^nt  de  quitter. 
La  belle,  sans  trop  se  défendre, 
Suit  les  pas  d'un  Mahoniétan  ; 
Le  coursier  reste  et  veut  attendre 
Le  pauvre  Olcar  qu'il  aime  tant. 

Olcar,  pour  trouv«'r  une  source, 
En  vains  efforts  se  consumait  ; 
\Iais  las  !  au  retour  de  sa  course  . 
iNe  voit  plus  celle  (ju'il  aimait  ; 
!>♦'  coursier  seul  attend  son  maître, 
Et  ,  faisant  un  dernier  effort  . 
Hennit  dès  (|u'il  U'  voit  paraître  . 
ÎNiis  à  ses  côtés  tombe  mort. 


^QÇ  LA    BULLE    DE    SAVON, 


LES    EiVFANS  EGARES. 


Air  de  l'Ermite  (fe  Sainl-Avelle. 

Dans  une  sombre  solitude, 
Deux  enlans,  de  cinq  à  .six  ans  . 
Portaient  avec  inquiétude 
Leurs  regards  doux  et  caressans. 
Ils  pressaient  leur  course  légère. 
Au  bruit  du  tonnerre  en  courroux, 
En  disant  :  «  C.herclions  notre  père, 
»  Le  (]iel  aura  pitié  de  nous. 

»  (^est  dans  cette  iorét  proionde, 
»  Que  nous  avons  perdu  .ses  pas, 
»  Ah!  du  moins  s'il  passait  du  monde, 
»  On  nous  tirerait  d'embarras. 
»  —  Mais  dans  cette  forêt,  mon  Irère, 
)'  Si  nous  allions  trouver  des  loups!... 
»  —  iNous  avons  perdu  notre  père, 
»  Le  Ciel  aura  pitié  de  nou.s. 

»  La  nuit  vient,  je  n'entends  personne. 

»  Que  diront  nos  parens  ce  soir? 

»  Connu  en  t  notre  mère  ,  si  bonne , 

»  Dormira-t-elle  sans  nous  voir? 

»  —  Marchons  toujours;  ce  soir,  j'espère 

»)  Me  retrouver  sur  leurs  genoux. 


LA    BULLE    DE    SAVON.  aSDi 

M  Nous  avons  perdu  notre  père, 
»  Le  Ciel  aura  pitié  de  nous.  » 

»  —  Je  suis  las,  mon  frère;  il  ine  semblé 

»  Qu'il  faut  nous  reposer  aussi. 

»  —  As-tu  faim?  —  Oh  non,  mais  je  tremble! 

»  Il  faudra  donc  dormir  ici?... 

»  —  ^ie  pleure  pas  si  fort,  mon  frère, 

«  Le  bon  Dieu ,  là-haut,  nous  voit  tous! 

»  JNous  avons  perdu  notre  père  , 

»  Il  doit  avoir  pitié  de  nous.  » 

En  .«îanglotant ,  sous  le  feuillage 
Les  deux  enfans  se  sont  assis  ; 
Et ,  malgré  le  bruit  de  l'orage , 
Ils  se  sont  pourtant  endormis  ; 
Mais ,  en  dormant ,  cette  prière 
Se  mêle  à  leur  souffle  si  doux  : 
«  Nous  avons  perdu  notre  père , 
»  Bon  Dieu ,  prenez  pitié  de  nous  !  » 


POUR   ELLE  OU  POLR  LUI. 


PASTORALE. 
Air  :  Mon  père  n'est  plu«  le  concierge. 

Transports  jaloux,  douleur  amère, 
Dépit*  secrets, 


2bii  LA    BULLF,    DE    6AV0N. 

Venez  augmenter  ma  colère 

Et  mes  regrets  ! 
L'objet  pour  qui  mon  ca3ur  soupire 

La  nuit,  le  jour, 
Me  vit  hier,  sans  rien  me  dire 

De  son  amour. 

Auprès  de  quelqu'un  ,  dans  la  plaine. 

Je  l'aperçus  : 
Ses  yeux  aux  miens,  malgré  ma  peine , 

ÎNe  parlaient  plus  ; 
Vers  moi ,  pour  calmer  mes  alarmes  , 

Loin  d'accourir, 
On  a  laissé  couler  mes  larmes 

Sans  les  tarir. 

Je  (e  détesle ,  et  pour  la  vie  , 

Objet  trompeur! 
Porte  à  d'autres  ta  perfidie , 

Reprends  ton  cœur  ! 
(]e  cœur  qu'un  autre  amour  engage, 

N'est  plus  mon  bien  ! . . . 
Mais  ,  moi ,  je  ne  suis  [)as  volage  , 

Garde  le  mien. 


LA    BULLE    DE    SAVON.  269 


MA   PHILOSOPHIE. 


Air  :  Vive  l'enfer. 

Je  veux  toujours  suivre  ta  loi , 
Philosophie 
Chérie , 
Sénèque  etSocrate,  ma  foi, 
Pour  modèle  auraient  pris,  je  crois, 
Moi. 

Je  l'avoûrai ,  mes  désirs 

Sont  portés  aux  plaisirs , 

Et  le  travail  m'ennuie  ; 
Mais  quand  sans  peine  je  peux 

Contenter  tous  mes  vœux , 

Moi,  j'aime  assez  la  vie. 
Je  veux  toujours  ,  etc. 

J'en  conviens,  j'aime  le  jeu , 

La  nuit ,  j'en  fais  l'aveu , 

Je  joùrais  sans  relâche  ; 
Mais  quand  la  chance  me  rit , 

Quand  le  sort  me  sourit. 

Jamais  je  ne  me  fâche. 
Je  veux  toujours,  etc. 

Dans  le  monde,  bien  des  gens 
Ne  sont  point  indulf^ens, 


270  LA    BULLE    DE    SAVON. 

Un  rien  les  mécontente  ; 
Mais  moi,  quand  on  applaudit 
A  tout  ce  que  j'ai  dit , 
Je  suis  d'humeur  charmante. 
Je  veux  toujours,  etc. 

Un  déjeuner  de  garçon 
M'est  offert  sans  façon , 
Je  dis  :  «  Point  de  folie! 

»  Un  pâté  de  Périgueux  , 
»  Un  poulet ,  du  vin  vieux , 
»  Rien  de  plus,  je  vous  prie.  » 
Je  veux  toujours ,  etc. 

Je  vois,  à  plus  d'un  couvert, 
Des  gens  fuir  au  dessert , 
Cela  n'est  pas  aimable  ! 

Quand  on  me  place  au  milieu , 
Quand  j'ai  le  dos  au  feu, 
Volontiers  je  tiens  table. 
Je  veux  toujours ,  etc. 

Des  yeux  bleus  grand  amateur, 
Par  les  blondes  mon  cœur 
Se  laissa  toujours  prendre; 
Mais  qu'une  belle  à  l'oùl  noir 
Me  dise  :  «  Viens  ce  soir,  » 
Je  ne  fais  pas  attendre. 
Je  veux  toujours,  etc. 

Mais  par  l'ingrate  beauté 
Sui.s-je  un  matin  quitté. 


LA    BULLE    DE    SAVON. 

Je  m'en  console  vite  ; 
Point  de  regrets  superflus , 
Dès  que  je  n'aime  plus, 
J'aime  autant  qu'on  me  quitte. 
Je  veux  toujours,  etc. 

L'un  en  vira  .son  voisin  ;, 
L'autre  est  toujours  chagrin, 
Inquiet,  alarmiste; 
Quand  il  ne  me  manque  rien  , 
Quand  je  me  porte  bien  , 
Je  ne  suis  jamais  triste. 
Je  veux  toujours,  etc. 

Celui-ci  se  plaint  du  temps  , 
Du  froid  et  des  autans; 
Cet  autre  encor  murmure; 

Moi ,  jamais  riert  ne  m'émeut  ; 
Que  m'importe  s'il  pleut, 
Quand  je  sui.**  en  voiture? 
Je  veux  toujours,  etc. 

Je  penls  un  oncle  cln-ri  , 
D'aboid  je  sui.s  marri 
De  cette  catastrophe  ; 
Il  me  laisse  ses  écus. 
Je  dis  :  •'  INe  pleurons  plus, 
»i  Et  .soyons  pliilo.sophc.  » 
Je  veux  toujour.'* ,  «Me. 

Je  veux,  vieilli.ssant  ain.si  , 
Conserver,  Dieu  merci, 


m 


272  tiA    BULLF.    DE    SAVON. 

Cette  philosophie. 
Que  J'aille  cent  ans  encor, 
Sans  accuser  le  sort, 
Je  quitterai  la  vie. 

Oui ,  toujours  je  suivrai  ta  loi , 
Philosophie 
Chérie , 
Sénèque  et  Socrate ,  ma  foi , 
Pour  modèle  auraient  pris,  je  croi, 
Moi. 


LE   CHIJNOIS. 


Air  :  T'^audeville  de  la  Somnambule. 

Un  beau  matin,  quittant  la  Chine , 
Certain  liabitant  de  Pékin  , 
Devers  la  France  s'achemine 
En  costume  de  mandarin; 
Fort  grotesque  était  sa  tournure , 
Son  abord  était  peu  courtois. 
Et  chacun,  vovant  sa  figure, 
Disait  :  Ah!  le  vilain  Chinois  ! 

Pour  connaître  la  grande  ville  , 
Le  Chinois  se  rend  à  Paris; 
Il  va  partout  d'un  pas  tranquille, 
Et  de  rien  ne  pnraît  surpris  j 


i 


LA    BULLE    DE    SAVON.  275 

S'occupant  fort  peu  si  sa  mise 

Le  fait,  chez  nous  montrer  aux  doi|[ts , 

Il  fronde  tout  avec  franchise  ; 

Ah  !  mon  Dieu ,  le  vilain  Chinois  ! 

Fuyant  le  luxe ,  l'étiquette 
Et  les  salons  de  l'écarté, 
Dans  le  réduit  d'une  grisette 
Il  prétend  trouver  la  gaîté  ; 
Il  s'étonne  que  le  mérite 
Soit  sans  fortune  ;,  sans  emplois; 
Les  sots  qu'on  flatte,  il  les  évite  : 
Ah  !  mon  Dieu  ,  le  vilain  Chinois  ! 

Lui  feit-on  quelque  politesse , 
Il  croit  qu'on  est  de  ses  amis; 
En  affaire  il  veut  que  sans  cesse 
On  tienne  ce  qu'on  a  promis  ; 
Il  ose  dire  qu'une  belle , 
A  l'époux  dont  elle  a  fait  choix, 
Doit  pour  la  vie  être  fidelle; 
Ah!  mon  Dieu  ,  le  vilain  Chinois! 

Prétendant  ne  voir  à  la  ronde 
Que  des  gens  faux  et  envieux  , 
Il  parcourt  de  nouveau  le  monde  , 
Et  nulle  part  n'est  plus  heureux  ; 
Il  veut  que  l'on  soit  iranc  et  sage. 
Savant  et  modeste  à  la  fois  ; 
Et  chacun  dit  sur  son  passage  : 
Ah!  mon  Dieu,  le  vilain  Chinois! 

il 


S7/i  LA    BULLE    DE    SAVON. 


LA   RENCONTRE. 


Air  du  Petit  Courrier. 

C'est  toi,  Laure,  que  je  revois! 

Combien  la  rencontre  m'enchante; 

Voilà  bientôt  dix  mois,  méchante, 

Que  nous  avons  rompu,  je  crois  ; 

Vraiment  je  te  trouve  embellie. 

Et  mieux  (p'aux  temps  de  nos  amours; 

Non,  tu  n'étais  pas  si  jolie 

Quand  je  te  voyais  tous  les  jours.         ('<?'"•) 

Tu  cours  à  quelque  rendez-vous  : 
Ah  !  tu  dois  tourner  bien  des  têtes  ! 
Allons ,  conte-moi  tes  conquêtes , 
Et  montre-moi  tes  billets  doux  ; 
De  mes  amours  je  veux  t'instruira, 
Désormais  soyons  sans  détours. . . 
J'en  avais  moins  long  à  te  dire 
Quand  je  te  voyais  tous  les  jours. 

Entrons  chez  ce  restaurateur, 
Tu  ne  peux  refuser,  j'espère; 
Ce  dîner  impromptu ,  ma  chère , 
Aujourd'hui  me  semble  meilleur  ; 
Pour  que  ton  amant  te  pardonne , 
Tu  trouveras  quelques  discours  ! 


LA     BULLE    DE    SAVON.  27b 

Tu  me  trompais  aussi ,  friponne , 
Quand  je  te  voyais  tous  les  jours. 

C'est  bien  ta  bouche  que  voilà , 
Et  ton  sourire  plein  de  graceî 
Mais,  Laure,  il  faut  que  je  t'embrasse , 
Pour  mieux  me  rappeler  cela. 
Dans  mes  bras  il  faut  que  je  presse 
Cette  taille,  ces  doux  contours... 
Ah  !  j'éprouvais  bien  moins  d'ivresse 
Quand  je  te  voyais  tous  les  jours. 

Quoi  huit  heures  sonnent  déjà  ! ... 
Comme  le  temps  a  passé  vite! 
Pourtant  il  faut  que  je  te  quitte, 
Le  hasard  nous  réunira. 
Sans  nous  gêner,  ma  chère  Laure, 
De  nos  plaisirs  suivons  le  cours  : 
Surtout,  pour  nous  aimer  encore  , 
INe  nous  voyons  plus  tous  les  jours. 


FIN    DES    POEMtS.       J^ 


pZUii  ...     ^  {fix.  - 


TABLE  DES  MATIERES. 


CONTES. 

DéoiCACE.  4 

Les  Gondoliers.  3 

Le  Raisonnement  de  gros  Pierre.  \2 

Le  Rhume.  iS 

Le  Paysan  ambitieux.  24 

Le  vieux  Fou.  29 

Le  Mari  qui  joue  de  la  flûte.  32 

La  Préférence.  37 

Les  deux  Amis.  40 

Les  deux  Frères.  45 

L'Ardoise.  49 

L'Aveugle  et  sou  Fils.  53 

L'Écarté.  6i 

La  Jupe  enchantée.  70 

La  Nature.  82 

Le  Rat.  87 

Edmond.  92 

Le  TÏeuv  Chénc.  96 

Le  Mari  sentinelle.  100 

La  Femme  auteur.  ^06 

La  petite  Brodeuse.  iM 

Le  Livre  du  Destin.  123 

CHANSONS. 

I>a  Bulle  de  Savon.  135 

Je  n'en  suis  plus  à  mou  premier  «imour.  137 

La  Gloire  et  la  Fortune.  138 

Encore  un  moment.  140 


278 


TABLE. 


La  Fossette. 

Sur  la  Mort  du  peintre  David. 

La  Promenade  à  ânes. 

Les  deux  Voyageurs. 

Depuis  que  je  ne  te  vois  plus. 

L'Homme  sans  souci. 

Le  Droit  du  Châtelain  de  Bétfiîsy. 

Un  Baiser  de  mon  Fils. 

Le  Chevalier  errant. 

Elle  était  si  jolie. 

Profession  de  Foi. 

Les  Désirs  d'un  Amant. 

Cadet  Buteux  au  jardin  Turc.  (Pot-Pourri.) 

Ma  Lisette,  quittons-nous. 

Plus  on  est  d'Amis,  plus  on  boit. 

Eloge  des  cheveux  roux. 

La  Peureuse. 

Le  Retour. 

La  Bienfaisance. 

La  Marguerite. 

L'Amour  et  le  Diable. 

Le  Chansonnier  français. 

La  Vieille  de  seize  ans. 

Les  Esprits. 

Le  jeune  Soldat. 

Laissi'Z-vous  faire. 

Le  Berger  et  la  Bergère. 

Il  n'est  plus  là. 

Le  Sage  comme  il  v  eu  n  tant. 

Les  Souvenirs. 

Les  .leux  innoceus. 

Il  ne  faut  pas  rêver  toujours. 

Les  Synonymes. 

Le  manque  de  Mémoire. 

Dame  Isabelle. 

La  Réunion  d'été. 

Rendez-moi  mon  argent. 

II  faut  aimer. 

La  Plume. 

A  mon  ancienne  Amie, 


Ui 

443 
144 
147 
148 
150 
151 
153 
155 
156 
157 
160 
162 
170 
171 
173 
174 
176 
i77 
179 
180 
181 
183 
184 
187 
189 
191 
193 
194 
19.) 
196 
198 
199 
200 
202 
■205 
207 
209 
210 
212 


TABLE.  279 

Vous  fâcheriez-\ous?  214 

La  Vie  d'un  Particulier.  (Chanson  qui  dure  soixante  ans.)  216 

L'Habitude.                                          '  217 

Je  ne  suis  pas  encore  guéri.  219 

La  Chaumière,                                                                            -  220 

Le  Nez.  221 

La  Couturière.  223 

Les  vieux  Péchés.  225 

Le  Désir  et  l'Espérance.  227 

La  Brouette  de  Jeannette.  228 

Pour  la  Fête  d'un  Louis.  230 

Les  Machines.  231 

La  Demoiselle  de  quinze  ans.  233 

Les  Cimetières.  (Ronde  à  danser.)  234 

Le  Chant  d'un  Preux.  236 

Le  Caporal  et  le  Conscrit.  238 

La  Bonne  Mère.  240 

L'Amante  inconnue.  242 

Grisons-nous.  (Ronde.)  244 

Vous  êtes  trop  béte.  246 

Le  Charme  d'amour.  247 

Je  ne  suis  point  aimé.            -  248 

Le  petit  Savoyard.  249 

Le  Peintre  et  son  Modèle.  250 

Rien  qu'une  fois.                                                              ^  252 

Souvenir  d'Auvergne.  253 

L'Agenda.  255 

J^e  Soldat  en  goguette.  257 

.Te  n'en  sais  pas  davantage.  259 

La  partie  de  Domino.  260 

A-t-il  mal  fait  '  262 

A  Madame  ***.  263 

L'Arabe  et  son  Coursier.  264 

l-es  Enfans  égarés.  266 

Pour  Elle  ou  pour  Lui.  267 

Ma  Philosophie.  269 

Le  Chinois.  272 

La  Rencontre.  274 


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'l'Hélas.